The Legend of Heroes : Trails in The Sky (2004) – Le JRPG du burn-out

Si je vous parle de JRPG, vous pensez évidemment aux RPG au tour par tour japonais qui écument le monde vidéoludique depuis Dragon Quest (1986) de Chunsoft et Final Fantasy (1987) de Square, qui ont popularisé le genre. En 2023, Final Fantasy XVI est sorti, Dragon Quest 12 est en cours de développement, démontrant une longévité exceptionnelle. Mais ce ne sont pas les seuls. Nihon Falcom, dont nous avons déjà parlé pour leur série de JRPG d’action Ys, publient depuis 2004 la série Trails ou Kiseki, divisée en arcs narratifs, et qui s’étend déjà sur douze épisodes principaux. Si cette série reste relativement moins connue, avec sept millions de copies écoulées en 2022 contre 180 millions en 2023 pour Final Fantasy, elle est tenue en grande estime par une poignée d’irréductibles du JRPG notamment de par sa construction en saga, partageant une même toile de fond, un même monde mais à travers différentes perspectives en fonction des arcs narratifs. Pour voir ce que ce JRPG a à nous proposer, quoi de mieux que de nous plonger dès lors dans le tout premier opus de la série, Legend of Heroes : Trails in the Sky, paru en 2004 et accessible sur Steam en version anglaise en 2014, version de mon choix évidemment.

 

 

Legend of quoi ?

 

Si les premières séries de Nihon Falcom des années 80 inaugurent le JRPG d’action avec la série Dragon Slayer (1984) et la série Ys (1986), ils se tournent finalement vers le tour par tour à partir du sixième épisode de Dragon Slayer intitulé Dragon Slayer : The Legend of Heroes (1989), inaugurant la sous-série The Legend of Heroes. Ce n’était pas assez compliqué, et le sixième épisode de la sous-série The Legend of Heroes s’intitule The Legend of Heroes : Trails in the Sky, créant de fait la sous-sous-série Trails qui a depuis accueilli 12 épisodes. Falcom a divisé ces épisodes en arcs narratifs, chacun centrés sur une partie du monde, sur le continent de Zemuria : on y retrouve l’arc du royaume de Liberl (2004-2007), celui de la cité-Etat de Crossbell (2010-2011), celui sur l’Empire d’Erebonia (2013-2018) et l’arc en cours débuté en 2021 dans la République de Calvard. Autant dire que si vous êtes un fan de la série des Trails, vous avez des centaines d’heures en perspective dans un même monde. Mais le voyage vaut-il vraiment le coup ?

 

Le rythme de la vie

 

Vous êtes donc dans les bottes d’Estelle et de Joshua Bright, deux jeunes Bracers en devenir, l’une étant la fille de Cassius Bright, une sommité dans le domaine, et l’autre ayant été adopté par ce dernier lors d’une nuit mystérieuse cinq ans auparavant. Pour faire vos preuves, vous allez visiter à pied toutes les guildes régionales des Bracers, en en profitant à chaque fois pour découvrir une galerie de personnages qui pourront vous aider comme vous menacer, dans un monde techno-fantasy mêlant épées, armes à feu et machines à vapeur.

 

Croyez-moi, il vous faudra aimer la lecture : les personnages parlent énormément entre eux, chaque PNJ mineur a des lignes de dialogues qui changent en fonction des dernières avancées du scénario, et vous en saurez très vite énormément sur la psychologie des personnages mais aussi sur leur vie de tous les jours. En privilégiant la quantité à la qualité, on a vite l’impression d’être submergé d’informations parfois intéressantes et parfois un peu trop prosaïque. Avec un peu de pratique, on finit par accrocher car cette écriture suit avec talent la progression de l’aventure ce qui la rend très confortable : on suit vraiment la vie de deux jeunes gens lâchés sur les routes, qui parfois flânent sur un banc, mangent un bento, dorment à l’hôtel, combattent des monstres, résolvent des problèmes. Le fait de toujours changer entre les chapitres d’environnement, de villes, et de personnages amicaux comme inamicaux nous donne le sentiment d’assister à une vraie aventure, d’autant que les environnements et la musique retranscrivent plutôt bien les atmosphères des lieux visités. Après, il faut aimer le style graphique isométrique vieillot.

 

Mais voilà, cette écriture volubile et prosaïque cache un gros problème de rythme. L’histoire met ainsi plus d’une dizaine d’heures à démarrer, ce qui découragera l’essentiel des joueurs qui essayent le titre, d’autant plus s’ils ne sont pas convaincus par le système de combat. J’avoue avoir lâché la manette pendant quelques mois après les premiers chapitres. Pourtant, lorsque l’histoire démarre, elle fait tout de suite sens : tous les dialogues précédents convergent vers les soubresauts en fin d’aventure, vous impliquant d’autant plus émotionnellement que vous vous serez tapés toutes ces lignes de dialogue et tous ces voyages. Les dernières heures m’ont ainsi beaucoup happé.

 

A l’ancienne

 

Dans ce voyage au rythme inconstant, il y a tout de même quelque chose d’immuable, le système de combat. Il se base sur une grille où vos personnages se déplacent, frappent, utilisent des coups spéciaux ou préparent des sorts, en face d’ennemis divers. S’il n’y a pas de prise de flanc ou d’arrière comme dans un RPG tactique, il faudra tout de même anticiper avec les déplacements les attaques ainsi que les aires d’effet très variés des différents sorts. Si on retrouve l’équipement à améliorer pour taper et se défendre plus fort, l’essentiel du combat consiste dans les sorts ou Arts et les compétences ou Crafts.

 

J’ai trouvé l’explication en début de jeu des Arts catastrophiques, ce qui m’a presque poussé à lâcher immédiatement l’aventure : en fait, chaque personnage a des slots d’Art, qui ne sont pas tous ouverts au début de l’aventure. Chaque slot d’Art peut accueillir une ou plusieurs catégories de quartz, des items magiques répartis entre le Temps, le Feu, l’Eau, le Vent, etc. Quand vous placez un quartz, vous gagnez son passif, allant de plus de point de vie à une meilleure défense. L’intérêt de ces quartz est qu’ils donnent en plus, en fonction de l’organisation des slots d’art de votre personnage, des points de magie, qui peuvent se combiner : un point d’air donne Air Strike, quatre points de d’air donne Aerial, une tornade, et quatre points d’air avec deux points de terre donne Lightning. Il faudra donc combiner vos quartz pour avoir les sorts qui vous intéressent, avec quatre pages de combos accessibles dans votre menu. Chaque personnage n’a pas la même organisation pour ses slots : certains combinent cinq slots, ce qui vous permet de placer cinq quartz et de profiter de tous les points, d’autres divisent leurs slots en parties différentes, vous imposant de faire des choix.

 

Pour les Crafts, c’est plus simple : plus vos tapez, plus vous gagnez des points dans votre jauge de compétences, vous permettant de les utiliser, ce qui donne des attaques spéciales aux personnages parfois intéressantes, comme le boost de force d’Estelle ou l’attaque sur les points faibles de Joshua. Si vous accumulez suffisamment de points de compétence, vous pouvez utiliser des compétences ultimes, les S-Craft, qui sont beaucoup plus fortes mais consomment tous vos points d’un coup.

 

Longueur infernale

 

Je vais être franc : le combat m’a ennuyé. Certes, les monstres sont variés, ont des faiblesses différentes, il y a des combos à réaliser en fonction des quartz et des membres de votre équipe, le système d’initiative et de préparation des sorts implique de faire attention à l’ordre de passage des combattants, on trouve une pelletée de sorts de soutien augmentant la vitesse ou la force, mais le combat est extrêmement répétitif tout du long de l’aventure. On utilise les mêmes sorts, les dégâts physiques sont rarement utiles, les ennemis sont parfois des énormes sacs à PV. Combiné avec l’histoire qui peine à démarrer et les quêtes additionnelles qui vont souvent demander de trouver un objet ou tuer des monstres, cela pousse davantage vers le burn-out que l’amusement. C’est d’autant plus dommage que l’histoire de Sky est utile pour les autres softs de la série, même s’il est tout à fait possible de démarrer également par l’arc d’Erebonia avec Trails of Cold Steel (2013).

 

Heureusement, deux choses existent : les voix japonaises, qui sont accessibles avec un fan-patch, qui rend l’aventure et ses nombreux dialogues bien plus digestes, et surtout le mode turbo, implémenté en 2017. Avec une gâchette, les cinématiques, les déplacements et les animations de combats vont jusqu’à x8 en fonction de vos réglages, tout en gardant les musiques et les échanges entre les personnages. En une trentaine d’heures de jeu, je vous confirme être resté appuyé sur cette gâchette pendant les 95% du temps : en l’absence de cette gâchette, pour la même aventure, je pense que j’y aurais passé plutôt le double.

 

Mon avis

 

Trails in the Sky est une aventure sympathique, une ode au JRPG d’antan et à l’aventure traditionnelle, où l’on suit avec intérêt la vie de tous les jours des enfants de Cassius Bright jusqu’à ce qu’ils découvrent une organisation secrète, des complots politiques et des rebondissements divers. Malheureusement, le soft se perd au milieu des lignes de dialogues ad nauseam, de rebondissements qui n’interviennent que dans les dernières heures, avec un système de combat plutôt bien réalisé, équilibrant déplacement, sorts et compétences, mais qui finit par s’avérer bien trop répétitif sur la durée, la faute à des évolutions de sorts et de personnages pas si marquées. Reste que le titre est plutôt agréable à parcourir grâce à son world-building exemplaire, au fait qu’on est jamais vraiment perdu, et que la vie des NPC avec toutes leurs lignes de dialogue qui changent en fonction de vos actions rend le tout cohérence. Je note donc ce jeu techno-fantasy sur burn out.

 

Conclusion

 

Jadis, on avait le temps de se laisser porter par un jeu, de le découvrir, de le dompter, de l’apprécier pour son histoire et Trails into the Sky aurait sûrement été un grand jeu dans mon enfance. Aujourd’hui, face au temps qui me manque et à mon âge avancé, j’ai beaucoup plus de mal à me lancer dans des softs qui nécessitent des dizaines d’heures pour devenir intéressant au niveau de l’histoire, avec un gameplay qui ne me satisfait guère. Je pense que le fan de JRPG y trouvera sûrement plus facilement son compte que moi.  En tous les cas, le world-building reste quant à lui exemplaire : on sent que les scénaristes avaient déjà quelques coups d’avance, et même si l’aventure était longuette, je ne serais pas mécontent de prolonger l’aventure dans Trails into the Sky Second Chapter (2006) ou de démarrer Trails of Cold Steel (2013) pour m’immerger dans l’Empire dont on ne fait que parler dans cette aventure. Cette cohérence d’ensemble est clairement l’argument de vente de la série Trails.

 

Liste des RPG :

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