Le Cachemire, endroit le plus dangereux au monde ? (Chronique Géopolitique, Asie du Sud)

Pour cette deuxième chronique, nous nous déplaçons de l’Amérique Latine pour le sous-continent indien en Asie du sud, dans une zone où les tensions régionales restent vives depuis la fin des années 40 entre trois puissances aujourd’hui nucléaires : la République Populaire de Chine, la République de l’Inde et la République Islamique du Pakistan. C’est autour du Cachemire que se structurent ces affrontements, région qualifiée par le président américain Bill Clinton de « world’s most dangerous place ». Cette province partagée entre les trois acteurs régionaux se structure autour de glaciers très proches des frontières montagneuses chinoises, et d’une importante réserve d’eau douce en pleine Asie du sud, notamment pour le fleuve Indus (Pakistan).

 

Une indépendance mouvementée

 

Après la Seconde Guerre Mondiale, la Grande-Bretagne entame un processus de décolonisation. Le mouvement indépendantiste dans les Indes Britanniques est mené entre autres par Mohandas Karamchand Gandhi (1869-1948) et Jawaharlal Nehru (1889-1964) et suivi par les partisans de la désobéissance civile. Mais les heurts entre, pour simplifier, les communautés musulmanes du nord du pays, et les communautés hindoues du sud du pays, exacerbent les tensions locales. En 1947, contre les partisans d’une Inde indépendante et unifiée, les Britanniques organisent une partition, séparant le Dominion du Pakistan à majorité musulmane de l’Union Indienne à majorité hindoue. Ce n’est qu’en 1971 que le Dominion du Pakistan se sépare de la République Populaire du Bangladesh, cette dernière étant appuyée par l’Inde.

 

 

Les 565 états princiers de la région, qui subissaient un contrôle indirect de la part des britanniques, sont désormais absorbés par les deux nouvelles entités politiques. Mais le maharadjah du Jammu-et-Cachemire Hari Singh (1895-1961) résiste. Hindou, il dirige une province à majorité musulmane sunnite, surtout à l’ouest, mais qui compte aussi des bouddhistes à l’est en marge du plateau tibétain, des hindouistes dans la plaine de Jammu et des chiites dans les montagnes du nord-ouest.

 

Le Maharadjah Hari Singh

 

Des conflits régionaux

 

Des forces tribales appuyées par l’armée pakistanaise entrent alors dans la province, et le 26 octobre 1947, le maharadjah se décide à appeler l’Inde. La première guerre indo-pakistanaise commence, et ne s’arrête qu’au 1er janvier 1949, lorsque l’ONU partitionne la province : le tiers ouest pour les Pakistanais, le reste du territoire pour les Indiens. Une ligne de démarcation est tracée et gardée. Ce conflit a provoqué des centaines de milliers de morts selon les estimations, et a occasionné un vaste transfert de population (on parle de plus de douze millions de personnes), fuyant les violences, musulmans rejoignant le Dominion du Pakistan, et hindouistes rejoignant l’Union Indienne. Ce ne sera pas le seul conflit qui opposera ces deux états : en 1965 après une infiltration pakistanaise ; en 1971 lorsque le Pakistan oriental, appelé Bangladesh, se sépare du Pakistan ; en 1999 dans la vallée montagneuse de Kargil, soit une guerre à très haute altitude ; en 2001-2002, lorsque l’Inde subit des attentats et accuse des cellules terroristes pakistanaises soutenues par l’Etat, que les troupes se massent près de la ligne de démarcation, et que les deux puissances possèdent l’arme nucléaire depuis 1998. Une situation tendue.

 

 

A ces deux protagonistes s’en greffe un troisième : la Chine de Mao Zedong (1893-1976). Il envahit l’Aksai Chin en 1962, ainsi que la haute vallée de Skagsam et une partie du sud-est. Cette région stratégique est en effet en contact direct avec les provinces chinoises du Tibet au nord-est et du Xinjiang au nord-ouest. Ce grave contentieux sino-indien perturbe les relations régionales, d’autant plus qu’il s’agit de deux puissances nucléaires et que le Pakistan ne s’oppose pas aux revendications chinoises, contrairement à l’Inde qui n’a jamais abandonné les territoires qu’elle considère comme légitimes.

 

Le glacier du Siachen est ardemment défendu.

 

La question du terrorisme

 

Depuis les années 90, de nombreux fondamentalistes musulmans, appuyés sur des réseaux établis au Pakistan, et pouvant même venir d’Afghanistan depuis les attentats du 11 septembre 2001 et la guerre contre les talibans qui a suivi, franchissent la ligne de démarcation entre la partie pakistanaise et la partie indienne. Certains parlent même de « djihad » dans le but de rétablir l’hégémonie pakistanaise sur un territoire qu’elle aussi considère comme légitime. Ceci occasionne des troubles, notamment entre la population musulmane locale et l’armée indienne de par les amalgames rapidement établis. Rajoutons à ce cocktail des mouvements indépendantistes, religieux ou non, organisés en guérillas, comme les Hizbul Mujahideen, des manifestations réprimées dans le sang et des milliers de disparus. En ce moment même, la mort d’un membre du groupe pré-cité a provoqué de nombreuses manifestations pendant l’été. 78 morts parmi les manifestants sont à déplorer pour le moment. Les tensions restent vives.

 

Aujourd’hui, près de 700 000 militaires indiens patrouillent dans la province, faisant du Cachemire indien une des zones les plus militarisées au monde. Certaines villes sont encore placées sous couvre-feu, et la ligne de contrôle indo-pakistanaise fait plus de 740 kilomètres de long. Aujourd’hui encore, des heurts sont fréquents entre l’armée indienne et la population, d’autant plus qu’un référendum est demandé par l’ONU depuis 1949 et n’a jamais été appliqué. La région reste encore une zone de contentieux locaux et régionaux très importants, aggravés par le rang des puissances présentes et leurs capacités nucléaires.

 

Sources : Arte, La Documentation Française, Le Dessous des Cartes (10 septembre 2016 : l’émission revenait sur le discours cartographique du service Google Maps en fonction de ses lieux d’implantation. Dans la partie du Cachemire, on suit trois versions différentes, dont une montre par exemple le Cachemire entièrement indien, montrant que les luttes de pouvoir deviennent des luttes d’information.), L’Humanité, Monde Diplomatique (septembre 2016 : un des articles revient sur la lutte culturelle contre l’autorité indienne qui se fait aujourd’hui jour dans la région administrée par les autorités indiennes. Faisant suite aux manifestations réprimées dans le sang et à la lutte armée, les artistes disent prendre la relève).

 

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