Mort et jeu vidéo : entre punition et triomphe

Vous êtes tous déjà mort dans un jeu vidéo, que ce soit en tombant dans le vide, en étant abattu par un ennemi ou en ayant perdu toutes vos petites unités. La mort est l’horizon d’une grande variété de genres dans le jeu vidéo. Mais à quoi sert-elle ? Pourquoi doit-on mourir pour progresser ? Aussi, après avoir défini le jeu vidéo dans le premier épisode de Captain’Cast, et avoir passé trois épisodes à aborder la famille du jeu de stratégie et de gestion, je vous propose d’aborder un nouveau cycle, centré sur la mort dans le jeu vidéo. Dans ce premier épisode, nous allons ainsi expliquer à quoi sert la mort dans le jeu vidéo, et comment cette mécanique permet une progression du joueur, mais est aussi une punition, un moyen de pénaliser le joueur, tout en offrant à celui-ci la rédemption, par le triomphe sur la mort. Au-delà de ce premier épisode, nous aborderons dans les prochains les softs qui vont même transformer la mort en mécanique de gameplay, en l’occurrence les roguelike, avec un K, et les roguelite, avec un T.

 

 

La mort infligée par le joueur

 

Avant de parler de la mort du joueur, parlons plutôt du rapport global de la mort dans les jeux. Beaucoup de jeux proposent un challenge au joueur, et ce challenge est souvent représenté par des ennemis. Pour être vaincus, ces ennemis doivent être éliminés dans divers épreuves et niveaux. Dans la famille des jeux d’actions, du FPS Call of Duty à l’Action-RPG Assassin’s Creed, dans les jeux de rôle comme Chrono Trigger, ou encore dans la famille des jeux de stratégie à la Age of Empires, ces challenges reposent sur des combats, et ces combats sont résolus quand les points de vie de vos adversaires tombent à zéro et qu’ils s’effondrent à terre. La résolution de ces combats permet d’évoluer, de débloquer un passage, de résoudre un problème. Pour les non-connaisseurs, c’est évidemment extrêmement violent : comment expliquer que tous ces jeux mettent en scène toutes ces mises à mort, même s’il y a évidemment un monde entre le tabassage coloré d’un Final Fantasy, la brutalité abusée d’un Wolfenstein : The New Order, ou encore la simple neutralisation de type KO de pokémons. Nous ne résoudrons pas cette question ici de la violence du jeu vidéo, esquissée dans notre premier épisode de Captain’Cast.

 

Bien sûr, cette application de la mort ne s’applique pas à tous les jeux : par exemple, elle est bien moins présente dans la famille des jeux de gestion : nul ennemi à abattre quand il s’agit de développer sa ville dans SimCity, sa petite île dans la simulation de vie Animal’s Crossing, ou encore son industrie pharmaceutique dans Big Pharma. D’autres jeux peuvent aussi proposer des choix au joueur : il est possible de ne tuer personne dans un Deus Ex ou encore dans un Undertale. La faute repose alors sur le joueur, que ce soit sur sa méthode de jeu ou son éthique personnelle quand un choix est proposé.

 

La mort est une punition

 

Maintenant parlons du joueur. La première chose dont on se rend compte est que la mort est une punition. Quand on joue à un soft de la famille du jeu d’action, comme un shooter à la Call of Duty ou un jeu de plateformes à la Mario, ou encore à un soft de la famille du jeu de stratégie comme Age of Empires, la mort arrive de différentes façons : on est tué par un adversaire, on tombe dans le vide ou l’adversaire nous a finalement détruit toutes nos unités et nos bâtiments. C’est fini. Il faut ou bien tout recommencer, ou bien repartir d’une sauvegarde. Ces sauvegardes sont votre moyen de protection face à la mort : ils permettent à partir de là de refaire la séquence qui vous a entrainé vers le trépas, et donc améliorer vos choix et vos actions. Ces sauvegardes sont manuelles, automatiques ou encore requièrent la consommation d’une vie.

 

De là, le joueur doit comprendre ce qui n’allait pas, s’améliorer dans son adresse pour un jeu d’action, revoir ses choix de bâtiments et d’unités ou encore comprendre qu’il lui manque de l’expérience et aller la chercher ailleurs, ce qu’on appelle le grind dans les jeux de rôle. La mort est une punition mais les sauvegardes vous offrent ainsi résurrection et rédemption. Les options vous permettent même aujourd’hui pour certains jeux de baisser en pleine partie la difficulté. En bref, la mort est un empêchement de progresser dans une campagne ou dans une aventure, et est donc négative. Mais nous allons voir aussi que la mort, qui donne envie de s’améliorer, peut aussi rendre une expérience de jeu unique.

 

La mort est pénalisante

 

Dans d’autres types de jeux, la mort n’est pas une punition, mais est à tout le moins pénalisante, sans signifier tout de suite la fin du jeu ou le game over. C’est généralement le cas dans la famille des jeux de stratégie et de gestion, qui impliquent comme vous le savez une certaine hauteur de vue.

 

Dans un STR à la Age of Empires, perdre des unités militaires ou des villageois, c’est perdre les ressources qui ont été utilisées pour les créer, perdre de la main d’œuvre pour contrôler le terrain, et si maintenu c’est perdre la partie entière quand toutes vos unités sont mortes et vos bâtiments détruits. Il faut donc mieux cerner les bonnes unités à utiliser avec les bonnes ressources et un meilleur contrôle du terrain pour gagner les batailles, puis la guerre. Pour les jeux tactiques, comme XCOM, perdre des hommes dans une mission est difficile, mais il y a toujours d’autres unités militaires à recruter, entrainer et équiper. Dans les jeux de gestion comme le city-builder Frostpunk, perdre des hommes, c’est perdre de la main d’œuvre, ce qui peut pénaliser tout votre développement et potentiellement vous faire tout recommencer. Mais là aussi, c’est tout l’intérêt du jeu : on recommence pour avoir la ville la mieux ordonnée et la mieux structurée, la plus apte à résister à la rigueur climatique, avec des décisions qui ont du sens et du poids.

 

On peut également mentionner les jeux de compétitions en multijoueur, à l’image des jeux de tir à la première personne, qui ont inauguré le fameux death match ou match à mort. On vit, on tire sur ses adversaires, on en tue et on meurt, avant de recommencer, pour finir par le fameux ratio kill/death entre tués et vos propres morts. Cela sert ainsi à définir votre talent au jeu vidéo : vous mourez moins et tuez plus, vous êtes donc bons. Ce constat est toujours d’actualité dans le battle royale : seul le dernier survivant gagne. C’est aussi une question d’équipe, comme dans les MOBA à la League of Legends. La mort pénalise le joueur en le forçant à attendre sa résurrection, mais aussi donne de l’argent à l’adversaire qui peut donc mieux s’équiper, pénalise l’équipe entière avec une personne en moins sur le terrain pour attaquer et défendre, et est donc à éviter le plus possible. Cet aspect pénalisant de la mort peut être source de rage et de frustration, il n’y a qu’à voir les commentaires toxiques de League of Legends, notamment sur les feeders, qui meurent et donne de l’argent à l’adversaire, et qui peuvent être pointés du doigt comme des mauvais. D’où l’importance aussi d’un bon matchmaking.

 

Triompher de la mort

 

Vous commencez à le sentir : la mort est une punition et la mort pénalise le joueur, et pourtant, ce challenge et cette frustration peuvent aussi paradoxalement être une source de fun pour le joueur : la satisfaction de triompher d’une situation impossible, comme lors de ma vidéo sur le niveau maudit d’Halo, d’avoir un meilleur niveau permettant de vaincre dans Age of Empires, ou de survivre finalement à des vagues de monstres dans They Are Billions. Le jeu vidéo permet ainsi rien de moins que de triompher de la mort. La mort donne un horizon au joueur : si le joueur joue bien, il ne sera pas puni ou pénalisé. Si le joueur qui meurt joue mieux après sa mort, il aura le privilège de ne pas mourir et d’avoir donc l’impression de progresser. Sans mort possible, dans la limite des jeux dont nous avons parlé, il n’y aurait aucun enjeu aux combats, et aucun intérêt d’utiliser tout ce que le jeu offre au joueur, à savoir les ressources, les mouvements, les armes ou la progression. La mort devient donc le marqueur de la difficulté d’un titre, du challenge proposé. Cette mort peut être équitable, reposant sur le niveau du joueur, ou un peu moins, comme lorsqu’un titre multiplie les pièges vicieux comme un Dragon’s Lair. Nous n’allons néanmoins pas aborder plus que ça la question de la difficulté. On pourrait d’ailleurs ajouter à cela que les jeux d’aujourd’hui doivent malgré tout trouver un équilibre dans leur difficulté pour satisfaire un public, d’où les différents niveaux de difficulté, bien qu’artificiels : trop mourir peut ainsi dégouter les joueurs qui veulent passer un bon moment et profiter de l’histoire, trop peu mourir peut ennuyer les joueurs qui veulent être challengés par un jeu.

 

Dark Souls ou l’éloge de la mort

 

Au milieu de ce triomphe de la mort, il existe une série de jeux qui a marqué au fer rouge l’intérêt de la mort, et qui est à mon sens l’initiateur de toute la vague roguelite des années 2010, je parle évidemment de la série des Souls des Japonais de From Software. A partir de Demon’s Souls (2009) et de Dark Souls (2011), le gameplay est limpide : le joueur dirige un personnage dans un monde hostile, où les possibilités de mourir sont légion. Le joueur est tué en deux coups par n’importe quel ennemi, peut être enchainé par des monstres, tomber dans le vide, tué par un piège ou écrasé par les redoutables boss. Pour s’en sortir, le joueur doit maitriser les armes, toutes au gameplay différent, les boucliers, les parades et surtout les esquives. Quand il meurt, le joueur ne peut s’en prendre qu’à lui-même.

 

Mais au-delà de la grande difficulté du titre relativement à d’autres jeux du même genre, ce sont les mécaniques de la mort qui sont utilisées qui ont fait du soft un hit. A chaque fois qu’un monstre est tué, le joueur récupère, outre le loot, des âmes. Ces âmes vont lui servir à passer des niveaux et devenir plus fort. Par contre, aucun moyen de les stocker : ou le joueur les utilise à un feu de camp qui jalonne les niveaux, qui fait d’ailleurs ressusciter tous les monstres tués quand le joueur s’y repose, ou bien le joueur perd les âmes en mourant. A ce moment-là, il a encore une chance de les récupérer : en retournant sur l’endroit de sa mort à partir du dernier feu de camp visité, ce qui implique de tuer tous les monstres sur le chemin, et donc de ne pas décéder comme au run précédent, ce qui implique une source de tension supplémentaire qui pousse le joueur à se dépasser. Si le joueur réussit, il récupère ses âmes, sinon elles sont perdues à jamais et seule la frustration reste.

 

La mort est une punition, est pénalisante pour la joueur, mais devient du même coup une mécanique d’avancement à part entière. Elle est utilisée par le jeu pour faire progresser le joueur. Et triompher de la mort, c’est triompher du gameplay du soft, triompher de ses adversaires, et progresser toujours plus loin. La mort est même comparative : la mécanique qui permet de voir les fantômes des gens décédés pour voir comment ils sont morts rend la mort sociale. Les Souls ont définitivement marqué le jeu vidéo dans les années 2010, avec tous les Souls-like qui ont essaimé par la suite, jusqu’au tout récent Elden Ring, paru en 2022. De nombreux jeux en ont pris la suite, et certains parlent ainsi d’une revalorisation du challenge et de la difficulté dans les jeux vidéos. Nous verrons que c’est un peu plus que ça quand nous parlerons des roguelite. Malgré tout, il ne faut pas généraliser : assez challengeant et frustrant, les jeux de From Software peuvent aussi décourager pas mal de joueurs face à ces pics de difficulté et de frustration. Après tout, chaque joueur a ses propres goûts et désirs face aux softs, et c’est son droit le plus strict de moins apprécier des softs aussi frustrants.

 

Conclusion

 

Finalement, la mort est beaucoup présente dans le jeu vidéo. Au-delà de celle infligée par le joueur pour débloquer des situations, elle est surtout une punition et un moyen de pénaliser le joueur. Et pourtant, c’est par ce côté punitif et pénalisant de la mort que se crée le challenge et la difficulté, offrant un horizon dépassable pour le joueur, qui trouvera de nouvelles solutions pour triompher : mieux gérer ses sauts, connaitre le terrain et les ennemis, ou passer par d’autres voies quand cela est possible comme dans le tout récent Elden Ring. Dark Souls, quant à lui, en a fait une mécanique à part entière en l’intégrant pleinement dans l’avancement du joueur. Mais il n’y a pas que les Souls : il existe deux genres de jeux qui font de la mort leur fond de commerce : les roguelike et les roguelite. Si les premiers forment une catégorie à part des jeux de rôle, où la mort est une punition peut-être plus brutale encore que dans d’autres types de jeux, les roguelite forment EUX une association de softs de différents genres, qui vont utiliser d’une manière ou d’une autre la mort dans leur gameplay. Les premiers sortent d’une vieille tradition qu’on remonte à Rogue (1980), les seconds ont surtout essaimé dans les années 2010 à travers la scène indépendante. Nous verrons ainsi chacun de ces deux genres dans les deux prochains épisodes de Captain’Cast (on les a déjà vu dans les articles ci-dessous).

 

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