Shooter rétro tarantinesque – Wolfenstein : The New Order (2014)

A l’origine, il y a deux types de jeux de tir à la première personne : les jeux où on tue des soldats allemands en pleine Seconde Guerre mondiale, et ceux où on bannit à coup de fusil à pompe des démons venant de dimensions parallèles. Coup de chance, ces deux types de FPS  ont été développé par le même studio, Id Software, au début des années 90 avec Wolfenstein 3D (1992) et Doom (1993). Vingt ans après ces premiers titres, au milieu du FPS spectaculaire porté par les séries Battlefield, Call of Duty ou Medal of Honor, les deux séries originelles se sont décidées à revenir sur le devant de la scène avec Wolfenstein : the New Order (2014) et Doom (2016). Si Doom est restée à la main d’Id Software, Wolfenstein revient cette fois avec les Suédois de MachineGames. Dans ce reboot brutal, on sort de la Seconde Guerre mondiale pour délivrer une uchronie dans laquelle l’Allemagne nazie a triomphé grâce à des avancées technologiques remarquables. Notre héros devra donc porter fièrement la parole du monde libre dans un FPS qui sent bon la tradition et la violence, malgré des ennemis parfois un peu trop bien protégés, mais qui pose aussi un récit très critique de la guerre qu’on ne retrouve pas toujours ailleurs.

 

 

Le château du loup

 

La série Wolfenstein a de nombreuses fois changé de main. Dans les années 80, Muse Software fait paraitre Castle Wolfenstein (1981) et Beyond Castle Wolfenstein (1984), deux jeux d’infiltration en vue de dessus, avec des ennemis qui hurlent. Le joueur doit naviguer dans un labyrinthe, se déguiser et réaliser diverses actions pour s’enfuir. Rien à voir donc avec le jeu d’Id Software de 1992, qui part de ce jeu d’infiltration pour en faire un jeu d’action, où votre agent pas secret pour un sou William B.J. Blazkowicz doit sortir du château Wolfenstein en tuant tout ce qui bouge, dont certains petits mutants. Le soft a initié le déplacement en 3D en vue première personne et le hitscan, astuce qui permet de faire comme si vous avez lancé un projectile qui a touché votre adversaire, alors qu’il suffit de cliquer et d’avoir son adversaire dans le viseur pour que ça marche, technique depuis à la base du FPS. Le soft est une énorme réussite, et entraine l’arrivée de Doom et toute la nuée de FPS qui s’ensuit.

 

Dix ans plus tard, en 2001, Gray Matter Interactive sort Return to Castle Wolfenstein avec l’aide lointaine d’Id Software, puis Splash Damage fait paraitre le jeu entièrement multijoueur Wolfenstein: Enemy Territory (2003) et Raven Software s’occupe enfin d’un autre reboot intitulé sobrement Wolfenstein (2009), et aujourd’hui disponible nulle part. Dans un monde où la Seconde Guerre mondiale a disparu au profit de la guerre moderne entre autres Battlefield et Call of Duty, il n’y avait pas l’air d’avoir un marché pour encore un troisième reboot de la série. Et pourtant. Id Software, possédé par ZeniMax Media, rencontre alors Bethesda Softworks, qui possède MachineGames, et leurs discussions font que ces derniers arrivent à récupérer les droits pour développer le prochain Wolfenstein sur le moteur id Tech 5 sur lequel on trouvait déjà le FPS Rage (2011). Pendant que la concurrence sort des jeux de guerre futuriste ou modernes avec Halo 4 (2012), Crysis 3 (2013) ainsi que Titanfall et Call of Duty : Advanced Warfare (2014), le bon Wolfenstein arrive avec ses grosses bottes cloutées, son vieux système de point de vie et d’armure, pour tuer des hordes de nazis, mais avec un twist.

 

Uchronie de nazis

 

Progressivement, le joueur va s’immerger dans une uchronie de plus en plus insupportable. Il retrouve les bottes cirées de Blazkowicz en 1946, où les Alliés en sont encore à essayer de gagner la guerre face à une Allemagne nazie qui commence à utiliser des machineries de plus en plus étranges, et dispose d’un bien meilleur équipement. En esquivant des robots tueurs et des nazis en armure, l’occasion de se frotter au système de jeu, un accident envoie le héros dans un asile psychiatrique pendant une bonne dizaine d’années. Ses facultés motrices se réveillent à l’occasion d’une scène de brutalité nazie typique lui permettant de reprendre le combat. Nous sommes alors en 1960, les nazis ont des super-soldats, des drones, ont colonisé la Lune et ont vaincu l’ensemble des nations alliées de la planète. Ce pitch uchronique rappelle d’ailleurs The Man in the High Castle, roman de Philip K. Dick de 1962 récompensé par le prix Hugo, qui illustre également un monde où les puissances de l’Axe ont soumis le reste du monde.

 

Bien qu’au niveau d’une série B, ce n’est pas tant le déroulé du scénario où on tente de monter une petite révolution qui compte, mais la manière dont c’est raconté. On commence ainsi dans un château comme jadis les précédents softs, on rentre également dans un camp de concentration, un observatoire, une base lunaire. Face à nous se trouvent des moments extrêmement malaisants : une scène de torture au début de l’aventure, une scène étrange d’entrée dans un camp, un des antagonistes à la mâchoire brisée qui promet de se venger, le tout dans un trip parfois émouvant avec un Blasko plus sentimental qu’il ne le laisse paraitre face aux horreurs de la guerre et à ses rêves de paix, ce qui contraste plutôt avec sa capacité à trucider du nazi avec une mitrailleuse lourde. Le ton oscille aussi facilement entre le malaise et le débile, avec des projets plus délirants les uns que les autres. La musique suit le tout avec des moments où elle s’excite à coup de guitares électriques, rendant hommage à l’action, ou bien plus mélancoliques lors des moments plus dramatiques. Quelques morceaux restent ainsi facilement dans la mémoire, participant à l’ambiance générale du soft. Le fait qu’on parle également pas mal allemand est sympathique, même si le doublage français est par contraste un peu moins au niveau, bien que correct. Si le scénario donne envie de poursuivre l’aventure peut-être un peu plus qu’un autre FPS, il n’est pas non plus d’exception. Mais maintenant, faut se castagner.

 

Pas de quartier (libre)

 

Vous aurez remarqué que je dis souvent nazi : ce n’est pas un hasard. Si dans un jeu de guerre de la Seconde Guerre mondiale, on peut se battre en gros contre des soldats allemands, ici tout rappelle que nous sommes face à des nazis : leur barbarie démontrée par des saynètes, leurs armures, les déclarations des héros et le monde forcément très hostile au joueur. L’ennemi est donc clairement identifié, donc pas de quartier. Tuer des hordes de nazis est donc extrêmement gratifiant, surtout que notre Blasko peut porter deux armes en même temps, comme deux fusils à pompe, de précision, d’assaut ou deux pistolets, pour vider encore plus rapidement ses chargeurs mais avec une puissance brute bien sympathique. Le feeling des armes est d’ailleurs correct et on sent bien les impacts. Le fait de ramasser de la vie et de l’armure dans les niveaux ajoutent également un côté traditionnel au FPS, qui pioche allègrement dans les recettes des vieux FPS, en gardant la certaine lenteur du héros et en ajoutant à peine une petite glissade. Pour honorer les vieux jeux Wolfenstein, il y a d’ailleurs des phases d’infiltration, où vous regardez en gros qui se balade et où pour les massacrer avec un pistolet silencieux ou un couteau : chaque élimination donne d’ailleurs lieu à un petit son de furtivité qui fait bien plaisir. Il faut quand même avouer que l’IA des adversaires montre dans ces moments sa limite, avec des ennemis aveugles et sourds.

 

Si les sensations de tir générales sont bonnes, il y a quand même un petit hic. On ramasse de la vie, on ramasse de l’armure, on porte deux armes : le jeu nous crie de foncer dans le tas. Or ce n’est pas exactement comme ça que le jeu vous demande de jouer. Les ennemis visent extrêmement bien, essentiellement grâce au hitscan, donc courir devant eux n’est pas une option. Foncer dans le tas fait fondre entièrement votre vie en quelques instants, alors que des petites pauses derrière un mur ou un couvert pour vider ses chargeurs sur les ennemis, est tout à fait recommandé. Cela l’est d’autant plus face aux sacs à point de vie que sont les super-soldats et autres mechs. Vous devrez vider littéralement tous vos chargeurs dessus, ce qui vous rend parfois extrêmement vulnérable très rapidement une fois que vos munitions sont à court, vous forçant à rester à couvert ou plus sûrement à recharger votre arme à énergie que vous allez débloquer dans l’aventure à des points spécifiques, imposant de courir, de recharger, de tirer, de courir, de recharger et de tirer. Cet aspect très répétitif contraste avec l’impression de puissance et de brutalité qui se dégage du reste de l’aventure où vous massacrez à tour de bras des nazis. A la fin, voir trois mechs se lever en même temps ne me procurait pas vraiment du plaisir et de l’adrénaline pendant que je les assaille à coup de grenades et de roquettes, et je préférais à la limite les moments d’infiltration. Ils agissent en réalité comme des mini-boss pour le joueur, rappelant aussi les vieux FPS, mais aussi créant de vrais pics de difficulté, surtout qu’on manque très souvent de munitions. Enfin, comme fonctionnalité intéressante, on a le fait de remplir certains défis qui permettent de débloquer des compétences, comme des rechargements plus rapides ou le fait de courir plus vite en fonction de si vous êtes un grand infiltré ou un vrai bourrin.

 

Conclusion

 

Wolfenstein : The New Order sort gagnant de son reboot. L’histoire est plutôt prenante grâce à son ambiance générale, à son uchronie, à ses moments durs ou délirants, sans trop en faire. La boucle de gameplay est quant à elle très satisfaisante, en animalisant véritablement les adversaires, en donnant au joueur l’envie de trucider du nazi, avec des armes malheureusement un peu génériques, mais qu’on peut équiper par deux pour plus de sensations mais moins de munitions et de précisions. Le vrai point noir du soft, c’est certains ennemis particulièrement résistants qui imposent au joueur de bourriner, et également l’incitation générale à foncer dans le tas là où le soft se joue bien mieux si on utilise les couverts ou bien qu’on connait le jeu par cœur pour foncer et tirer au bon endroit et au bon moment. Je note ainsi ce jeu Nazi dans méchas sur 20.

 

En tous les cas, MachineGames a par ce soft recréé une franchise, qu’ils ont désormais à cœur de garnir. The Old Blood (2015) revient ainsi comme un préquel à la Seconde Guerre mondiale sur un scénario rappelant les anciens softs, et Wolfenstein II : The New Colossus (2017) emmène Blasko en Amérique pour la suite d’une aventure toujours plus délirante que jamais, surtout quand elle commence aux commandes d’un homme en fauteuil roulant. Par contraste, Youngblood (2019) a été un peu moins apprécié, la faute à un gameplay légèrement différent, tourné vers la coopération. Bethesda a de toute façon confirmé en 2018 qu’un troisième opus était en préparation. De l’autre côté du spectre, le fast-FPS à la Doom a ravi le cœur des joueurs en 2016 puis en 2020 avec Eternal, là aussi en surfant sur le FPS traditionnel, qui a encore définitivement de l’avenir devant lui, face aux séries annualisées qui reviennent peut-être un peu trop souvent sur le devant de la scène.

 

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