Pendant que le loup n’y est pas – The Wolf Among Us (2013)

Dans notre podcast sur la définition du jeu vidéo, nous avons abordé un aspect particulier du jeu vidéo, à savoir son lien possible avec le cinéma : ces deux arts audiovisuels se tirent parfois la bourre, se citant ou s’adaptant, récupérant des codes narratifs et esthétiques à l’un et l’autre, que ce soit une manière de cadrer une cinématique dans un jeu vidéo ou d’utiliser des références dans un film. Mais il y a bien une catégorie de jeux vidéos qui essaye de brouiller la frontière : les jeux narratifs. Ni tout à fait des films mais proposant un scénario fouillé et réutilisant parfois des codes de séries télévisées comme le format épisodique, et ni tout à fait des jeux malgré la présence d’un zeste de gameplay pour interagir avec des personnes ou des objets à la manière des point’n’click et autres jeux d’aventure, ces softs plaisent. On pense au succès des Français de Quantic Dream et de Dontnod Entertainmentent (Life is Strange), mais aussi à celui de Telltale dont nous vous parlions déjà en 2015. Pour comprendre ce que le style Telltale a comme avantages et inconvénients, prenons l’exemple de The Wolf Among Us, paru en 2013.

I. C’est quoi un jeu narratif ?

Définissons d’abord notre sujet en distinguant deux acteurs majeurs, qui ont chacun une façon particulière de proposer un jeu narratif. Pour Quantic Dream, le dernier Detroit : Become Human (2018) rend l’expérience toujours plus cinématique : on suit la destinée de divers personnages, il y a un nombre conséquent de choix à réaliser dans les dialogues et les actions pour faire avancer l’aventure, et vous avez les moyens de revenir à chacune des séquences pour essayer de tester toutes les possibilités. Pour un Telltale, l’expérience est plus convenue : il s’agit de suivre un rail, une histoire qui contient une poignée de choix majeurs, et beaucoup plus de choix mineurs qui n’auront qu’une importance relative sur la suite de l’aventure. Néanmoins, la force de Telltale est d’adapter des licences plus ou moins connues, de Game of Thrones à Borderlands en passant par The Walking Dead, et d’avoir une écriture redoutable et pertinente, qui implique émotionnellement le joueur, au détriment de la rejouabilité et de la création d’univers à la Quantic Dream.

Le générique de chaque épisode met dans l’ambiance, faisant ressembler le jeu à une série Netflix.

Allons tout de suite au cœur du sujet : les jeux narratifs sont malgré tout coincés dans un entre-deux qui ne satisfait jamais vraiment tout le monde. L’aspect jeu vidéo est souvent limité à cliquer sur des boutons au bon moment lors des combats et des courses-poursuites, et choisir des types d’interactions pour avancer dans l’aventure, avec parfois quelques combinaisons d’objets et énigmes. Quant à l’aspect cinématographique, il peut parfois être un peu trop amplifié et virer au nanard comme dans certaines vieilles productions Quantic Dream. C’est dans ce tapis que Telltale s’est pris les pieds, en trouvant avec The Walking Dead (2012) une recette à succès, avec une histoire et des personnages attachants, mais dans un format qui n’a finalement qu’été copié jusqu’en 2018, à un moment où Telltale n’arrivait plus à jongler entre ses licences et ses ventes plutôt décevantes. Espérons que le nouveau sutdio, relancé en 2019, saura échapper aux errances de l’ancien modèle.

Il est dommage que les choix ne soient finalement que des statistiques à la fin des épisodes.

II. Si le loup y était…

Revenons au jeu. Le comics Fables, le matériau d’origine du soft, raconte l’histoire des personnages des contes de fée qui se sont retrouvés à devoir s’enfuir pour arriver dans New York. Afin d’y vivre sans se mêler aux humains, ils forment une communauté à part, et utilisent artefacts magiques et sorts pour avoir l’air comme les autres. On retrouve ainsi aussi bien la Belle et la Bête que Blanche-Neige ou les trois petits cochons. Vous êtes dans les bottes d’un être détesté, le grand méchant loup, qui est devenu le shérif de la communauté, devant y faire respecter l’ordre au service de l’administration. Or, rien de très idyllique dans la vie de ces personnages, entre haine et injustice sociale, matérialisée par exemple par le prix prohitif des sorts pour se camoufler des humains. Dans ce bazar, vous êtes donc Bigby Wolf, et vous allez enquêter durant les cinq épisodes sur une sombre affaire de meurtres de prostituées, dans une aventure mêlant polar et merveilleux.

La boucle de gameplay est simple. Outre les choix de réponse en temps limité aux dialogues, vous pouvez observer des objets, interagir avec…

Cet univers est particulièrement efficace, en amenant les héros de contes dans un décor tout sauf enchanteur, et le fait de jouer un ersatz de Wolverine, qui pourra aller du côté du gentil méchant loup, ou du gros méchant grâce à vos choix, donne du corps à l’aventure, qui se présente avec des musiques d’ambiance efficace, des graphismes en cell-shading qui ont très bien vieilli, et une histoire assortie de rebondissements et de certaines transformations marquantes qui valent clairement le détour, mais que je nous révèlerai pas. Malgré tout, si je n’ai rien à dire sur l’histoire et son enchainement, ainsi que son univers, le gameplay sera particulièrement sommaire, à part choisir des lignes de dialogue qui pourront vous aliéner ou non certains personnages, quelques choix majeurs qui vont orienter la suite de l’aventure, et une poignée d’interactions que ce soit en phase d’enquête pour coincer un suspect ou de baston. Par ailleurs, le fait de pouvoir jouer un bon gars un peu maladroit ou une véritable raclure est légèrement binaire et plutôt dommage vu la profondeur du personnage principal. Cela reste malgré tout une belle expérience narrative, bien emmenée, et la saison 2 est aujourd’hui très attendue par les fans, mais le soft a aussi les faiblesses des jeux narratifs sus-cités.

…et réaliser des phases d’action en cliquant au bon moment ou en tapant sur les bonnes touches. Assez limité en somme.

Conclusion

Le style à la Telltale, c’est donc une ambiance impeccable, une adaptation intéressante, une histoire qui porte le joueur, des moments marquants, mais aussi des choix sans grands impacts et un gameplay sommaire. The Wolf Among Us est sûrement l’une de leurs créations les plus intéressantes par son univers alternatif, aux côtés de l’humour d’un Tales from the Borderlands (2014) et de l’émotion des saisons de The Walking Dead (2012-2018). Reste à voir ce que le studio qui renait de ses cendres aura à nous proposer, car la saison 2 est d’ores et déjà prévue. D’autant que les codes ont changé depuis, au vu des succès français de ces dernières années sur ce créneau, de Quantic Dream au réputé Life is Strange (2015-2019).

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