Cigare et dictature – Tropico (2001)

Nous sommes en 2001, et le genre du city-builder a le vent en poupe. Nous avons déjà traité des origines du genre dans un dossier, mais aussi dans divers articles sur l’épisode fondateur SimCity (1989) et Anno 1602 (1998) qui adapte la gestion de chaînes de production héritée de la série Caesar d’Impression Games et de The Settlers de Blue Byte au XVIIe siècle et aux îles. Il sera encore question d’île avec Tropico, mais avec une thématique beaucoup plus originale, centrée sur la Guerre Froide.

 


Un style un peu industriel pour Railroad Tycoon II (1998).

 

Après trois épisodes de The Settlers, un Anno 1602, et sans compter Pharaoh (1999) et Master of Olympus : Zeus (2000) développés par les créateurs de Caesar pour adapter l’Egypte et la Grèce antique, les développeurs de PopTop Software décident de se lancer dans le jeu et d’insuffler un brin de folie et d’humour dans ce genre plutôt sérieux et aux mécaniques bien huilées, après une simulation de société de chemins de fer, Railroad Tycoon II (1998). Voyons cela de suite.

 

I. Citoyennes, citoyens

 

Le cœur de vos îles, ce sont vos citoyens. Contrairement aux séries précitées, ils ne sont pas rangés dans de grandes catégories exprimant pour chacuns leurs besoins pour évoluer, et les traitant uniquement par groupes entiers. Car vos citoyens ont ici un sexe, un âge, une famille, un travail, une paye, un logement, et un certain nombre de jauges, personnelles, marquant leur attachement aux divertissements, à la religion, au confort, ou même au respect envers votre personne de président de leur île. On pense un peu aux Sims (2000).

 

 


Cette Miguela a un certain nombre de jauges pour déterminer son humeur en tant que citoyenne, future votante, et membre d’un groupe de pression allant du capitalisme au communisme en passant par le militarisme. Nourriture, maison, religion, divertissement, soins, ordre public, environnement, liberté, travail et respect du président sont des données uniques pour chaque citoyen. Vous pourrez toujours voir pourquoi untel ou untel est mécontent. Sans compter que les différents onglets vous montreront la famille de l’individu, ses études, ses dernières pensées, etc.

 

Tout comme un god game à la Populous, vous êtes à la fois maître pour ce qui est de votre volonté de passer des édits et de construire divers bâtiments, et simple spectateur face à ce que vos citoyens feront de tout cela, et c’est en cela que Tropico se distingue des autres city-builder, où le joueur est davantage omniscient. Vous posez un bâtiment, mais ce seront vos citoyens constructeurs, qui auront choisi ce travail parmi ceux disponibles, qui iront le construire s’ils ne sont pas en train de se détendre dans un cabaret ou de prier à l’église. Si vous avez des structures d’éducation et des édits favorisant la formation des masses, votre population la plus jeune se retrouvera ou non dans les écoles et collèges que vous aurez ouverts. Ce ne sont que quelques exemples de cette décentralisation du genre.

 


Ce citoyen ne posera plus problème. Car il est mort. En pleine rue. A côté du magasin qui vend de la nourriture. Glorieux.

 

II. Le travail de la plèbe

 

Ces citoyens, au départ, vivent dans des habitations de fortune, pauvrement. La première chose qu’ils vont chercher à faire est de trouver de la nourriture et un travail. Chacun de vos bâtiments de production ou de service peut accueillir un à plusieurs travailleurs, qui seront payés avec un salaire modulable selon vos choix. Au départ, un agriculteur est à 5 dollars par mois. S’il faut se serrer la ceinture pour la trésorerie, vous pourrez diminuer le salaire. Si vous voulez que votre agriculteur ait les moyens de payer la location d’un immeuble que vous avez construit pour améliorer son confort et pouvoir l’imposer, peut-être serait-il de meilleur ton d’augmenter son salaire. De même, si vous voulez que vos citoyens aillent dans vos cabarets et vos structures d’amusement pour claquer leur paie, il faut déjà qu’ils aient de quoi, n’est-ce pas ?

 


Au centre vous voyez le camp de bûcherons. Vous voyez dans les chiffres que depuis le début de ma partie, il m’a rapporté la coquette somme de 114 000 dollars. A droite vous voyez les améliorations disponibles, et en-dessous, les travailleurs. Ici, tout le monde est présent, et le salaire est fixé à 12 dollars par mois. Juste en dessous on peut choisir des options supplémentaires pour le travail. Notez que ma partie est assez avancée puisque je suis arrivé à 2003. N’ayez crainte, vous aurez le temps de vous fader la Guerre Froide sans aucun problème.

 

Les bâtiments sont donc rangés dans diverses catégories. Vous avez avant toute chose les fermes, qui pourront produire le maïs nécessaire au moins à la survie de vos citoyens, ainsi que des fermes plus productives en fonction du terrain, qui serviront à l’exportation, des bananes au café en passant par le tabac. De même, vous pourrez construire des mines et des ateliers de bûcherons où vos masses non éduquées iront travailler, et qui est une bonne base pour l’exportation de matières premières, de quoi alimenter votre trésorerie bien chiche en début de partie. Sans oublier que vous avez vos dockers pour charger les navires de vos produits, vos entreprises de construction avec ses ouvriers qui se baladent sur l’île pour construire vos projets, et vos entreprises de transport qui serviront à l’ossature du transfert de ressources d’un bout à l’autre de l’île.

 

III. Des loisirs et de l’intellect

 

Et ensuite, il faudra investir, parfois difficilement, dans des industries plus élaborées, qui transformeront par exemple votre bois en planche, puis en fournitures, pour vendre le tout bien plus cher… Si vous avez les travailleurs éduqués requis pour ce type de poste. Car pour des postes à haute responsabilité, il faudra un minimum d’éducation. Vous pourrez faire venir de l’étranger à l’aide d’un bureau d’immigration des expatriés ayant divers diplômes, ou bien en recruter en les débauchant vous-même à l’aide d’espèces sonnantes et trébuchantes, mais ça ne sera pas suffisant, car il y a beaucoup de postes de ce genre : capitaines de l’armée, gardes personnels, professeurs, administrateurs, magasiniers, tant et si bien que vous pourrez, si vous le voulez, ouvrir vous aussi vos propres écoles pour former localement.

 


Un petit cabaret miteux qui me rapporte bien peu mais apporte au moins un peu de divertissement : trois danseuses payées 12 dollars et des touristes qui vont et viennent, payant leur entrée 5 dollars. A vous de rendre ça un peu plus productif.

 

Mais il ne faudra pas oublier que chaque habitant de votre île a ses besoins, ses envies, ses acoquinements avec les militaristes, les capitalistes, les communistes et j’en passe, et est surtout un électeur potentiel. Certes, vous êtes un président avec tous les pouvoirs, mais si vous le perdez, vous n’aurez plus que l’argent disponible sur votre compte en banque en Suisse pour pleurer… Et si vous refusez l’élection, gare aux révoltes. Du même coup, il faudra monter des églises et des hôpitaux, construire des habitations moins rudimentaires, offrir des cabarets et des restaurants à votre population, ainsi que vous faire respecter avec l’ordre, ce qui devrait vous permettre si tout le monde est content de vous faire réélire encore et encore. Les salaires seront donc à ajuster tout au long de l’aventure, en particulier celui de vos gardes personnels, car il serait dommage qu’ils se révoltent n’est-ce pas ?

 

 


Le bilan de Tropico : des tas de gens plus ou moins contents. Et les plus contents, ce sont bel et bien les militaires. Vu comment je les paye aussi… La sécurité n’a pas de prix !

 

IV. Dictateur en herbe

 

Tout cela ne doit pas vous faire oublier qu’en tant qu’apprenti-dictateur d’un pays tropical, vous êtes en pleine Guerre Froide, partagé entre l’URSS et les Etats-Unis. Après le profil que vous pouvez paramétrer pour accorder bonus et malus à votre « président » en herbe, vous devrez en effet apprendre à jongler entre les structures de base pour vos citoyens, les infrastructures, vos moyens de protection ou d’indépendance, vos industries exportatrices, les structures de tourisme pour accueillir occidentaux en mal de soleil, et même vos propres centrales électriques si vous en avez les moyens. Vous aurez même de quoi promulguer des décrets, qui permettront une double ration de nourriture, une exonération d’impôts, magouiller pour détourner une partie de l’argent public sur un fonds en Suisse, se rapprocher d’un des deux Grands, organiser des élections, éliminer des gêneurs : à vous de mettre la main au portefeuille et de choisir quel dictateur vous serez.

 


Une sécurité sociale coûtera de l’argent, mais le bonheur de vos citoyens, et surtout votre réélection prochaine, ont-ils vraiment un prix ?

 

Vous bénéficiez en effet de l’aide au développement jusqu’à un certain point, mais aussi d’une relation à ménager entre les deux Grands. Privilégiez l’un, et l’autre vous menacera, organisera un blocus économique et tâchera de vous mener la vie dure. Mais attention de ne pas trop privilégier un camp pour éviter d’avoir une base militaire sur votre île et des ordres venant directement de la Maison Blanche ou du Kremlin, car cela pourrait finir en guerre ouverte si vous ne respectez pas leur injonction. Vous aurez malgré tout aussi l’occasion d’avoir une armée pour vous épauler, mais ceci vous coûtera un peu d’argent, surtout si vous visez la totale indépendance.

 

Conclusion

 

Porté par sa musique chantante, l’humour derrière la pauvreté, la mort et les querelles géostratégiques matérialisés dans les divers événements qui rythment la vie de votre petite île, Tropico s’impose comme un jeu de gestion complet et vivant. Seuls ses graphismes un peu sommaires peuvent faire tâche. Mais ce serait dommage. Le jeu est inventif, mêle les systèmes les uns aux autres, est assez ardu, notamment dans l’équilibrage entre budget, constructions et bonheur de votre population, et permet de distinguer chacun des citoyens avec sa vie, son emploi, ses envies. Un petit bijou en somme.

 


Le futur Tropico 6, un concentré de dictature à travers les âges.

 

Après un deuxième épisode qui se centre sur la vie d’une île de pirates et de flibustiers dans Tropico 2 : Pirate Cove (2003), et développé par Frog City Software, la série a connu une petite traversée du désert jusqu’en 2009 après le rachat de la franchise, lorsque les Bulgares d’Haeminont Games publieront le troisième, quatrième et cinquième épisode entre 2009 et 2014, avant de partir développer Surviving Mars (2018) dont nous avons parlé dernièrement. Un futur sixième épisode va bientôt voir le jour, sous la férule des Allemands de Limbic Entertainment qui ont développé les derniers Might & Magic Heroes entre 2011 et 2015. On leur souhaite du courage pour prolonger cette licence qui fête ses 17 ans.

 

Liste des city-builder :

 

Liste des jeux vidéos du site.

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