La balade des héros – Majesty : The Fantasy Kingdom Sim (2000)

Comme tout jeu hybride, la formule de Majesty fonctionne comme une recette de cuisine : d’abord prenez un jeu de rôles où des personnages prennent des niveaux en tuant des monstres ou en explorant ; ensuite mêlez à cela un jeu de gestion de royaume, avec des bâtiments et diverses recherches à mettre en place en temps réel ; enfin, autonomisez le tout en laissant seulement au joueur la partie gestion. Développé par Cyberlore Studios, et édité par nos amis de Microprose (Civilization, XCOM), Majesty propose ainsi un jeu de gestion de royaume où vous recrutez des héros, qui viennent se reposer dans vos auberges, s’équiper dans vos marchés, mais qui vivent leur vie de héros sans que le monarque puisse les rappeler à l’ordre. Tout au plus pourra-t-il instaurer un système de récompenses pour tuer tel ennemi, explorer tel lieu, ou détruire tel repère de gredins. Voilà l’économie et la grande originalité, en peu de mots, d’un Majesty. Voyons cela en détail.

 

 

I. Mon royaume pour un héros

 

La société américaine Cyberlore Studios, fondée en 1992, s’est d’abord spécialisée dans les jeux de rôle (RPG) avec Al-Qadim : The Genie’s Curse (1992) et Entomorph : Plague of the Darkness (1995), qui mêlent RPG et action en temps réel. Ils sont ensuite mandatés pour réaliser des extensions, d’abord en 1996 pour le jeu de stratégie en temps réel (STR) Warcraft II (1995) de Blizzard Entertainment de la série du même nom, puis en 1997 pour le soft mêlant gestion et batailles au tour par tour Heroes of Might & Magic II (1996) de New World Computing. Ils partent ensuite dans les méandres de la science-fiction au tour-par-tour avec Deadlock II : Shrine Wars, avant de présenter Majesty en 2000, un mix entre un jeu de gestion de royaume et un RPG. Les mécaniques rappellent fortement le jeu Dungeon’s Keeper (1997) de Bullfrog Productions. Vous deviez en effet y construire un donjon, des salles pour attirer des monstres et les maintenir en forme, voire les entraîner, tandis que des vagues de héros venaient vous défier pour finir par servir de repas à vos fidèles minions. On y voyait déjà un jeu de gestion dans lequel les monstres font leur vie sous votre houlette lointaine. Le même pitch s’applique à Majesty, mais avec des héros du bien.

 


La carte du monde, divisée en missions narratives de toutes sortes, appelées quêtes. Vous pouvez aussi, si le coeur vous en dit, lancer une quête générée aléatoirement.

 

Les quêtes, c’est-à-dire chacun des missions principales du jeu, ont toutes un pitch de départ, un objectif, et une base de départ. Vous commencerez toujours une mission avec votre palace, votre quartier-général, qui contient des paysans, capables de construire vos bâtiments, et un percepteur d’impôts qui passe dans vos bâtiments pour vous rapporter de l’argent. Chacun de ces personnages peut bien évidemment être abattu par des monstres errants. Il faut donc se défendre. En lui-même, le royaume peut construire des tours, contenant un garde et capables de tirer des flèches avec la recherche qui va bien, tandis que des gardes du palace seront recrutés lorsque vous augmenterez votre niveau de construction. Mais ces défenses humaines ou matérielles seront bien vite inefficaces contre les nuées de monstres, d’autant qu’en plus des monstres errants, la croissance de votre ville entraînera la formation d’égouts, regorgeant d’hommes-rats, et de cimetières où les morts n’ont qu’un repos assez partiel… Il faudra donc nécessairement compter sur de fidèles héros.

 


Ma cité médiévale se développe. Mon palace, à gauche, est d’un bon niveau, et est protégé par une tour. Des égouts malfaisants se sont formés juste à côté, d’où sortent périodiquement des rats mutants, tandis que des maisons de paysans ont été automatiquement construites à gauche. A droite, on trouve le marché, poumon économique de votre cité, et en-dessous la guilde des guerriers. Certains d’entre eux sont d’ailleurs en train de combattre un minotaure.

 

Votre rôle, en tant que souverain, est donc d’établir dans votre royaume des guildes de héros. Il y en a un certain nombre : la guilde des voleurs, des guerriers, des rangers, des magiciens, sans compter les extra-humains tels les elfes et les gnomes, ou encore des guildes plus évoluées amenant sorciers, moines combattants, paladins et j’en passe. Une fois la guilde construite, vous pouvez y recruter jusqu’à quatre héros moyennant pièces d’or. Une fois présents physiquement, ces héros feront absolument ce que bon leur semble, en fonction de leurs caractéristiques, de leur niveau, et de leur guilde d’origine : les voleurs se baladeront dans la nature pour trouver des trésors, les rangers exploreront, les guerriers iront mesurer leur compétences martiales, et les soigneurs tâcheront d’assister vos héros.

 

II. A la recherche du héros perdu

 

Lors de leurs expéditions et combats, ils amasseront individuellement de l’or et de l’expérience, qui leur fera passer des niveaux. A moins qu’ils ne meurent en route, car la vie de héros est semée d’embûches. S’ils ne meurent pas, félicitations, ils viendront dépenser leur argent dans votre royaume, et c’est là qu’en tant que monarque avisé, vous allez mettre en place une infrastructure et une économie dédiée à ces braves combattants défendant corps et âme votre royaume. Vous pourrez ainsi mettre en place un forgeron, pour qu’ils puissent dépenser leur argent en armes et armures plus évoluées, mais aussi un marché pour leur fournir des potions de soin ou des anneaux de téléportation, des auberges pour se reposer, et j’en passe. Tout l’argent qui transite est bien évidemment imposable, ce qui ravira vos percepteurs d’impôts. Il y a en tous les cas pléthore de bâtiments à construire, et surtout à améliorer pour apporter plus de subtilité : par exemple, la guilde des voleurs de niveau 2 donnera aux héros qui la visitent des armes empoisonnées. On trouve aussi des guildes spéciales et des librairies pour l’achat de sorts divers par vos héros, la mise en place de tournois, des jardins pour la méditation, etc.

 


La guilde des mages permet aussi de lancer des sorts directement à l’aide d’un peu d’argent. Les sorts en rouge seront débloqués si la guilde prend un niveau. Vous voyez par ailleurs différents personnages : des guerriers, des mages, des gardes venant de la tour ou du palace. On reconnait à gauche la guilde des rangers, qui a pour particularité de pouvoir changer de place à la volée pour 800 pièces d’or. Chaque guilde a sa propre spécificité.

 

Vos héros, une fois équipés en armes, armures et objets, après avoir été entraînés dans vos tournois, après avoir acheté des sorts, après avoir pris des niveaux et s’être baladés dans la nature, retournent aussi dans leur guilde pour déposer leur surplus d’argent, qui sera prélevé tout autant par vos précepteurs d’impôts. Il faut bien vivre ! Vous voyez ainsi toute l’économie se mettre en place. Même si vos héros sont autonomes, vous pouvez pour chacun d’eux regarder leurs points de vie, leur équipement, leurs objets, et leurs caractéristiques, et vous prendre d’affection pour eux lorsque certains se téléportent, utilisent un bouclier de feu, et détruise une antre de monstres en quelques coups, avant de décéder subitement au détour d’un petit chemin. Certains bâtiments vous autorisent à avoir un contrôle plus direct sur le monde grâce à des sorts payants : foudroyer un monstre ennuyeux, rendre invisible un héros en fâcheuse posture, …

 


A gauche, l’écran indique tous les héros, leurs occupations, ainsi que leur niveau. Certains explorent, d’autres fuient en courant, et d’autres se dirigent vers une prime. Certains peuvent aussi être en train de se reposer dans une auberge, d’acheter des armes chez un forgeron, ou des potions de soin dans un marché.

 

III. Appât du gain

 

Dans les missions les plus dures, votre royaume est attaqué en permanence par des minotaures, des elfes dégénérés, des harpies, et tout un bestiaire de bêtes vicieuses, ayant leurs forces et leurs faiblesses. Il faut dès lors adapter vos guildes au danger. Par ailleurs, comme dit précédemment, les villes qui se développent voient arriver de nouvelles habitations de paysans à taxer, mais aussi des égouts et des cimetières remplis d’ennemis. Enfin, pour corser le tout, des antres de monstres parsèment la carte, emmenant sur votre royaume ruine et terreur, quand ce n’est pas carrément un concurrent disposant de ses propres héros et ciblant vos infrastructures. C’est pourquoi le moyen de contrôler indirectement les héros pour vous permettre de résoudre tous ces problèmes est de mettre en place un système de récompenses. En cliquant deux fois sur un point de la carte, vous mettrez en place un drapeau d’exploration. Sur un monstre ou un bâtiment, ce sera un drapeau de chasse. Pour chaque drapeau, vous assignez un multiple de 100 pièces d’or. Plus la récompense est élevée, plus vos héros se dirigeront nombreux vers leurs cibles, ce qui vous évitera de voir des héros vivoter dans votre cité.

 


Le drapeau de chasse, avec une prime de 500 pièces d’or à la clé pour quiconque s’amusera à venir détruire ce bâtiment. Cette méthode vous permet de donner indirectement des ordres à vos héros. Vous pourriez faire de même sur un monstre, ou sur une portion de terre à explorer.

 

Mais vos héros ne sont pas immortels, loin de là : ils ont des points de vie comme tous les sujets de votre royaume. D’autant plus qu’ils n’obéissent qu’à eux-même, ce qui les met parfois dans des situations compliquées, où ils n’arrivent ni à fuir, ni à vaincre l’adversaire. L’intelligence artificielle n’est à ce titre pas toujours très élaborée, et il arrive que le joueur humain ressente une grande lassitude en voyant ses magiciens si chers et si fragiles se rapprocher tranquillement d’un minotaure sans prendre immédiatement les jambes à son cou. Les aléas du métier ! Pour contrer cela, vous pouvez utiliser des sorts comme précisé au-dessus, mettre des récompenses élevées sur des lieux précis pour forcer vos héros à ne pas se balader n’importe où, entraîner vos héros dans des structures dédiées et adapter vos recrutements à l’environnement. Malgré tout, l’autonomie des héros fait aussi le sel du jeu.

 


Mes rivaux doivent disparaître, et j’incendie leurs propriétés avec mes propres héros. A gauche, vous voyez d’ailleurs les caractéristiques de ce guerrier. En naviguant dans les fenêtres, vous pouvez aussi voir son équipement, ses objets, et ses sorts et compétences s’il en a.

 

Conclusion

 

Il y aurait encore beaucoup de choses à dire sur les subtilités de Majesty, notamment sur les recherches à faire dans chaque bâtiment afin de débloquer des sorts ou capacités spéciales à acheter et utiliser par vos héros, sur les niveaux des bâtiments octroyant de nouvelles possibilités, sur certaines combinaisons de bâtiments nécessaires pour équilibrer votre économie, notamment par l’établissement de marchés et de postes de commerce, mais aussi d’unités pour vous adapter aux ennemis, sans compter les capacités spéciales des guildes, comme l’extorsion monétaire des voleurs ou la téléportation des guerriers. Les graphismes sont mignons, les musiques d’ambiance correctes, et les animations des héros ou des monstres sont appréciables, bien qu’on puisse pester de temps en temps sur l’intelligence artificielle des héros de temps en temps. En tous les cas, on se prête très vite au jeu, à équilibrer ses recrutements et ses constructions, à voir les invasions de monstres se succéder devant votre palais et à voir vos meilleurs héros mourir pitoyablement ou triompher vaillamment. Le mélange entre gestion, stratégie en temps réel et RPG fonctionnent ainsi très bien, d’autant que la difficulté augmente rapidement.

 


Un exemple de mission plus avancée, où vous êtes assailli dès le début par une nuée de héros adverses, abattant vos paysans et vos trésoriers…

 

Un an après, une extension voyait le jour, The Northern Expansion, rajoutant de nouvelles missions. Quant à Cyberlore Studios, après une incursion dans l’univers de MechWarrior, le studio s’est délesté d’une partie de ses salariés pour stopper la production vidéoludique et se reconvertir en 2005, d’après des sources très peu précises, dans le serious game pour entreprises. La licence n’est pourtant pas morte : les droits ont été rachetés par nos amis suédois de Paradox Interactive, qui ont chargés les Russes d’1C Company, qu’on connait pour de multiples jeux de stratégie dont nous reparlerons à l’avenir, de développer Majesty 2 : The Fantasy Kingdom Sim. Sorti en 2009, le jeu améliore la patte graphique et le système de jeu, avec par exemple la formation dans des auberges de groupes de héros, mais est relativement boudé par les fans de la franchise, car les héros réclament davantage de missions d’exploration ou de chasse et sont de fait moins autonomes que dans le premier, tandis que la difficulté est en dents de scie. Quoi qu’il en soit, le soft original est une expérience originale et bien amenée.

 

Liste des jeux de gestion :

 

Liste des jeux rétros :

Leave a Reply