Le premier city-builder contemporain – SimCity (1989)

L’année 1989 nous mobilise en ce moment. Après North vs South, et Populous, nous voilà dans un jeu qui a marqué les esprits en nous proposant pour la première fois de diriger virtuellement une ville (ou presque) : SimCity, promis à un grand avenir…s’il n’y avait pas eu 2013 et la plongée en profondeur. Le flambeau a depuis été repris par Cities : Skylines (2015) qui sort encore de nouvelles extensions trois ans plus tard et s’impose dans le domaine du city-builder, domaine qui a mérité dans nos colonnes un dossier complet. Aussi, voyons de plus près de quoi il s’agissait en 1989.

 

I. Naissance d’un genre

 

Il y avait déjà un certain nombre de jeux dans les années 80. Des aventures textuelles, un peu de stratégie, des simulations de combat, des jeux de plateforme. Avant SimCity, on pouvait citer une poignée de jeux textuels s’avançant dans cette direction : le vénérable Hamurabi, paru en 1968 sous le nom de The Sumer Game, et développé par Doug Dyment,vous mettait durant 10 tours à la tête d’une population de 100 âmes, à acheter ou vendre des terres, à planter des graines, et à nourrir votre population, en évitant de l’affamer. Le jeu a été porté et connu sous le nom d’Hamurabi en 1978. Il a influencé notamment Kingdom et Dukedom dans les années 80. On peut aussi et surtout citer Utopia (1982), un des premiers jeux de stratégie en temps réel, où deux joueurs sont à la tête d’une île, d’où ils peuvent construire une poignée de bâtiments, dont des usines, des maisons, ou des hôpitaux, fomenter des rébellions chez le voisins, puis l’attaquer à l’aide de navires de guerre. Avec ces influences anciennes, nous voilà donc en 1989 : North vs South alterne stratégie et tactique dans la connue boîte d’Infogrames, Populous invente le god game et place Peter Molyneux au rang des créateurs vedettes, et SimCity inaugure lui aussi un nouveau genre avec un city-builder où vous devez faire prospérer une ville à partir de rien (ou d’une situation déjà complexe suivant les scénarios) à l’aide d’une absence totale de pouvoirs, et grâce bien plutôt aux pouvoirs de l’administration, du BTP et de la gestion des budgets.

 


Utopia (1982), un des ancêtres du jeu de stratégie en temps réel et du city-builder. Deux îles, des constructions, navires de peche ou de guerre, et la baston.

 

Ce sera le premier succès du créateur Will Wright, qui avait déjà codé en partie un jeu de simulation d’avions de combat, Raid on Bungeling Bay (1984), et qui s’était extasié face au créateur de niveaux, et aux liens systémiques entre les différents éléments : vous deviez détruire une base adverse, sachant que celle-ci est composée de ports, qui produisent des navires, amenant des munitions pour ensuite ravitailler les troupes. Un mini-système autogéré en somme, ce qui l’inspirera très certainement. En 1987, il fonde avec Jeff Braun la société californienne Maxis. En 1989, sorti initialement sur Amiga, Atari ST et IMB-PC (DOS), il finit par sortir sur une multitude de plateformes, à obtenir un certain nombre de récompenses dans les années suivantes, notamment dans le domaine de la stratégie et de la simulation, et est reçu très positivement par la critique. SimCity assoit ainsi la réputation de Maxis. Le but ? Il n’y en a pas. Vous pouvez bien sûr arriver à la banqueroute, mais jamais gagner. Juste gérer au mieux votre cité. Un argument qui sera difficile à vendre à certaines sociétés, mais qui arrive jusqu’au succès. La série continuera en 1993 avec SimCity 2000 et en 1999 avec SimCity 3000, qui amélioreront graphismes et possibilités. Ce troisième opus sera édité par Electronic Arts, les vampires de studios à succès de 1982, qui rachètent Maxis en 1997. Après cette date, Will Wright n’est plus aux commandes. SimCity 4 (2003) est suivi du fameux SimCity (2013), très mal reçu par les joueurs, taillant dans les mécaniques complexes de l’opus de 2003, demandant une connexion permanente et proposant de petites cartes. Depuis, plus de nouvelles du jeu. Le successeur spirituel est aujourd’hui Cities : Skylines, dont nous avons parlé à de nombreuses reprises dans l’Actu Vidéoludique du Captain.

 


Will Wright en 2015, 25 ans après SimCity.

 

Quant à Will Wright, il développe de très nombreuses simulations, comme SimEarth (1990), où vous gérez rien de moins que l’évolution d’une planète des euchariotes aux sociétés évoluées, mais aussi SimAnt (1991) pour les fourmilières, et le fameux opus des Sims (2000) qui a initié la longue série que tout le monde connaît où vous gérez la vie de tous les jours de Sims dans leur évolution à court, moyen ou long terme. Sa carrière dans le monde du jeu vidéo s’arrête à Spore (2008), qui ressemblait pourtant à un mélange intéressant entre SimEarth et les Sims pour voir l’évolution d’une créature, de l’organisme unicellulaire à la colonisation de l’espace, mais qui n’a pas su se renouveler suffisamment et proposer des mécaniques variées pour durer. Dommage.


Spore (2008), un jeu où vous dirigez une cellule tâchant de survivre dans l’océan, puis une créature, puis une tribu, puis un état, puis une civilisation s’aventurant dans l’espace. Très prometteur sur le papier, mais pas si profond que ça dans les faits.

 

II. La folie du maire

 

On les connait les trois fameuses zones de tous les SimCity : la zone résidentielle tout d’abord, où viennent s’abîmer les populations les plus pauvres si vous êtes proches des zones industrielles et polluées, et les plus riches si vous êtes au milieu de parcs, de zones commerciales, et loin des froideurs du béton. Et pourtant, vous en aurez besoin des pauvres pour attirer suffisamment de population dans votre ville et ne pas les refroidir avec le coût de l’immobilier… Et oui. Ensuite, vous trouvez les zones commerciales, pour le commerce de proximité, et le besoin de consommer, et enfin les zones industrielles, car qui dit industrie dit travail, qui dit travail dit pas de chômage, qui dit pas de chômage dit gens contents, et qui dit gens contents dit gens qui utilisent les zones commerciales. Elle est pas belle la vie ? Une jauge à gauche de l’écran vous indiquera l’équilibre qu’il faudra plus ou moins maintenir entre ces trois zones.

 


Le but est d’attirer suffisamment d’habitants. Vous avez de la terre, des forêts et de l’eau. Détaillons rapidement les boutons à gauche de l’écran. Vous avez le bulldozer pour la destruction, la route, les poteaux électriques, le rail, les parcs, les zones résidentielles, les zones commerciales, les zones industrielles, la police, les pompiers, le stade, les centrales électriques, le port et l’aéroport. En-dessous, vous voyez l’équilibre entre les trois zones. Pour avoir des graphiques, l’état de vos finances, et des cartes sur la pollution, le coût de logement, la carte du crime, allez dans windows en haut à droite. Désactivez les désastres pour votre première partie, et augmentez la vitesse dans options.

 

Ces zones ont besoin d’électricité pour fonctionner : à vous la centrale à charbon, moins chère et plus polluante, ou la centrale nucléaire, plus dangereuse, mais plus efficace et bien moins polluante. Pour des raisons de coût, il faudra toujours privilégier la première au début. Budget budget… Bien sûr il faudra ensuite des lignes électriques pour relier vos zones entre elles, puis des routes pour permettre à vos gentils travailleurs d’aller consommer et bosser. Et quand celles-ci seront prises d’assaut à cause des embouteillages, vous pourrez toujours diversifier le réseau avec un chemin de fer juste à côté, desservant chacune des zones. Vous en voulez encore ? Parce qu’il ne faudra pas oublier la caserne de pompiers et la préfecture de police, qui résoudront incendies et crime dans votre belle ville. A vous de déterminer le budget à allouer dans les routes et les services publics, mais aussi les taxes qu’on n’oublie point pour faire fructifier notre joli pactole.

 


Une cité avec de multiples désastres. Godzilla à droite, et quelques incendies et tremblements de terre.

 

Et ce n’est pas fini, car si vous avez maintenu pour le moment un équilibre entre toutes ces données sans vous donner de sueurs froides à cause des tornades, tremblements de terre et autres catastrophes qui vous demandent de reconstruire vite fait bien fait les routes, les accès, et les zones électriques, il vous faudra aussi étendre votre cité qui commence à accueillir des milliers et des milliers d’habitants. Comment ? Par l’ajout d’un stade pour organiser des événements sportifs, et qui rendra vos routes encore plus bondées que d’habitude, mais aussi par le rajout d’un port ou d’un aéroport pour privilégier encore davantage votre monde industriel et commercial, qui ont bien besoin de ces débouchés pour s’exporter et faire fructifier le pactole. Alors tous les éléments s’imbriquent les uns dans les autres, et vous avez une jolie petite simulation, qui, sous ses atours rudimentaires, avec une musique absente et des graphismes assez minimalistes, relève d’une véritable « simulation de système », comme indiqué dans le manuel du jeu, et donne du cachet à ce jeu qui va propulser Will Wright au rang des créateurs vedettes des années 90, jusqu’au plus que célèbre Sims sorti en 2000. Le SimCity 2000 (1993) rajoutera des tas de choses dont nous reparlerons sûrement, et notamment la création d’édifices publics supplémentaires, tels prisons et hôpitaux, qui apparaissent de manière aléatoire dans l’opus de 1989 sur vos zones résidentielles.

 


Une partie davantage normale. Les zones commerciales vous demandent un aéroport pour mieux s’exporter. Vous voyez des zones industrilles, la police en bas à gauche, et quelques zones commerciales à droite, avec le maintien de quelques poches boisées.

 

Conclusion

 

Avec Populous pour le god game, SimCity pose un jalon certain dans l’histoire du jeu vidéo, en adaptant même des théories économiques et sociétales pour leur donner vie dans des simulations. L’hypothèse Gaïa dans SimEarth, par exemple, parlant des liens dynamiques entre l’homme et son écosystème, ou encore les travaux de Jay Wright Forrester sur la dynamique industrielle, urbaine ou mondiale. Ainsi donc était sorti SimCity, premier du nom.

 

Jeux rétro :

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