La der des ders en FPS – Verdun (2015) et Tannenberg (2019)

« La dernière des dernières » ou la Grande Guerre ou encore la Première Guerre mondiale (1914-1918) a imprimé sa marque dans l’histoire des conflits. On la décrit comme une guerre totale par l’ampleur des moyens et des ressources mobilisées par les Etats pour la conduire, comme meurtrière avec entre 8 et 10 millions de morts rien que pour les soldats, et comme innovante avec l’usage nouveau ou renouvelé des mitrailleuses légères (voir notre article sur les armes légères), des blindés, de l’aviation, du gaz, du barbelé, des sous-marins, de l’artillerie. Et pourtant, ce conflit n’a pas autant inspiré les développeurs de jeux vidéos que le conflit mondial d’après, plus meurtrier, plus divers dans ses théâtres d’opérations, plus mûr en terme de technologies d’armement, et peut-être aussi avec un ennemi plus identifiable, ce qui facilite son traitement vidéoludique, particulièrement dans les jeux de tir à la première personne américains (Medal of Honor, Call of Duty).

 

 

Dans notre dernier article sur les armes légères et le jeu vidéo, nous avons opposé deux tendances dans le jeu de tir à la première personne historique : l’arcade, qui privilégie les sensations de jeu au réalisme, et le tactique, qui favorise l’authenticité. Pour la Première Guerre mondiale, si l’on excepte quelques softs, le FPS est représenté dans sa forme arcade par rien de moins que Battlefield 1 (sic) en 2016, développé par les Suédois de Dice (Star Wars : Battlefront 2), et édité par Electronic Arts. Arcade il pouvait l’être, d’autant qu’il n’incluait, sans extension, ni les Français ni les Russes… On retrouvait néanmoins des graphismes et une ambiance impeccable, de grandes cartes et des modes de jeu intéressants notamment lorsqu’une équipe doit tenir différents points face à l’autre équipe, des sensations de tir qui se veulent plus rustiques que la normale, l’usage des baïonnettes, et des rôles d’escouade intéressants, qui lorgnent du côté tactique. D’un autre côté, le fait que la plupart des joueurs jouent à l’arme automatique, et que les chars soient aussi omniprésents nous rappellent dans quelle cour on joue. Et puis, on retrouve l’approche tactique avec les Néerlandais de Blackmill Games et de M2H qui ont proposé à partir de 2013 quelque chose de plus lent, de plus authentique, avec pour le front occidental Verdun, sorti en early access en 2013 puis en version complète en 2015, et pour le front oriental Tannenberg, qui suit le même chemin entre 2017 et 2019.

 

I. L’enfer des tranchées

 

On se le doute, l’approche est très différente. Comme dans les simulations de combat dont nous avons parlé pour l’époque contemporaine, l’objectif est ici de resituer l’enfer de la bataille. Vous entrez ici dans une escouade parmi plus d’une dizaine, qui représente une nation et différents rôles pour lesquels vous avez différents types d’équipement. Cela va du sous-officier qui peut planifier des frappes de mortiers et ordonner avec son sifflet de défendre ou d’attaque telle position, au scout en passant par le mitrailleur, le poilu ou le nettoyeur de tranchées. Chaque rôle a une poignée de bonus liés à son mode de fonctionnement. Comme pour tout FPS tactique, les armes, si elles ne sont pas vraiment précises, ont un bon recul, et nécessitent une surface pour les mitrailleuses, sont par contre meurtrières. Une balle et c’est terminé, il n’y a plus qu’à revivre sur le sous-officier s’il est encore en vie, ou à la base. N’espérez pas tout le temps revenir vite au combat, bien que la vitesse de retour en partie soit bien plus importante que dans un paquet d’autres FPS tactiques.

 

Le nom de l’escouade apparait en haut, tandis que la mini-carte indique malgré tout les positions alliées, emprunt au FPS arcade, avec les trois autres membres de l’escouade. Bien que moins fin graphiquement qu’un Battlefield, on reconnait néanmoins le no man’s land et l’organisation des tranchées dans les cartes du soft, participant de son authenticité.

 

Le mode de jeu principal de Verdun fait alterner l’offensive et la défensive. L’un des deux camps doit prendre des points, généralement une autre tranchée. Pour cela, il faut traverser le no man’s land, capturer les points, et les tenir pour ensuite les défendre. Si l’offensive rate, c’est l’autre camp qui commence son offensive. Cette alternance permet de suivre la bataille et garde un côté immersif en lien avec l’époque traitée, que le soft partage avec Battlefield 1. Mais ici, à part une carte qui indique les positions alliées, vous n’allez pas voir l’adversaire avant que lui ne vous voie. Et c’est généralement trop tard. Chaque élément de décor peut servir de cachette ou de couverture, pour un poilu afin d’abattre les défenseurs ou les attaquants, surtout dans les longues et étroites tranchées qui sont souvent le théâtre d’affrontements violents. Fusil ou revolver, grenades en fonction du rôle, attention de ne pas abattre un membre de son propre camp car le tir ami est activé. En cas d’attaque au gaz, il faudra également enfiler un masque pour s’en protéger, mais qui restreint le champ de vision. Pour les mitrailleuses ou les fusils de précision, c’est plus complexe : il va s’agir de trouver un bon endroit pour appuyer son escouade, puis de réaliser son action et de bouger au moment où l’on est découvert.

 

Sur des cartes plus forestières, chaque arbre devient un couvert mortel. Si la mort survient rapidement à chaque rencontre inopinée ou à la suite de chaque maladresse de positionnement, les deux softs nous font réapparaitre plutôt rapidement, comme dans un FPS arcade.

 

II. A la recherche de conscrits

 

Verdun s’adapte donc au front occidental, avec boues, forêt ou fort, tandis que Tannenberg se lance plutôt dans les grandes étendues à l’est. Les deux jeux ne diffèrent pas véritablement, ni dans leur moteur graphique, plutôt correct mais qui a subi d’importantes améliorations, ni dans leur ambiance avec les sons plus authentiques des armes, la façon de les réapprovisionner, les cris, les coups de sifflet, le bruit des mortiers. Ce sera plutôt les cartes : plus resserrées dans Verdun, elles s’ouvrent à la capture de secteurs entiers dans Tannenberg. Le véritable point noir des deux jeux reste la base de joueurs. Certes, les développeurs ont rajouté dans les dernières années des bots pour remplir les parties de 32 vs 32, mais le soft ne prend son envol qu’avec des joueurs plutôt qu’avec une intelligence artificielle suicidaire. On peut le regretter, mais se rappeler également que sept années séparent la première phase d’early access de Verdun et aujourd’hui. Par ailleurs, les nouveautés sont trop peu présentes entre les deux softs pour justifier la constitution d’une base de joueurs. On rentre dans les problèmes de temporalité des développeurs indépendants : avec moins de moyens et de personnels, les temps de développement sont plus longs, là où les grands développeurs et éditeurs peuvent se charger de multiplier chaque année les softs.

 

Les tirailleurs sénégalais ont été une des nombreuses additions au soft v, qui a continué d’amasser du contenu mais sur une période assez longue.

 

Cela est regrettable, d’autant que les jeux, malgré le fait de courir dans un no man’s land, de mourir très souvent, et d’être légèrement frustrants, offrent de belles sensations pour celui qui n’a pas peur de ramper dans la boue, de trouver une bonne position, avant d’attaquer une tranchée à la baïonnette, tout ça pour la défendre juste après. Mais le jeu est aussi un brin répétitif dans son mode de jeu principal, et ce ne sont pas les autres modes, qui désignent en gros des batailles plus restreintes d’attrition, une coopération à quatre contre des bots inintelligents, et une mêlée générale, qui permettent de maintenir autant de joueurs sur le long terme. C’est néanmoins une bonne reconstitution de l’enfer des tranchées en jeu de tir à la première personne, et on ne peut que saluer le travail accompli. L’arsenal est d’ailleurs particulièrement complet.

 

Conclusion

 

Si les deux jeux offrent des sensations correctes et resituent la fureur des batailles de la Première Guerre mondiale, la base de joueurs n’a pas forcément suivi les deux équipes de développeurs pendant les sept dernières années. Il sera intéressant de voir si Blackmill Games et M2H vont se lancer malgré tout dans une autre aire géographique, ou bien dans un autre conflit, mais on peut quand même saluer les mises à jour continues qui ont permis d’améliorer la patte graphique, les armes, de rajouter des escouades comme celle des tirailleurs sénégalais pour Verdun, ou même des bots pour staffer les deux camps et garder l’idée d’une bataille massive. Je me pose quand même la question sur la différence entre ces FPS, finalement à mi-chemin du tactique et de l’arcade, face à un Post Scriptum (2018) ou un Hell Let Loose (2019) en pleine Seconde Guerre mondiale, qui fournissent des escouades plus complètes, des cartes bien plus grandes, et une coordination globale permettant de planifier diverses frappes et de s’occuper par exemple du ravitaillement : est-ce l’échelle du conflit qui empêche d’appliquer cette dernière recette à la Première Guerre mondiale, ou bien à sa représentation très statique ? Car dans ce dernier cas, la guerre de mouvement d’un Tannenberg pourrait se marier fort justement avec le système de jeu des softs précités. Affaire à suivre.

 

Liste des jeux vidéos du site.

 

Liste des FPS :

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