C’est quoi le Game as a service ? Le TEMPS c’est de l’argent

Nous avons vu dans le précédent épisode que le temps semblait nous manquer pour jouer face à une myriade de titres obnubilés par la durée de vie et la monétisation, même si nous avions conclu sur les fonctionnalités de tri permises aujourd’hui par Internet pour mieux consommer. Mais même ces fonctionnalités ne vous sauveront pas face à la tendance globale du marché du jeu vidéo à transformer le jeu vidéo en service culturel plutôt qu’en produit culturel. C’est ce qu’on appelle le game as a service. D’où vient cette tendance et quel impact sur le monde du jeu vidéo, c’est ce que nous allons voir dans ce deuxième épisode de notre cycle sur le temps et le jeu vidéo. Nous allons ainsi voir les abonnements, les micro-transactions et les season pass, ainsi que les dérives et l’avenir du modèle.

 

 

Abonnement : fidéliser

 

A la base, on achète un jeu vidéo, on y joue, on le finit, on le range et on en achète un autre. Quand les jeux vidéos étaient courts, on pouvait ainsi enchainer moult titres, parfois au détriment du pouvoir d’achat. Un modèle de jeu a pourtant changé cela : il s’agit du modèle économique des jeux de rôle massivement multijoueur, un genre développé essentiellement à la fin des années 90 sur la base des Multi-user dungeons (MUD) pour permettre à plusieurs joueurs de se retrouver dans un même univers, avec un abonnement régulier. Si l’on prend le plus connu d’entre eux, World of Warcraft (2004), un joueur assidu achète ainsi le jeu, paye un abonnement tous les mois, puis achète les extensions qui sortent tous les deux ans depuis Wrath of the Lich King (2008) pour bénéficier des nouveautés, comme des races, des classes, des zones, des nouveaux niveaux et j’en passe. Cet abonnement assure au studio des rentrées d’argent régulières permettant de maintenir les serveurs, réaliser des mises à jour, corriger des bugs et surtout préparer des extensions avec des nouveautés pour s’assurer que les joueurs restent fidèles au titre et continuent de payer leur abonnement. Beaucoup de MMO ont ainsi fonctionné avec cette logique, même si World of Warcraft s’est révélé le plus populaire sur la durée : il a ainsi rapporté plus d’une dizaine de milliards de dollars entre 2004 et aujourd’hui.

 

Les abonnements sont donc une bonne manière d’avoir des rentrées d’argent régulières, mais il faut alors arriver à susciter l’engouement sur la durée pour que les joueurs ne délaissent pas le soft : de nombreux MMO se sont ainsi écroulés, de City of Heroes (2004) à Wildstar (2014) en passant par Warhamme Online : Age of Reckoning (2008), la faute à une concurrence féroce et à des titres qui arrivent davantage à fidéliser leur public que d’autres.

 

Au-delà du MMO, les abonnements prennent aujourd’hui de nouvelles formes, comme les services de jeux vidéos à la demande comme le service Game Pass de Microsoft, proposant une galerie de titres en échange d’un abonnement, aboutissant à 25 millions d’utilisateurs en 2022, en concurrence avec les autres services de ce genre comme celui de Sony ou d’Ubisoft. Plus résiduellement, le MMO n’a pas le monopole de l’abonnement pour un titre comme on le voit sur des titres qui ont beaucoup contenus additionnels, comme Europa Universalis IV de Paradox Interactive.

 

Micro-transactions et free-to-play

 

L’abonnement est donc un engagement, mais les joueurs ne sont pas forcément enclins à céder à la tentation face à la masse de titres disponibles. Un autre modèle qui a donc pris son essor est celui du free-to-play. Comme son nom l’indique, il suffit de s’inscrire pour jouer à un jeu vidéo et accéder à l’essentiel du contenu. Le modèle économique repose alors sur ce qui est proposé par le biais de boutiques intégrées pour faire sauter certaines limitations de le version gratuite comme les ressources journalières dans un Raid : Shadow Legend (2014), pour gagner divers avantages comme des niveaux et des équipements supplémentaires dans Diablo : Immortal (2022), ou obtenir des skins et personnaliser son personnage comme les chapeaux de Team Fortress 2.

 

Aussi, si le joueur apprécie le titre et y consacre du temps, il sera enclin sur la durée à débourser, et le tout peut vite devenir très rentable. Pour League of Legends (2009), n’importe qui peut l’installer, y jouer avec des amis et débloquer des champions au fur et à mesure grâce à la monnaie virtuelle, mais avec la boutique intégrée, League of Legends rapporte chaque année plus d’un milliard de dollars. Cela peut malheureusement aboutir également à des expériences qui basent leur modèle économique sur leur potentiel addictif, pour faire plonger les joueurs en faisant appel au mieux à leur système de récompenses, en donnant beaucoup au début puis de moins en moins, pour les forcer à débourser de l’agent. Ces techniques de prédateurs se retrouvent sur des jeux incrémentaux et autres idle-games comme Raid : Shadow Legends, bloqué à l’utilisation si vous n’avez pas assez de personnages légendaires pour passer les donjons les plus complexes. D’autres softs, sans forcer l’aspect addictif, peuvent aussi créer de profonds déséquilibres au niveau des joueurs, surtout s’il s’agit d’un jeu de compétition multijoueur : on appelle cela péjorativement les pay-to-win. Dans un jeu de stratégie multijouer comme Clash of Clans, le joueur gratuit développera sa base, créera ses unités et préparera sa défense, là où le joueur payant aura tout beaucoup plus rapidement et sera donc plus facilement capable d’attaquer les autres joueurs et de se défendre.

 

DLC et season pass

 

Dans un monde ancien, où abonnements et micro-transactions n’étaient pas monnaie courante, on développait un jeu, sa suite, et entre les deux, on retrouvait des add-on ou extensions, des titres qui reprennent une grande partie du jeu principal pour rajouter quelques factions ou une toute nouvelle campagne comme Half-Life : Blue Shift (2001), qui reprend le gameplay, le moteur et l’univers d’Half-Life (1998), mais avec une nouvelle histoire sur un garde du laboratoire. Depuis, ces contenus additionnels se sont fortement démocratisés, pour devenir les fameux DLC, les downlodable content. Si certains conservent l’aspect add-on, comme Blood & Wine pour The Witcher 3 rajoutant personnages, lieux et histoire pour continuer l’aventure de Geralt, on retrouve aussi des DLC plus divers, ceux qui rajoutent des cartes multijoueurs dans un Call of Duty, des musiques dans un jeu de Paradox Interactive ou même des skins particuliers. On finit même par ne plus s’y retrouver, comme Crusader Kings II avec ses 32 contenus additionnels disponibles allant d’un e-book à des packs cosmétiques et de musique en passant par des contenus majeurs, ou les nombreux DLC d’un Total War Warhammer pour lesquels j’ai dû faire un guide d’achat sur cette chaine.

 

L’idée de ces DLC est de capitaliser sur la réussite d’un titre pour favoriser l’achat des nouveaux contenus par les joueurs qui y ont déjà passé du temps : si vous avez 20 heures sur un Call of Duty en multijoueur, cela pourrait être intéressant d’écumer une nouvelle carte avec de nouvelles armes. Mais ces pratiques peuvent aussi déraper face au nombre considérable de contenus, qu’on achète un à un mais qui mis bout à bout ressemblent fort à un abonnement. Pour les plus gros titres, il peut même être très rentable de capitaliser sur l’attente des joueurs pour vendre dès la sortie des season pass : ce ticket permet d’obtenir moyennant un investissement initial tous les contenus additionnels qui vont sortir pendant une période de temps donnée. Si le joueur est intéressé par le titre, il sera enclin à chercher l’expérience ultime et donc à débourser pour une simple promesse des développeurs, dans une forme d’abonnement déguisé.

 

Argent et dérives

 

On le voit, les développeurs et éditeurs ont un certain nombre d’outils pour gagner de l’argent : un abonnement avec de nombreuses mises à jour pour fidéliser, une boutique intégrée pour investir dans des aspects cruciaux ou moins cruciaux du titre, des extensions, des season pass. Et cela marche, entrainant des dérives importantes. Les boutiques intégrées, réservées initialement aux titres gratuits, investissent les titres payants comme Lego 2K Drive (2023) et même les titres à abonnement comme World of Warcraft, qui propose déjà des extensions régulières payantes et qui cumule donc tout le potentiel économique existant.

 

Cela entraine même de nouvelles affaires comme celles des loot boxes de Star Wars : Battlefront 2 (2017). Au sein d’un FPS multijoueur payant, les parties multijoueur permettaient de rapporter aux joueurs des loot boxes, des boites remplies de contenus générés aléatoirement, donnant une faible probabilité d’obtenir ce que l’on cherche : pourtant, ces items donnaient des avantages non négligeables aux joueurs qui les possédaient. Pour éviter d’enchainer les heures de jeu, il était ainsi possible de payer pour avoir plus de loot boxes et donc plus de probabilité d’obtenir ce que l’on souhaite. On devient donc plus fort en payant le jeu puis en payant des loot boxes et en ayant de la chance pour débloquer quelque chose d’intéressant : ce vrai jeu de hasard a entrainé une enquête de la justice belge et une grogne populaire aboutissant au retrait de ce système, preuve qu’on était allé un peu trop loin. Si on combine cette tendance et l’augmentation du prix des jeux neufs, vers 70 ou même 80 euros, on semble se tourner vers une course au pognon.

 

Un modèle obsolète ?

 

S’il est facile de critiquer le game as a service et ses logiques de pognon, les résultats sont là : season pass, DLC, micro-transactions, et abonnements rapportent gros. En 2022, plusieurs articles de presse vidéoludique citaient une étude de marché faite aux Etats-Unis rapportant que pour le segment non-mobile du jeu vidéo, 60% des revenus venaient des DLC, microtransactions et abonnements. Ces outils augmentent la rentabilité des jeux vidéos, et poussent parfois même le joueur ayant déjà passé du temps sur un titre à replonger le temps d’un DLC, à moins qu’avec son esprit complétionniste il n’achète pas déjà tout le contenu d’un jeu qu’il aime bien pour en profiter au maximum. Ce n’est donc pas un modèle qui s’effondrera de sitôt, bien au contraire : malgré la grogne critique, Diablo : Immortal (2022) avait ainsi rapporté 300 millions de dollars en trois mois. L’industrie vidéoludique reste une industrie, cherchant à faire des bénéfices, et favoriser l’engagement du joueur, avec ces grands open-world dont nous parlions dans le précédent épisode, pour lui vendre derrière des season pass, des DLC et lui donner accès à des boutiques intégrées, est une pratique commerciale gagnante.

 

Par contre, au-delà des séries majeures, qui n’auront aucun mal à vendre des season pass et des DLC, comme les Call of Duty, ou des titres qui restent puissants sur leur marché, comme World of Warcraft et League of Legends, il ne faut pas croire que les autres qualités ne sont pas aussi scrutées. On ne compte plus le nombre de titres tâchant d’adopter un modèle de game as a service et qui finissent par fermer faute de joueurs et donc de rentabilités : Anthem (2019) de Bioware, Babylon’s Fall (2022) de PlatinumGames, et plus récemment Redfall (2023) d’Arkane Studios sont des exemples flagrants de grands studios n’ayant pas réussi à copier la réussite d’un Destiny, sans parler de la myriade de titres encore moins connus ayant sombré dans l’oubli. Mettre une boutique intégrée et 50 DLC ne suffit donc pas à faire un titre rentable.

 

Conlusion

 

Le game as a service est aujourd’hui la grande tendance du jeu vidéo, capitalisant sur le temps passé par le joueur dans un même titre pour le monétiser via des DLC et une boutique intégrée, par un abonnement, ou même jouant sur les aspects complétionnistes ou d’attente du joueur pour lui proposer pre-order et season pass. C’est une pratique rentable, qui subit pourtant beaucoup de critiques aujourd’hui. Le nombre croissant de titres qui sollicitent le joueur par des boutiques intégrées et les nombres exceptionnels de DLC peuvent aujourd’hui dégoûter le joueur, qui investira plutôt sur des plus petits titres aux pratiques commerciales moins agressives. Mais il y a un monde entre la réussite critique d’un World of Warcraft ou des DLC de The Witcher 3, et les échecs cuisants de Redfall et Anthem. In fine, le joueur doit encore par ses sources trier le bon grain de l’ivraie avec le tri qui lui est proposé par journalistes, vidéastes et sites de passionnés, pour savoir une nouvelle fois quel jeu en vaut la peine, entre argent et temps.

 

A ce jour, rien n’indique une potentielle chute de cette tendance, mais les éditeurs et développeurs doivent peut-être augmenter la qualité de ce qu’ils proposent pour mieux satisfaire la critique, d’autant plus lorsque les titres sortent dans un mauvais état : il ne faudrait pas à mon sens que les season pass et DLC servent à financer la fin de développement de titres bugués, car ce serait aller au-devant de graves déconvenues à la Redfall.

 

Pour aller plus loin dans notre thème du temps et du jeu vidéo, nous verrons dans le prochain épisode la question de l’engagement du joueur, de ce qui le pousse à passer du temps sur un titre.

 

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