Comprendre les relations internationales – Approche paradigmatique (I)

Les « relations internationales » ou RI ont été construites au XXe siècle tour à tour comme une branche de la science politique, puis comme une discipline universitaire à part entière, rangée dans les sciences humaines et sociales, et particulièrement active dans les pays anglo-saxons. Les RI visent à étudier les transactions à l’œuvre au-delà des frontières des Etats. Les auteurs séparent traditionnellement le milieu interne des Etats, contrôlé par une autorité centrale et organisée, du milieu externe, sans autorité supérieure, et décrite comme étant une « anarchie ». Celle-ci est le point de départ théorique de la discipline : il s’agit de savoir ce qu’il s’y passe. Cette définition qui apparait simple masque la diversité des approches des différents paradigmes, qui se demandent notamment :

  • qui est l’acteur de référence : l’Etat, les organisations, la société ou les individus ;
  • quelle est la nature de ces relations : guerre et paix, sécurité, économie, coopération, … ;
  • quel est le lien entre l’agent ou l’acteur et la structure ou scène internationale : indépendance, interdépendance.

 

Contrairement à l’idée développée dans le jeu vidéo Spinnortality et à ce qu’on appelle le complotisme ou conspirationnisme, mettant en scène un groupe de personnes qui déciderait de la destinée du monde, les relations internationales s’intéressent à l’anarchie du système international, et à la nature des relations entre les acteurs que sont les Etats dans ce cadre.

 

Ces paradigmes, décrits par des « -ismes », forment une triade principale, réalisme, libéralisme et constructivisme, et questionnent ainsi l’essence de la discipline, son point de départ et sa méthodologie. Pour y voir plus clair, et aider au décryptage du monde dans lequel nous vivons, je vous propose deux articles introductifs synthétiques, construits principalement sur la base de deux ouvrages présentant les théories (au pluriel) des relations internationales : la somme du Professeur Dario Battistella, et des docteurs Jérémie Cornut et Elie Baranets d’une part, et la synthèse du directeur de l’Institut de recherche stratégique de l’Ecole militaire (IRSEM) Jean-Baptiste Jeangène-Vilmer d’autre part. Dans ce premier article, nous verrons l’approche paradigmatique, avant de voir l’approche sectorielle dans un second article (image d’entête : assemblée générale de l’ONU).

 

I. Tradition des idées politiques

 

Le père de la discipline est souvent désigné comme étant Thucydide, qui décrit au –IVe siècle la Guerre du Péloponnèse, opposant la Ligue de Délos contrôlée par Athènes à la Ligue du Péloponnèse dirigée par Sparte, dans un récit qui s’attache à décrire les étapes du conflit de manière rationnelle et sourcée, expliquant le comportement conflictuel des cités-Etats et les stratégies mises en œuvre. Dario Battistella distingue quant à lui trois grandes traditions de penseurs des idées politiques qui ont influencé les paradigmes des relations internationales établis au XXe siècle. Il est néanmoins illusoire d’imaginer des traditions et des paradigmes stricts, fermés et hermétiques. Ils communiquent obligatoirement les uns avec les autres.

  • Les réalistes : ils pensent l’anarchie comme constante. Celle-ci détermine dès lors le comportement des Etats, acteurs égoïstes de référence. On y retrouve la pensée de Thomas Hobbes du Léviathan, qui décrit l’état de nature violent dans lequel vivent les hommes avant le contrat social aboutissant à l’Etat, appliquée entre les Etats souverains et expliquant les conflits réguliers. La paix y est définie négativement, c’est-à-dire qu’elle marque une trêve entre deux périodes de guerre, et le postulat est fondamentalement pessimiste.
  • Les libéraux : l’anarchie est vue comme une variable évolutive, qui dépend des préférences subjectives des sociétés, composées d’individus formant l’unité fondamentale de la scène internationale. On y retrouve la pensée de Locke ou encore du juriste Grotius, décrivant le besoin de vie sociale pacifique des sociétés. Les guerres sont limitées temporellement, et laissent place à des périodes de paix marquée par des accords et des traités.
  • Les globalistes : l’anarchie est un moment au sein d’un processus d’émergence d’une communauté mondiale, qui deviendra une paix perpétuelle (Kant) ou verra le triomphe du prolétariat (Marx).

 

Ce n’est pas un hasard si le Centre Thucydide de recherche en relations internationales porte le nom de l’historien grec qui s’est attaché à définir les causes et conséquences de la rivalité entre deux puissantes alliances, la Ligue de Délos et la Ligue du Péloponnèse, et deux types de puissances, navale et terrestre.

 

Pistes de lecture :

  • GROTIUS, Hugo, Le droit de la guerre et de la paix, 1625
  • HOBBES, Thomas, Léviathan, 1651
  • LOCKE, John, Traité sur le gouvernement civil, 1690
  • ROUSSEAU, Jean-Jacques, Du Contrat Social, 1762

 

II. Les grands paradigmes

 

a) Guerre et Etat, le réalisme

 

Le réalisme s’est construit autour du postulat que l’état d’anarchie entraine un état de guerre, car aucune autorité supérieure n’empêche l’exercice de la violence armée. L’acteur principal, depuis la mise en place du système westphalien au XVIIe siècle, est l’Etat-nation, organisé territorialement, et représentant un acteur rationnel unitaire dont le but est de maximiser son intérêt national. Sa puissance est relative aux contraintes du système international. Ce système est donc caractérisé par un équilibre de la puissance, qui assure un mode de régulation de l’anarchie. Cela implique ainsi que le recours à la guerre est un moyen rationnel comme un autre si la politique extérieure pacifique ne satisfait pas l’intérêt national de l’Etat, que les organisations internationales et non-internationales ne sont pas autonomes car elles agissent par l’intermédiaire des Etats, que la politique extérieure est indépendante de la politique intérieure, et que le droit international n’est respecté que si les grandes puissances le respectent. Le réalisme classique s’est mis en place dans les années 20 pour faire face au libéralisme « idéaliste », tandis que le néoréalisme s’est construit autour d’une volonté poussée de théorisation, s’inscrivant face au néolibéralisme dans le troisième débat interparadigmatique. Le réalisme néoclassique tente récemment de réaliser une synthèse entre le néoréalisme et le réalisme classique.

 

La ratification du traité de Münster par Gerard ter Borch illustre la fin de la négociation de la paix de Westphalie, tenue de 1644 à 1648, qui met fin à deux guerres et illustre en RI la création d’un monde westphalien où l’acteur de référence est l’Etat-nation (Wikipedia).

 

  • Réalisme classique : à la croisée des sciences humaines et sociales (sociologie, histoire, droit, économie), il est l’œuvre d’Edward H. Carr, qui décrit la politique de puissance des Etats, et de Niebhur, un réaliste à qui le Président Obama a rendu un hommage appuyé, qui parle négativement de la nature humaine : la volonté de vivre est en effet complétée par une volonté de puissance, qui est multipliée au sein des Etats. Hans Morgenthau tâche de fonder une théorie réaliste sur la différence entre milieu interne et milieu externe. Dans chacun de ces milieux, l’Etat adopte une politique de puissance, qui s’applique différemment dans le cas du centralisme interne et de l’anarchie externe.

 

  • Réalisme aronien : pour Raymond Aron, qui ne pense pas qu’une théorie des RI soit possible, la spécificité des RI consiste en la légitimité et la légalité du recours à la force armée par les Etats, ces RI se déroulant « à l’ombre de la guerre », face à l’absence du monopole de la violence légitime sur la scène internationale. Mais la définition de l’intérêt national n’est pas fixe, la conduite diplomatico-stratégique étant indéterminée, et la recherche de l’intérêt national étant le but plutôt que la cause. Raymond Aron considère que la nature interne des Etats importe pour déterminer leur conduite. Il distingue ainsi deux systèmes internationaux, qui se fondent sur la concordance entre les systèmes de valeur interne de chacun de ces Etats : le système homogène est ainsi plus stable et moins conflictuel que le système hétérogène, matérialisé dans la Guerre Froide entre deux blocs opposés.

 

  • Néoréalisme : le courant néoréaliste est surtout porté par Kenneth Waltz, qui souhaite aller plus loin dans la théorisation, en considérant que c’est la structure du système international qui détermine les actions des Etats. Il définit ainsi le système international autour de trois principes : le principe ordonnateur, qui décrit la différence entre milieu interne (monopole violence, central, hiérarchisé) et milieu externe (décentralisé, anarchique) ; le principe d’indifférenciation, qui indique que tous les Etats recherchent avant tout la sécurité et organisent une politique du self-help ; le principe de distribution des capacités matérielles, aboutissant à un équilibre des puissances, d’autant plus stable qu’il est bipolaire car limitant les alternatives et évitant les zones de flou. Un autre néoréaliste, Robert Gilpin, écrira au contraire qu’un système unipolaire et hégémonique est plus stable, la puissance matérielle rejoignant la puissance technologique, économique, et la mise en place d’un système de normes partagée par tous mais émanant de la puissance dominante. Mearsheimer développe quant à lui une différence entre réalisme défensif et réalisme offensif. Dans ce dernier type, la maximisation démesurée et constante de la puissance s’opposera toujours à la stabilité du système international, dans une vision pessimiste.

 

Pistes de lecture :

  • ARON, Raymond, Paix et guerre entre les nations, 1962
  • MEARSHEIMER, John, The Tragedy of Great Power Politics, 2001
  • MORGENTHAU, Hans, Politics Among Nations ; the Struggle for Power and Peace, 1948
  • NIEBHUR, Reinhold, Moral Man and Immoral Society, 1932
  • WALTZ, Kenneth, Theory of International Politics, 1979

 

b) Commerce et institutions, le libéralisme

 

Le libéralisme consacre la primauté de l’individu rationnel et la croyance dans le progrès, inspiré de la pensée des Lumières. Il définit les structures internes des Etats comme l’acteur de référence, qui influencent l’identité et l’intérêt de l’Etat et donc son comportement sur la scène internationale. La première vague du libéralisme s’inscrit dans l’histoire de la discipline à la suite de la Première Guerre mondiale, point de départ de la discipline des RI. Ce libéralisme « idéaliste », qui sera combattu par la vision « réaliste », reprend les paradigmes du libéralisme classique issu d’auteurs antérieurs, mais sur des bases empiriques moins naïves que ce qui en a été rendu dans la critique de leurs positions par les réalistes. Les auteurs distinguent trois traditions du libéralisme classique avant le XXe siècle, qui ont irrigué la pensée libérale du début du XXe siècle, en postulant l’idée d’une harmonie naturelle qui passerait par la diffusion de la démocratie, du commerce, ou de la mise en place d’institutions internationales :

  • Libéralisme républicain ou démocratique : il défend l’idée que la paix internationale passera par la diffusion de la démocratie, seule capable de faire entendre la voix des citoyens face au conflit, rappelant la vision de la paix perpétuelle défendue par Emmanuel Kant.
  • Libéralisme commercial : il s’agit de parler du partage des intérêts dû au commerce entre les Etats, qui limiterait en définitive l’emploi de la violence, selon le topos du « doux commerce » tiré de l’œuvre de Montesquieu dans l’Esprit des Lois.
  • Libéralisme institutionnaliste ou régulatoire : selon la vision d’un Grotius ou d’un Locke, les Etats doivent être liés par consentement pour former une gouvernance mondiale qui permettrait d’être factrice de régulation des relations entre les Etats.

 

Hugo Grotius est un juriste des Provinces-Unies à la base de la théorie du droit international, et prônant une société d’Etats respectant autre chose que la force. L’Ecole anglaise en fait un précurseur (Wikipedia).

 

L’harmonie « naturelle » est abandonnée dès la mise en place du libéralisme « idéaliste », plus interventionniste. Après la Seconde Guerre mondiale et le triomphe du réalisme, la pensée libérale sera réactivée par le biais de l’Ecole anglaise des relations internationales, puis par la tentative de théorisation d’Andrew Moravisck, ainsi que ses liens avec le transnationalisme, souvent décrit comme une variante du libéralisme.

 

  • Libéralisme « idéaliste » : les trois tendances classiques se retrouvent dans l’entre-deux-guerres, avec des auteurs qui défendent une forme d’interventionnisme pour défendre ces visions, que ce soit par la régulation des relations commerciales vue par John Hobson ou de la mise en place d’une gouvernance mondiale comme le représentait à l’époque la Société des Nations.

 

  • Ecole anglaise : elle s’est formée à partir des travaux d’Hedley Bull, avec un stato-centrisme ancré dans la tradition du libéralisme institutionnel. Les acteurs sociaux, ici les Etats, émettent des règles et en assurent l’exécution car ce sont des êtres rationnels qui voient leur intérêt commun en constatant le désavantage du chaos des relations non régulées. Le corps politique mondial forme ainsi une société internationale, partage des intérêts, des valeurs et un ensemble de règles, dans deux modes d’organisation qu’on peut voir ci-dessous. Barry Buzan y rajoutera la vision individuelle, qui permet de voir une triade : le système international réaliste hobbesien, une société internationale rationnelle grotienne, et une société mondiale révolutionnaire kantienne.
    • Société internationale pluraliste : les Etats autorégulent leurs relations mutuelles pour préserver l’ordre et la stabilité du système afin d’assurer leur liberté et leur indépendance.
    • Société internationale solidariste : les Etats vont plus loin en respectant des normes de conduite et les droits humains, par la mise en place de règles, qui limitent l’usage de la force, actent la non-ingérence et le respect de la parole donné, et par la mise en place d’institutions, créant un concert des puissances régulant les dialogues diplomatiques et actant un équilibre de la puissance.

 

  • Libéralisme international : aux Etats-Unis, le renouveau du libéralisme se fait autour de l’auteur Andrew Moravisck qui veut développer une théorie libérale de la politique internationale. L’acteur fondamental de la politique internationale est l’individu, qui forme des groupes privés. Ceux-ci influencent la prise de décisions de l’Etat, préposé aux intérêts matériels et idéels. La politique gouvernementale est donc contrainte par les identités et les pouvoirs des individus faisant pression sur les décideurs. L’Etat est un acteur collectif, et c’est cette prise de décision à son échelle qui a un impact sur son positionnement sur la scène internationale, en rapport avec le comportement des autres Etats, dans le but de satisfaire les préférences des individus. En fonction du rapport de ces préférences entre les différents Etats, on peut ainsi identifier des intérêts communs, opposés ou partagés. L’anarchie y est donc vue comme variable, car elle dépend du lien entre les sociétés civiles et le gouvernement, et se base sur l’idée qu’un individu rationnel a une aversion des risques.

 

Piste de lecture :

  • BULL, Hedley, The Anarchical Society, 1977

 

c) L’intersubjectivité, l’approche constructiviste

 

Elle vise à répondre à la difficulté à saisir les évolutions de la scène internationale à la fin des années 80, et consacre l’étude de la réalité sociale par les relations intersubjectives, où agents et structures se constituent mutuellement. Ces catégories n’existent ainsi pas en soi, mais sont constituées et reconstituées par les croyances partagées des acteurs, actant de l’impact des idées sur les relations internationales, qui façonnent les intérêts, les identités et les croyances. Le représentant essentiel de cette approche est Alexander Wendt, qui analyse les courants des RI en deux diptyques :

  • le diptyque sur la réalité sociale opposant matérialisme et idéalisme, allant du rapport de forces matérielles (puissance brute) à l’impact de la signification donnée par l’acteur à ce rapport de force (idée) ;
  • le diptyque sur la relation entre agent et structure opposant l’individualisme et le holisme, allant de la séparation claire entre les deux au profit de l’intérêt national, à un système où intérêts et identités des agents évoluent en même temps que la structure.

 

L’ouvrage à la base de la théorie constructiviste.

 

Selon cette grille de lecture, le réalisme serait ainsi matérialiste et individualiste en consacrant la puissance brute individuelle des Etats, le libéralisme serait idéaliste et individualiste en consacrant l’impact des idées et d’autres acteurs sur la structure des RI, le marxisme serait matérialiste et holiste en consacrant la force brute dans un monde d’interactions entre agents et structures, et enfin le constructivisme se présente comme idéaliste et holiste, démontrant comment les idées façonnent le monde. La place des identités est donc prégnante. Elles sont décrites comme étant de corps (interne), de type (régime, système économique), de réel (place des relations) et collective (identifications avec d’autres Etats). L’intérêt national d’un Etat est donc constitué de normes et de valeurs en lesquelles il croit. Pour faire la synthèse de l’ensemble des débats paradigmatiques, Alexander Wendt décrit ainsi les relations sur la scène internationale comme pouvant être de trois cultures :

  • la culture hobbesienne qui décrit une relation d’ennemi où la guerre est la seule solution ;
  • la culture lockienne, où les rivaux ont une divergence d’intérêts mais ne menaceront pas leurs souveraineté ;
  • la culture kantienne des amis aboutissant à la communauté de sécurité.

 

Pour compléter son propos, il définit trois degrés d’intériorisation : le 1er degré où l’on contraint à partager cette culture, le second degré où l’intérêt nous pousse à partager cette culture, le troisième degré enfin où la culture commune semble légitime, illustrant l’évolution des idées. L’anarchie du système international est ainsi ce que les Etats en font, la politique de puissance n’étant pas un caractère de l’anarchie mais un processus d’Etat.

 

Piste de lecture :

  • WENDT, Alexander, Social Theory of International Politics, 1999

 

III. Autres approches paradigmatiques

 

a) Le transnationalisme, une variante du libéralisme ?

 

La vision transnationaliste décrit les individus et la société civile comme des acteurs à part entière, ne passant pas nécessairement par l’Etat comme le décrit le libéralisme de l’Ecole anglaise ou de Moravisck. Face aux échecs des paradigmes traditionnels réalistes et libéraux à décrire la défaite militaire des Etats-Unis au Vietnam, le choc pétrolier ou le rôle des entreprises privées à l’international, certains théoriciens vont ainsi décrire un certain nombre d’acteurs qui viennent participer aux relations internationales. Karl Kaiser parle ainsi de société transnationale, où les acteurs sociétaux interagissent entre eux malgré leur appartenance à des systèmes nationaux différents. Il définit ainsi les relations transnationales comme construites dans un espace mondial, qui échappent au moins partiellement au contrôle et à l’action médiatrice des Etats. Cette approche illustre une vision transnationaliste, décrite dans un certain nombre de travaux.

 

Les paradigmes réalistes et libéraux ne rendent pas compte de certains événements durant la Guerre Froide, comme le choc pétrolier de 1973. Cela pousse les chercheurs transnationalistes à cherche une autre grille d’analyse (Wikipedia).

 

  • Transnationalisme étatique : l’œuvre de Robert Keohane et de Joseph Nye s’intéresse à la « politique mondiale ». Les trois acteurs, gouvernementaux, sub-étatiques et non-étatiques ne sont pas séparés hermétiquement, les milieux interne des Etats et externe de la scène internationale sont en contact, l’approche militaire n’est pas prédominante, et une interdépendance, certes asymétrique, se met en place. Les relations transnationales viennent s’ajouter aux relations interétatiques et intergouvernementales, en étant définies comme des mouvements transfrontaliers de biens tangibles et intangibles dont au moins un des deux acteurs n’est pas un Etat. La puissance est diluée et redistribuée entre les différentes acteurs, mais l’Etat garde son rôle central comme instance de régulation. Il n’est donc pas étonnant que Robert Keohane s’inscrive par la suite dans le néo-institutionnalisme libéral en décrivant comment les régimes internationaux mis en place par les Etats-Unis subsistent, même après l’hégémonie, et que Joseph Nye invente la notion de soft power, décrivant le maintien de l’influence internationale des Etats-Unis par d’autres moyens que ceux militaires.

 

  • Transnationalisme non étatique : des transnationalistes s’éloignent du primat de l’Etat. John Burton oublie ainsi la politique mondiale au profit de la société mondiale, qui est décrite grâce à l’image de la toile d’araignée, illustrant la toile des interactions à tous les niveaux, loin de l’analogie des boules de billard de Wolfers où celles-ci représentent seulement les Etats qui viennent s’opposer à l’occasion par un choc. La multiplication des acteurs et de leur interaction montrent ainsi la fin de la séparation entre milieu interne et externe. Ces interactions sont décrites comme des turbulences par James Rosenau. L’irruption de nouveaux acteurs participe en effet au déclin de la capacité des Etats à agir par eux-mêmes et affaiblit la régulation du système westphalien, aboutissant à la nécessité de créer une gouvernance globale qui répond à ce monde mixte. Une dynamique contradictoire se met alors en place, la fragmégration, où d’une part les réseaux d’individus et les nouvelles solidarités sont intégrés dans l’espace politique mondial, et où d’autre part cette multiplication des acteurs et des sphères de pouvoir fragmente l’espace international.

 

  • Globalisation: à la marge, les auteurs de la globalisation sont divisés en trois grandes écoles : les hyperglobalistes qui parlent du triomphe de l’économie, les sceptiques qui refusent ce postulat de globalisation, et les transformationnistes qui veulent montrer comment le monde se reconfigure avec l’ensemble de ces nouveaux liens.

 

Pistes de lecture :

  • BURTON, John, World Society, 1972
  • KEOHANE, Robert, NYE, Joseph, Power and Interdependance, 1977
  • ROSENAU, James, Turbulence in World Politics. A Theory of Change and Continuity, 1990

 

b) Autres approches

 

Les auteurs des deux manuels mentionnent aussi d’autres types de théoriciens. Par exemple, Robert Cox est un théoricien critique qui trouve problématique la notion même de théorie des relations internationales : celle-ci porte ainsi une vocation hégémonique voire performative. Parmi les autre paradigmes, on retrouve le post-positivisme, le féminisme et le marxisme. Dans ce dernier paradigme, l’unité de l’analyse est les classes, dans un mode de production capitaliste, où l’Etat représente les intérêts économiques et politiques de la classe dominante. Les auteurs qui s’y rattachent analysent le lien entre domination et économie.

 

Dans l’oeuvre riche de Karl Marx, on retrouve l’idée de matérialisme historique : l’histoire est ainsi déterminée par les rapports sociaux des individus ou groupes d’individus, essentiellement sous forme de classes sociales, et par l’évolution des moyens de production (Wikipedia).

 

  • Impérialisme : chez Lénine, l’expansionnisme et la colonisation sont organisées pour étendre les possibilités économiques de la classe dominante et freiner la paupérisation des classes laborieuses.
  • Centre et périphérie : on retrouvera cette pensée dans l’école de la Dependencia, active en Amérique latine, où l’échange économique est décrit comme inégal, avec des relations centre-périphérie problématiques, qui apparait sous la plume de Johan Galtung comme une relation violente de domination, matérialisée par l’influence du centre.
  • Système-monde : Immanuel Wallerstein parle quant à lui de système-monde. Si l’empire-monde centralise les ressources pour les redistribuer, l’économie-monde, bien que multicentrée et régulée par le marché, avantage tout de même le centre. Celui-ci concentre les travaux à haute valeur ajoutée, la périphérie concentre les matières premières dont le surplus enrichit le centre avec une collusion des élites, tandis que la semi-périphérie sert à la délocalisation en tant que réserve de main d’œuvre.

 

 

Conclusion

 

Avant de saisir les approches sectorielles qui permettent d’étudier en creux les relations interétatiques, les approches en « -ismes » nous permettent de saisir des théories qui ont un impact certain sur la manière de percevoir le monde, à travers différentes grilles d’analyse mettant en relation divers acteurs et structures. A ce titre, on pourrait croire à la manière des critiques que théoriser les relations internationales, c’est donner du sens et une cohérence à un entrelacs de relations complexes, ayant pour corollaire l’établissement d’une hégémonie intellectuelle délétère qui radicaliserait les opinions et transformerait les pratiques en fonction. Sans pouvoir conclure sur cela, nous verrons dans le prochain article comme étudier les RI par l’étude de secteurs : politique étrangère, diplomatie, intégration, coopération, économie politique internationale, sécurité et guerre et paix.

 

Bibliographie :

  • Battistella, D., Cornut, J., Baranets, E., Théorie des relations internationales, Presses de Sciences Po, 2019 (6e éd.), Paris, 800 p.
  • Jeangène Vilmer, J.-B., Théorie des relations internationales, Que sais-je ?, mars 2020, Paris, 127 p.

 

Comptes-rendus de stratégie et RI  :

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