Un Bleu Neutre ? (Une histoire de couleurs, épisode 02)

Le bleu apparaît comme une couleur docile, disciplinée, consensuelle, qui trône en tête des couleurs préférées par les Occidentaux depuis les années 1890. Seulement, M. Pastoureau rappelle que le bleu était méprisé dans l’Antiquité, et que le chemin n’a pas été évident pour cette couleur maintenant inscrite dans les jeans et les institutions internationales telle l’ONU.

 

I. Un mépris antique

 

La première barrière à sa reconnaissance tenait aux moyens techniques nécessaires à le fabriquer. Cette difficulté empêchait le bleu de s’inscrire dans la vie sociale, religieuse et symbolique des Romains ou des Grecs. Dans l’Antiquité, il était même infamant de posséder des yeux bleus, synonymes de mauvaise vie. Parallèlement, les Germains utilisaient déjà beaucoup cette couleur. Les Grecs rapprochaient le bleu du gris et du vert, tant et si bien qu’on a parfois cru que leurs yeux ne discernaient pas le bleu. Ce qui n’est pas totalement faux : on ne peut voir que ce qu’on nous a appris à voir. Mais les yeux des Grecs n’avaient aucun défaut particulier.

Carte d’Eratoshtène (276, 194) reconstituée et traduite.

 

On passe de quelques esclaves habillés en bleu à une nouvelle mode dans les deux premiers siècles après Jésus-Christ, au cœur de la période impériale. Le vert, le violet et le bleu se développent, ce qui pousse Pline, Juvénal ou encore Martial à s’insurger contre ces nouvelles pratiques vestimentaires. Dans la Bible hébraïque, qui ne contient aucune mention de couleur, les traductions latines se sont employées à traduire riche par rouge, sale par gris ou noir, et éclatant par pourpre. Pas de place pour le bleu. Même les cartes figuraient la mer verte, noire, ou blanche.

 

II. Du bleu religieux au bleu consensuel

 

Ce sont les XIIe et XIIIe siècles qui modifient la donne, la Vierge portant le bleu devenant son principal promoteur. Le blanc, le noir et le rouge sont par ailleurs trop limités dans une société voulant classifier et hiérarchiser, via les armoiries. Dans le nouveau système de couleurs, le bleu devient le contraire du rouge. Les armoires du roi de France depuis Louis VII (1137-1180) sont alors significatives : l’azur semé de fleurs de lis d’or se veut consensuel et pacifique, contrairement aux armoires dépeignant des monstres et portant le rouge violent, à l’image des armoiries anglaises. La culture des « coques » se multiplie dans les pays de cocagne, créant une véritable industrie capable de concurrencer les marchands de garance (une sorte de rouge), d’autant plus que les églises revalorisent cette couleur dans leurs vitraux.

Un vitrail à Arc-en-Barrois montrant la Vierge.

 

Le rigorisme de la Réforme enclenchée par Luther au XVIe siècle se retrouve aussi dans des couleurs dépouillées, blanc, noir, gris, brun et bleu, bien différents du rouge triomphant de l’Eglise papiste. Le bleu plus ou moins revivifié est suivi par le commerce, puisque l’indigo des Antilles et de l’Amérique Centrale crée des crises économiques dans les régions de cocagne. Vient ensuite le bleu du romantisme, la couleur mélancolique à l’origine du « blues » et enfin le jeans du tailleur Lévi-Strauss en 1850 avec une teinture indigo facile à apposer. Le bleu, d’origine républicaine, face au blanc monarchiste et au noir clérical, finit par se faire déborder par le rouge sur sa gauche et glisse dès lors vers le centre. La couleur bleu est aujourd’hui consensuelle : ONU, UNESCO, Europe, c’est la couleur du calme et de la réflexion.

Vieille publicité pour le blue jeans.

 

Une histoire de couleurs :

 

Autres Point d’Histoire :

 

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