Hôpital et humour noir – De Theme Hospital à Two Point Hospital (1997-2018)

La santé est un domaine important de notre vie, et l’actualité récente ne le prouve que trop bien. A ce titre, créer un jeu vidéo dans cet univers relève de la gageure, et SimHealth (1994), développé par Thinking Tools et publié par Maxis sur un moteur graphique proche de celui de SimCity (1989), en est un avatar : il est moins un jeu qu’un simulateur de politiques publiques très sérieux en lien avec le système de santé américain. Pourtant, les Britanniques de Bullfrog Productions (1987-2001), studio fondé par Peter Molyneux et Les Edgar, n’en sont pas à leur premier essai dans l’anticonformisme : après avoir créé rien de moins que le genre du god game avec Populous (1989), et avoir créé le jeu de gestion parodique Theme Park (1994) où les installations récréatives ne sont qu’un prétexte pour ramasser un maximum d’argent, ils font paraitre en 1997 Theme Hospital, la même année que la gestion de donjon du seigneur du mal Dungeon’s Keeper.

 

Le jeu laisse place à la simulation de politiques publiques dans SimHealth.

 

Dire que le soft prend le contrepied de SimHealth est un euphémisme : non seulement il s’agit d’abord de gérer directement l’hôpital, avec des salles de diagnostic et de traitement, au milieu de maladies improbables pour que le joueur garde une certaine distance avec le sujet glissant, comme la possession par l’esprit du King ou l’invisibilité, mais il s’agit aussi comme dans Theme Park de gagner davantage de la réputation et de l’argent pour satisfaire les managers, à coup d’installations récréatives pour les clients / patients. Cet humour noir se retrouve essentiellement dans la cinématique d’introduction, très audacieuse et cynique, avec un docteur qui se prend pour Superman et un patient sans crédit qui est évacué par une trappe secrète. Et pourtant, ça marche : l’enrobage humoristique et les mécaniques de gestion impeccables du titre participent à son succès, et nous allons voir pourquoi et comment. Nous évoquerons aussi sa suite spirituelle, Two Point Hospital (2018), qui reprend sans véritablement innover les mécaniques de son aîné, et qui est développé par rien de moins que d’anciens développeurs du studio originel, réunis dans Two Point Studios.

 

 

I. L’expérience originale

 

Le soft de 1997 nous met aux commandes de différents hôpitaux qui forment autant de niveaux avec leurs propres objectifs et difficultés. Il s’agit de mettre en place une réception, tenu par des réceptionnistes et qui permet d’orienter les patients dans l’hôpital, puis un ensemble de salles tenues par des docteurs ou des infirmières, et qui comportent des machines mais aussi des accessoires divers comme des plantes vertes ou des extincteurs au cas où. Enfin, les agents d’entretien passent pour ramasser les déchets, arroser les plantes et réparer les différentes machines. Chaque patient passe de manière logique d’une salle à l’autre : il va d’abord voir la réceptionniste, qui l’oriente vers un médecin généraliste, avant de partir vers une salle de diagnostic complémentaire si le docteur n’est pas sûr à 100% ou si le joueur veut gagner plus d’argent, pour enfin être soigné dans une salle de traitement, qui réalise des animations sous forme de gags au vu de la nature étrange des maladies.

 

Le soft est resté avec Theme Park une référence des jeux de gestion, malgré une certaine répétitivité, et parfois l’errance de l’intelligence artificielle pour être au bon endroit au bon moment.

 

Sur le chemin, le patient doit être suffisamment diverti et poussé à la consommation, les racines de Theme Park obligent. Pour cela vous pourrez le distraire, le faire asseoir sur un banc afin de le faire patienter, et le pousser à consommer des snacks et des boissons. Pour éviter que l’hôpital ne soit un gigantesque dépotoir, il faudra aussi mettre des poubelles et des toilettes pour remplir tous les besoins des patients. Les agents d’entretien s’assureront de laver derrière. Un hôpital mal entretenu aura des détritus et des traces de vomissures, et vous ne voulez pas que ça arrive : c’est peu esthétique. Chaque nouvel hôpital a son lot de défis et de nouvelles salles, malgré la certaine répétitivité qui s’installe, magnifié par une IA qui parfois préfère tout faire sauf travailler au bon endroit. Vous pourrez construire des salles du personnel pour les faire se reposer, fixer les prix et les salaires, et améliorer les compétences de vos médecins dans des salles d’entrainement. Les musiques d’ascenseur sont sympathiques sans transcender le soft, les graphismes sont corrects pour l’époque, et les touches d’humour rendent le tout appréciable.

 

II. L’hommage de Two Point Hospital (2018)

 

C’est sur cette base que les développeurs derrière Two Point Hospital ont construit leur soft qu’ils ont fait paraitre 21 ans plus tard. Loin de renouveler le genre, ils capitalisent sur les mécaniques de l’ancien, singeant même en partie la scène d’introduction, améliorant drastiquement les graphismes, mais aussi la musique et les bruitages. Les personnages sont colorés, ont de multiples animations qu’ils soient heureux ou abattus, vont sentir les plantes, trépignent sur place, interagissent entre eux. Dans vos salles de consultation ou de traitement, ils réalisent différentes actions contextuelles souvent savoureuses, notamment lorsqu’il s’agit de soigner une maladie : la tête d’ampoule des patients est dévissée par une machine qui y replace une tête, le patient reste circonspect devant le mélange des médicaments dans la pharmacie et j’en passe. Il est plaisant de zoomer pour observer de près ces petites animations, ou même de suivre l’itinéraire d’un patient. L’annonceuse omniprésente a quant à elle laissé la place à un commentateur de radio non moins cynique, qui fait la jonction entre les musiques exceptionnelles dans leur genre de musique d’ascenseur relax, nous faisant nous concentrer sur l’aspect gestion en toute quiétude. Cedar Studios et Jack Le Breton ont fait un excellent travail, et le joueur finira obligatoirement par fredonner ces petites mélodies entrainantes. Les bruitages sont plutôt bons, du toc toc du patient au bruit des machines, à l’exception, une nouvelle fois, des bruits émanant des toilettes, davantage accessoires…

 

Plus beau, plus coloré, une interface plus simple, Two Point Hospital transporte largement son aîné au XXI siècle, sans le révolutionner.

 

Outre cela, les bases du jeu sont inchangées : quatre types d’employés, des salles qu’on met en place et qu’on peut surtout déplacer et copier à loisir depuis une poignée de mises à jour, ce qui permet de rapidement mettre en place des salles de traitement ou de diagnostic supplémentaires quand la queue est trop importante. Des tas d’objets sont à débloquer et à placer un peu partout : trophées, affiches humoristiques, plantes vertes, bornes d’arcades, présentoirs de magazines et j’en passe, qui améliorent la réputation de l’hôpital et différents paramètres (chauffage, attractivité, etc.). D’autres moyens de gagner de l’argent existent comme la boutique de souvenirs, on retrouve des nouvelles maladies avec parfois leurs salles dédiées, une salle de marketing pour orienter davantage de patients, un café pour nourrir les clients. La formation pour vos employés est plus complète, permettant de gagner des niveaux en diagnostic ou traitement, dans une compétence de salle particulière ou dans l’affabilité. La recherche permet de débloquer des salles ou des améliorations de machines. Les menus sont très pertinents, avec des graphiques jolis (c’est rare), et permet de voir avec facilité les payes de chacun, et de prioriser en fonction des profils les salles attribuées. Reste qu’il manque un inventaire de l’ensemble des salles présentes. La progression fonctionne toujours par hôpital, qui présente au fur et à mesure les mécaniques, et change les modèles, mais un mode libre a fini par être rajouté.

 

Vous pourrez compléter de nombreux défis pour gagner les niveaux, qui constituent autant d’agencements de bâtiments et de conditions spéciales, comme le recrutement de médecins sans expérience ou un coin hivernal où les fractures sont fréquentes.

 

Enfin, si les mécaniques sont satisfaisantes au même titre que l’enrobage, on finit par ressentir une certaine lassitude vers le cinquième hôpital : recommencer à chaque fois du début, avec les premières salles, l’augmentation des moyens, l’achat de nouveaux bâtiments, puis la grande réorganisation pour corriger le bazar ambiant prennent facilement quelques heures, avant de remplir les objectifs principaux et de passer à une nouvelle carte où il faudra tout recommencer. L’expérience est satisfaisante mais avec peu de challenges. Si vous voulez prolonger l’expérience, outre les contenus cosmétiques, vous aurez une poignée d’hôpitaux, de maladies et de nouvelles salles avec Bigfoot (2018), Pebberley Island, Close Encounters (2019) et Off the Grid (2020) pour neuf euros chacun. A réserver à ceux qui ont déjà épuisé les possibilités du soft.

 

On reconnait de près chaque poste, chaque maladie, et les très nombreuses interactions rendent le tout drôle et immersif.

 

Conclusion

 

Theme Hospital (1997) est un hit du jeu de gestion des années 90. Il transforme un sujet sérieux en divertissement, laissant quelques messages politiquement engagés au passage sur le profit et la santé. Les mécaniques ont peu vieillies, mais le soft reste assez répétitif et moins accessible que son fils spirituel Two Point Hospital. Celui-ci, sans réinventer la roue, polit son bébé pour le rendre drôle, accessible, joli et efficace. La santé reste pourtant un domaine plutôt peu approprié par la sphère vidéoludique, si l’on excepte la série de chirurgiens Trauma Center (2005-2010), la série de gestion d’opérations de secours Emergency (1998-2014) ou le soft Rescue HQ : The Tycoon (2019). On pense essentiellement à Project Hospital (2018), d’Oxymoron Games, qui prend une tonalité très sérieuse, en gardant le principe de gestion du personnel, des salles et des clients. Pour revenir à Two Point Studio, il a été racheté en 2019 par Sega, et pourra peut-être nous surprendre dans les prochaines années si d’aventure ils continuent de marcher dans les pas du jeu de gestion. On le leur souhaite.

 

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