Bilan sur l’Infanterie des Derniers Antigonides (6/) – La Légion face à la Phalange

(Cette série d’articles est reprise de mon mémoire de recherche intitulé La Légion face à la phalange. L’armée des derniers rois antigonides face aux conquêtes romaines, à travers l’oeuvre de Tite-Live, et soutenu en 2017 à Paris-Sorbonne, sous la direction de M. François Lefèvre.)

 

Deuxième partie : Les unités de combat de Persée

 

Après la Deuxième Guerre de Macédoine, l’armée de Philippe V est à bout de souffle. La bataille de Cynoscéphales a porté un large coup à l’attirail militaire macédonien. Toutefois, les années de paix qui caractérisent la fin du règne de Philippe V permettent la mise en place d’une « restauration intérieure »[1]. A la mort du roi, et selon un processus décrit par Tite-Live comme troublé par des conflits de cour et des affaires d’assassinat[2], Persée monte sur le trône. Sa première action est de renouveler le traité avec Rome, maintenant la position de son père, qui a même participé à la lutte entre les Romains et Antiochos III[3]. Tout en ayant le traité de son côté, Persée restaure peu à peu son influence en Grèce, dans la Mer Egée, et à l’est, ce qui n’est pas du goût d’Eumène II, comme son accusation en place publique de la restauration militaire antigonide le laisse entendre[4].

Nous l’avons vu en introduction, les causes de la guerre imputées à Persée restent contradictoires, et pourtant Tite-Live, dans son récit, joue sur les deux tableaux : d’un côté, il présente toutes les raisons compilées par les annalistes pour justifier cette Troisième Guerre de Macédoine[5], de l’autre, il propose la réponse claire de Persée à ces accusations[6]. Dans le domaine légal, Persée n’a en effet pas outrepassé les droits définis par le traité avec les Romains en se défendant contre le roitelet thrace Abrupolis, en reprenant la Dolopie, en restaurant une certaine influence en Grèce et en défilant à Delphes[7].C’est en fait bel et bien une guerre préventive qui se joue, à partir de ces différents prétextes.

Une fois la guerre lancée, les combats se concentrent en Thessalie, où l’armée de Persée, renouvelée et vigoureuse, défait les Romains à Callinicos en 171[8]. Ce combat de cavalerie, d’auxiliaires et de mercenaires ne laisse pas le temps aux phalangites et au gros de l’infanterie romaine de rentrer en action. Ce n’est qu’en 169 que les forces romaines pénètrent enfin en Macédoine par le sud[9]. C’est la première fois que des Romains pénètrent pendant un conflit sur le territoire des Antigonides : les guerres précédentes se déroulaient en Grèce, en Thessalie et en Illyrie. Cette situation particulière mène ensuite jusqu’à la bataille rangée de Pydna[10], qui solde définitivement le compte de l’armée macédonienne, qui ne se relèvera pas de cette défaite cinglante.

C’est dans ces circonstances que nous pouvons étudier l’armée de Persée, après notre partie sur l’armée de Philippe V. Il s’agira de voir comment l’armée du dernier roi antigonide se structure techniquement comparativement à l’armée du père. Vraisemblablement, les structures et les unités macédoniennes gardent leur spécificité, mais des détails nouveaux permettront d’étendre la réflexion. De plus, les auxiliaires, les garnisons les mercenaires et la flotte bénéficient de circonstances singulièrement différentes de celles de la période précédente, et il conviendra d’y revenir en détail.

Par ailleurs, par certains points, le récit de Tite-Live se fait souvent plus précis d’un point de vue militaire. C’est particulièrement permis grâce au truchement de Polybe, la source grecque de référence, qui écrit cette fois son époque et non pas celle révolue de Philippe V.

[1]WILL, Edouard, Histoire Politique du Monde Hellénistique (323-30 av. J.-C.), « Tome 2 : Des avènements d’Antiochos III et de Philippe V à la fin des Lagides », Seuil, Lonrai, 2003 (1e éd. 1966), p.248-250

[2] Tite-Live 40.56, 40.57 et 40.58 notamment (citations 190, 191 et 192).

[3] Tite-Live 36.4 (citation 141).

[4] Tite-Live 42.11 (citation 196).

[5] Tite-Live 42.13 et 42.40 (citations 198 et 215).

[6] Tite-Live  42.40, 42.41 et 42.42 (citations 215, 216 et 217)

[7] WILL, op. cit., p.268-270

[8] Tite-Live 42.58, 42.59 et 42.60 (citations 232, 233 et 234)

[9] Tite-Live 44.7 (citation 272).

[10] Tite-Live 44.40, 44.41 et 44.42 (citations 299, 300 et 301).

 

Bilan sur l’infanterie des derniers Antigonides

 

Pour poursuivre la réflexion engagée pour le règne de Philippe V au premier chapitre, nous allons établir un tableau des différentes occurrences dans l’œuvre de Tite-Live aux unités militaires à pied, dans les livres XLI à XLV[1]. Nous avions parlé de l’infanterie antigonide comme d’une force nationale de paysans-citoyens, entraînés et incorporés dans l’armée antigonide en cas de besoin, comme nous le verrons dans la partie suivante. Aussi, dans un discours de Persée rapporté par Tite-Live, il est dit à propos de cette force majoritairement composée de phalangites :

« des enfants étaient nés en Macédoine qui arrivaient pour la plupart à l’âge de porter les armes ; ces jeunes gens, constamment mobilisés par de petites guerres contre les Thraces du voisinage, étaient bien entraînés sans être affaiblis (…) des soldats comme eux, formés aux combats dès l’enfance, aguerris et endurcis par tant de campagnes »[2]

 

Vocabulaire de Tite-LiveOccurences
Agema42.51, 42.58 (citations 225 et 232)
Caetrati et Delecti42.51, 44.13, 44.32, 44.41 (citations 225, 278, 294 et 300)
Chalcaspides et Leucaspides44.41 (citation 300)
Leues Armaturae42.57, 43.18, 44.2  (citations 231, 260 et 267)
Nicatores43.19 (citation 261)
Pedites42.12, 43.18, 43.21 (citations 197, 260 et 261)
Phalanx42.51, 43.18, 44.37, 44.41 (citations 225, 260, 298 et 300)
Satellites42.39, 42.51 (citations 214 et 225)

 

Les troupes d’infanterie macédonienne de l’époque de Persée identifiées dans Tite-Live

 

I. L’Infanterie d’Elite

 

Nous avons déterminé  pour l’époque de Philippe V que les πελτασταί (peltastai) antigonides n’ont rien à voir avec le corps d’infanterie légère de type thrace qui commence à être utilisé massivement au moment de la Guerre du Péloponnèse. Pourtant, Tite-Live a traduit ce terme par caetrati, soit des porteurs de petits boucliers, soit de l’infanterie légère. Avec les dernières occurrences du terme pour le règne de Persée, concluons sur cette unité d’élite permanente et lourde, et voyons son lien avec l’agema.

a) Occurrences

 

Dans l’inventaire des forces de Persée, chiffrées à près de 43 000 hommes[3], juste après la réunion entre Persée et son consilium[4] pour accepter la guerre préventive des Romains, on trouve une force de 5 000 caetrati. Avec la vingtaine de milliers de phalangites tirés des quatre districts, ils représentent ainsi 20% des troupes macédoniennes. Un contingent de 3 000 caetrati est mené par Antiphilus d’Edessa, tandis que les 2 000 caetrati restants forment ce qu’on appelle l’agema[5]. Ils bénéficient de deux commandants : Léonnatus et Thrasippe[6].

En 171, la bataille de Callinicos se prépare. Juste avant la victoire de Persée, le dispositif de bataille se met en place : au centre, avec le roi, on retrouve notamment l’ala sacra et l’agema[7].

En 169, sous le consulat plus énergique de Q. Marcius[8], Persée envoie deux mille delecti, soit des troupes choisies, et donc d’élite, pour une mission difficile[9] : surprendre les assiégeants romains devant Mélibée, les forcer à lever le camp, puis entrer subrepticement dans Démétriade, assiégée par les Romains. Menée par Euphranor, cette troupe, que nous assimilons à des peltastes, voire à l’agéma précédemment citée, remplit ses objectifs avec brio.

Au début de l’année 168, au moment où le consul Paul-Emile prend ses fonctions, une troupe de 2 000 caetrati garde la cité de Thessalonique, commandée par Eumène et Athénagoras[10]. Ce chiffre de 2 000 peut encore renvoyer à l’agéma.

Enfin, au moment de la bataille de Pydna, le 22 juin 168, parmi les bribes du texte original de Tite-Live, on retrouve la présence des caetrati. Ils ont vraisemblablement opposé un mur de hastae aux Péligniens imprudents, et se battent coude-à-coude avec la phalange[11] comme à la bataille de Cynoscéphales. Ils agissent ainsi dans cet extrait comme des troupes de ligne, et qui plus est, comme de l’infanterie lourde.

b) La question de l’agéma

 

Comme nous le rappelle M. B. Hatzopoulos[12], l’agéma se distingue du corps des peltastes dans le récit polybien[13]. Or, pour Tite-Live, l’agéma correspond à une partie encore plus prestigieuse du corps des peltastes. Pour ne rien rajouter à cette difficile équation, E. Foulon assimile l’agéma au corps des hypaspistes, les descendants des gardes du corps royaux[14].

Ainsi, Tite-Live indique que ces delecti possèdent la vis (force) et la robor aetatis (vigueur de leur âge) pour justifier de leur présence dans ce corps d’élite[15].  Toutefois, la confusion dans les commandements, relevés par M. B. Hatzopoulos, tendent à questionner la véracité des propos de Tite-Live, qui n’est pas à une approximation militaire près : ainsi, le Léonnatus, commandant soi-disant l’agéma lors de la grande revue militaire, dirige la phalange au moment de la bataille de Callinicos[16].

Sans pouvoir déterminer exactement la teneur des forces de l’agéma, M. B. Hatzopoulos s’avance quelque peu à l’aide du diagramma militaire de Drama[17], en indiquant que pour réconcilier les différents types de sources, on peut établir l’hypothèse selon laquelle les peltastes sont versés à partir d’un certain âge[18] dans l’agéma. Ce serait ainsi un autre corps de troupes, mais assez proche des peltastes, d’où la confusion possible.

c) Effectif, équipement et fonction de ce corps

 

Sans plus d’information, si on inclut ces 2 000 membres de l’agéma[19], ou bien ces 3 000 soldats d’élite assimilés par M. B. Hatzopoulos à de possibles membres de ce corps[20], nous pouvons établir une force permanente d’infanterie d’élite de 5 000 individus, qu’il faut peut-être voir en unités d’à peu près 1 000 hommes, c’est-à-dire en chiliarquies. Si l’on considère que la structuration est semblable à celle des phalangites, on obtient une structure en λόχοι (lochoi : files) de 16 hommes, en τετραρχίαι (tétrarkiai : tétrarchies) de 64 hommes, en σπείραι (speirai) de 256 hommes, et donc finalement en chiliarquies de 1 024 hommes.

Au niveau de l’équipement, nous notons comme précédemment un rapprochement avec celui des phalangites : l’ἀσπίς (aspis), le bouclier macédonien par excellence de taille moyenne et en bois recouvert de bronze, le κώνος (casque) et le θώραξ (cuirasse) comme protections métalliques, la σάρισα (sarisse) et le μαχαιρά (épée ou sabre) comme armes offensives[21]. On retrouve aussi vraisemblablement des jambières métalliques. Car malgré les actions de coups de main, ils forment le centre de la ligne à Pydna, tout comme à Cynoscéphales, repoussant les Péligniens et combattant au corps-à-corps les troupes romaines.

 

L’intérêt de cette formation d’élite est donc sa disponibilité permanente, puisqu’il s’agit d’une unité de gardes à pied[22]. Il s’agit bel et bien d’une unité d’infanterie lourde, capable de prendre d’assaut une brèche, de franchir une rivière et de repousser de la cavalerie ennemie, de tendre des embuscades, et de se battre aux côtés de l’infanterie de ligne à Cynoscéphales et à Pydna, dans le dernier cas jusqu’au bout.

 

II. L’Infanterie de Ligne

 

La ϕάλανξ (phalanx : phalange) macédonienne est l’unité de base des armées macédoniennes. Présente chez les Séleucides et les Lagides, notamment sous la forme de mercenaires venant en grande partie de la Macédoine originelle[23], elle fait partie chez les Antigonides de la première unité militaire plus ou moins citoyenne, levée dans quatre districts selon les appels à la guerre du roi et des institutions politiques du pays. Unité mythique depuis sa création par Philippe II, sa formation, et les victoires au combat, elle finit par s’effondrer en bataille rangée à Pydna, au cœur même de sa région d’origine, face à la legio (légion) romaine.

Après une longue partie de présentation pour le règne de Philippe V, voyons sa présence dans la partie de l’œuvre de Tite-Live dédiée au roi Persée.

a) Occurrences

 

Dans la grande revue organisée après le vote de la guerre par les institutions politiques macédoniennes en 171, la force de 43 000 armati compte, sans plus de détail, une bonne moitié de phalangites[24], soit un peu plus de 20 000 hommes, sous les ordres d’Hippias de Béroée.

Entre 170 et 169, une force de dix mille pedites, composée particulièrement de phalangites et, on peut le deviner, d’une partie de peltastes, accompagnée d’infanterie légère et de cavaliers se dirige sous les ordres de Persée en Illyrie[25].

Juste avant la bataille de Pydna, le roi refuse de mettre en ligne la phalange, au vu des considérations topographiques défavorables pour des unités qui ont besoin d’un terrain plat[26].

Au moment de la bataille de Pydna, les phalangites se retrouvent une nouvelle fois en première ligne. La ligne est accrochée en divers points où la phalange se disloque, ce qui distend la ligne, d’autant plus que l’aile gauche macédonienne s’enfuit face aux auxiliaires et aux éléphants romains[27]. Aussi, pour la première fois, les chalcaspides et les leucaspides, deux parties de la phalange, sont spécifiquement nommés.

b) Deux parties de la phalange

 

Les phalangites « au bouclier blanc », c’est-à-dire les λευκάσπιδες (leucaspides), et ceux « au bouclier de bronze », les χαλκάσπιδες (kalkaspides) apparaissent ainsi au détour de la bataille de Pydna. Dans le triomphe de Paul-Emile consécutif à cette importante victoire, Diodore de Sicile parle de 1200 chariots chargés de boucliers blancs et de 1200 autres chargés de boucliers de bronze[28].

Pour M. B. Hatzopoulos qui retrace les apparitions des chalcaspides dans l’œuvre de Polybe[29], ces deux corps forment les deux parties constitutives de la phalange, caractérisées par un bouclier distinct, provenant des arsenaux macédoniens comme nous le verrons bientôt.

c)Effectif et équipement

 

B. Hatzopoulos essaye de retrouver les chiffres donnés par Eumène à Rome dans son inventaire des forces macédoniennes[30], soit 30 000 pedites, 5 000 equites et 10 000 milites mercenarii. A partir des 5 000 peltastes et membres de l’agéma, il détermine le nombre de phalangites à un total de 24 000 hommes. Juste avant Cynoscéphales, Philippe V totalise 16 000 pedites (des phalangites) et 2 000 caetrati[31]. A la revue de l’armée de Persée en 171, Tite-Live indique la présence de 43 000 armati: moins les 12 000 auxiliaires et les 2 000 soldats de Cotys, on arriverait à un total de 29 000 Macédoniens, parmi lesquels on retrouve les 5 000 troupes d’élite, les 3 000 cavaliers et 21 000 phalangites, ce qui fait 5 250 phalangites par district.

Si l’on suit la caractérisation des chalcaspides et des leucaspides, on obtient ainsi 10 500 phalangites au bouclier blanc et 10 500 autres au bouclier de bronze. M. B. Hatzopoulos, en supposant à partir de Diodore de Sicile que chaque chariot du triomphe de Paul-Emile chargé de bouclier en compte une centaine, arrive à 12 000 boucliers de chalcaspides, et 12 000 de leucaspides, pour une force de 24 000 phalangites[32].

 

Sans nous aventurer davantage sur les chiffres, notamment si l’on considère les pertes subies à Pydna qui s’énumèrent à 20 000 morts, 6 000 prisonniers et 5 000 autres prisonniers, soit 31 000 soldats hors de combat[33], revenons un instant sur la structuration tactique de la phalange grâce au travail d’Asclépiodote le Philosophe mais aussi grâce au diagramma d’Amphipolis[34]. Nous avons déterminé que les phalangites sont regroupés en lochoi (files) de 16 hommes, menés par des lochagoi[35] ; que quatre lochoi forment une tétrarchie de 64 hommes, menée par un tétrarque, qui dirige aussi une file[36] ; que quatre tétrarchies forment une speira, dirigée par un speirarque, qui dirige aussi une tétrarchie et une file[37].

En multipliant à nouveau par quatre, nous pourrions obtenir une chiliarquie de 1 024 hommes. En admettant que quatre chiliarquies forment l’effectif d’un district, nous obtiendrions 4 096 hommes par district, soit 16 384 en tout et pour tout, ce qui est similaire à l’effectif en phalangites de la bataille de Cynoscéphales. En rajoutant une cinquième chiliarquie par district, on peut obtenir 20 480 hommes, ce qui rejoint à nouveau l’effectif de 21 000 de Tite-Live. Nous obtenons ainsi 10 240 chalcaspides et leaucaspides. Cela reste néanmoins de l’ordre de l‘approximation.

 

Quant à l’équipement tel que nous l’avions déterminé, il se caractérise par une tenue plus légère que celle de l’infanterie d’élite : le casque et la cuirasse sont en tissu, les jambières sont absentes, et le sabre, la sarisse et le bouclier macédonien, l’aspis, fournis en particulier par la monarchie, permettent d’équiper le phalangite, qu’il soit un chalcaspide ou un leucaspide. Ils combattent en phalanges, en rang resserrés, les sarisses des cinq premiers rangs étant couchées au moment de l’impact, le reste en l’air[38].

 

III. D’autres unités d’infanterie macédonienne ?

a) Occurrences

 

Tite-Live utilise quatre vocables pour désigner ce qui peut s’apparenter à de l’infanterie macédonienne : les pedites génériques, les leues armaturae qui caractérisent souvent les troupes légères auxiliaires ou mercenaires, les satellites, qui sont peut-être des gardes du corps royaux, et enfin la mystérieuse cohors regia, les Nikatores, qui font peut-être partie des gardes du corps ou des unités d’élite.

 

En 172, le roi Eumène met en garde le Sénat en indiquant que les forces macédoniennes comptent désormais près de 30 000 pedites[39]. Il s’agit en grande majorité des phalangites, des peltastes et de l’agéma. Par ailleurs, si l’on considère les chiffres plus tardifs[40], on obtient, comme précisé dans les effectifs des phalangites, un résultat un peu moins important.

Avant que la guerre ne se fasse réellement, en 172, Persée rencontre les dignitaires romains. Il est notamment accompagné par ses amici (les Philoi, les Grands du royaume) et des satellites, soit vraisemblablement des gardes du corps[41].

Persée donne rendez-vous à son armée en 171 à Citium, entouré encore une fois de ses amici et de ses satellites[42].

Les leues armaturae qui s’avancent avec Persée près de Sycurium, entre la Béotie et la Thessalie en 171, sont vraisemblablement des troupes mercenaires, habituées à agir en conjonction avec les forces de cavaliers[43].

Fin décembre 170, Persée réunit une troupe pour attaquer en Illyrie. Il réunit notamment 10 000 pedites, c’est-à-dire de la phalange et quelques milliers de membres des peltastes et / ou de l’agéma, ainsi que 500 equites et des leues arma, c’est-à-dire des mercenaires[44].

En 170, devant Oenéus, Persée lance les différents travaux de siège, et finit par faire intervenir pour prendre les murs une cohors regia, les Nikatores.

Persée se retrouve près de Stratos en 169 avec une nouvelle fois la présence de 10 000 pedites et de 300 equites[45].

Au moment où le consul Quintus Marcius arrive en Macédoine en 169, Persée lui oppose 10 000 leues armaturae menés par Asclépiodote, et qui caractérisent des mercenaires, ainsi que 12 000 Macedoni, soit des troupes de ligne et d’élite[46].

 

On voit donc que les leues armaturae ou les leues arma caractérisent des troupes mercenaires dont nous traiterons bientôt, et que les pedites désignent sans beaucoup de détail les troupes d’infanterie macédonienne, et nous ne pouvons que nous perdre en spéculations sur la composition de ces groupes de 10 000 ou de 12 000 pedites, en considérant toutefois que le maximum est de 5 000 troupes d’élite. Il s’agit vraisemblablement de troupes de ligne d’un ou de deux districts amenés pour une campagne courte.

b) Les gardes du corps

 

Toutefois, on peut s’intéresser davantage à ces satellites (et peut-être à ces Nikatores[47]), qui n’apparaissent pas pour Philippe V, mais dont nous avons déjà parlé en la personne des ὑπασπισταί (hupaspistai : hypaspistes). Pour le règne de Philippe V, Tite-Live mentionne en effet la présence de custodes corporis[48]. E. Foulon revient rapidement sur cette unité[49] qui lui rappelle les σωματοφύλακας (somatophylaques) des Téménides, les ὑπασπισταί (hypaspistes) de Philippe II, les χρυσάσπιδες (chrysaspides) d’Alexandre III, et les hypaspistes des dynasties suivantes.

Ce sont des hauts-dignitaires de l’armée, ils maintiennent l’ordre dans les camps et gardent la personne du roi[50]. Dans Polybe, l’un deux brûle les archives macédoniennes à Larissa après la défaite à Cynoscéphales[51]. Glaucias, un custodes corporis, est même envoyé par Persée pour traiter avec le roi Gentius[52].Ces hypaspistes sûrement armés d’une lance plus courte, qui les encombre moins lors de leurs voyages avec le roi pour des raisons diplomatiques ou militaires. Ils semblent être le complément pédestre de l’ala sacra, le corps de cavalerie d’élite du roi.

 

Conclusion

 

Contrairement aux autres monarchies hellénistiques, le substrat national est particulièrement fort chez les Antigonides, comme nous le verrons au moment du recrutement. Les phalangites, à la réputation inégalée jusqu’alors, dominent l’espace grec depuis Philippe II et continuent de servir Philippe V et Persée, même s’ils supportent mieux les terrains dégagés où ils peuvent faire valoir la profondeur et la puissance de leur formation. Quant aux peltastes et à l’agéma, ils apportent une infanterie lourde d’élite mobilisable à tout moment, et représentent une force militaire plus mobile qu’il faut compter.

Toutefois, les guerres de Macédoine, et toutes les guerres en Grèce, ne reposent plus totalement sur les batailles rangées, où les Macédoniens excellent. Les troupes légères, les troupes mercenaires et les cavaliers pratiquent une forme de guerre plus mobile, et c’est pourquoi les Antigonides disposent de ces différents éléments dont nous allons bientôt traiter. En tous les cas, la différence fondamentale entre la phalange et la légion semble bel et bien être sa structuration tactique. Les deux formations peuvent se retrouver sur un terrain de bataille rangée, mais les légions romaines, après les leçons apprises notamment en Hispanie, s’adaptent à une forme de guerre plus mobile, via leur structuration en manipule et en cohorte.

[1] Soit à partir de la 193e citation.

[2] Tite-Live 42.52 (citation 226)

[3] Tite-Live 42.51 (citation 225).

[4] Tite-Live 42.50 (citation 224). On sait que le roi est élu par l’Assemblée du peuple, et est aidé dans sa prise de décisions par un conseil de hauts-dignitaires, mais aussi par ses ϕίλοι (philoi), soit ses Amis. Voir HATZOPOULOS, M. B., Macedonian Institutions Under the Kings. A Historical and Epigraphic Study (Tome I), De Boccard, Paris, 1996, 554 p. ou encore l’introduction de WALBANK, F. W., Philip V of Macedon, Cambridge University Press, London, 1940, 387 p.

[5]ἄγημα en grec ancien.

[6] Chacun d’eux doit être un χιλιάρχης (kiliarkès) soit des chiliarques, menant 1000 hommes. Nous reviendrons sur l’agéma plus tard.

[7] Tite-Live 42.58 (citation 232).

[8] Tite-Live 43.15 (citation 258).

[9] Tite-Live 44.13 (citation 278).

[10] Tite-Live 44.32 (citation 294).

[11] Tite-Live 44.41 (citation 300).

[12]HATZOPOULOS, M. B., L’Organisation de l’Armée Macédonienne sous les Antigonides. Problèmes anciens et documents nouveaux, De Boccard, Paris, 2001, p.66-68

[13] Pour les Antigonides, en 5.25.1 : « parmi les peltastes et parmi les hommes qui, chez les Macédoniens, forment le corps appelé l’agéma » (traduction par Denis Roussel).

[14]FOULON, E., « La garde à pied, corps d’élite de la phalange hellénistique », in Bulletin de l’Association Guillaume Budé, n°1, mars 1996, p.17-31

[15] Tite-Live 42.51 (citation 225). La traduction d’Annette Flobert parle de « jeunes », et l’idée est la même au départ chez M. B. Hatzopoulos. Toutefois, rien n’est précisé pour accréditer ce sens. Peut-être s’agit-il de troupes d’âge mur ayant la force et la vigueur de ceux ayant déjà servi, à la manière des ἀργυράσπιδεϛ, ces combattants d’élite vieillis (voir DAREMBERG, Ch., SAGLIO, E. (dir.), Dictionnaire des Antiquités Grecques et Romaines. Tome Premier, Première Partie (A-B), Hachette, Paris, 1877, 756 p.).

[16] Tite-Live 42.59 (citation 233).

[17]SEG XLIX (1999) 722 ; HATZOPOULOS, M. B., L’Organisation de l’Armée Macédonienne sous les Antigonides. Problèmes anciens et documents nouveaux, De Boccard, Athènes, 2001, 196 p., annexe 2 – I : Diagramma militaire de Drama.

[18] HATZOPOULOS, op. cit., p.68 : 35 ans.

[19] Tite-Live 42.51 (citation 225)

[20] Plutarque, Paul-Emile, 18.7 ; HATZOPOULOS, op. cit., p.67

[21] A moins que la sarisse ne soit remplacée par une δόρυ (doru : lance) de hoplite, plus courte que la sarisse, selon les découvertes d’ANDRONICOS, M., « Sarissa », in Bulletin de Correspondance Hellénique (BCH) 94 (1970), p.91-107. Mais cela reste une hypothèse.

[22]FOULON, E., « La garde à pied, corps d’élite de la phalange hellénistique », in Bulletin de l’Association Guillaume Budé, n°1, mars 1996, p.17-31

[23]LAUNEY, M., Recherches sur les Armées Hellénistiques, Tome I et II, De Boccard, Paris, 1987 (1e éd 1951), p.287-365.

[24] Tite-Live 42.1 (citation 225).

[25] Tite-Live 43.18 (citation 260).

[26] Tite-Live 44.37 (citation 298).

[27] Tite-Live 44.41 (citation 300).

[28] Diodore de Sicile, Bibliothèque Historique, 31.8.10 : « On the first day the procession opened with twelve hundred waggons filled with embossed white shields, then another twelve hundred filled with bronze shields » (traduction de F. R. Walton, tirée du livre 11 de l’édition de Loeb Classical Library.

[29] HATZOPOULOS, op. cit., p.75-76

[30] Tite-Live 42.12 (citation 197).

[31] Tite-Live 33.4 (citation 96).

[32] HATZOPOULOS, op. cit., p.75-76

[33] Tite-Live 44.42 (citation 301).

[34]HATZOPOULOS, M. B., L’Organisation de l’Armée Macédonienne sous les Antigonides. Problèmes anciens et documents nouveaux, De Boccard, Athènes, 2001, 196 p., annexe 3 : diagramma militaire d’Amphipolis ; commentaire de CONNOLLY, Peter, Greece and Rome at War,  Greenhill Books, Londres, 1998 (1e éd. 1981), p.77

[35] Asclépiodote 2.1

[36] Asclépiodote 2.8

[37] Asclépiodote 2.8 parle de syntagme. Mais ce terme n’est pas proprement antigonide.

[38] La sarisse, son mode de fonctionnement et la structuration en rangs sont traités au premier chapitre.

[39] Tite-Live 42.12 (citation 197).

[40] Tite-Live 42.51 (citation 225).

[41] Tite-Live 42.39 (citation 214).

[42] Tite-Live 42.51 (citation 225).

[43] Tite-Live 42.57 (citation 231).

[44] Tite-Live 43.18 (citation 260).

[45] Tite-Live 43.21 (citation 263).

[46] Tite-Live 44.2 (citation 267).

[47] HATZOPOULOS, op. cit., p.59

[48] Tite-Live 40.6 (citation 181).

[49] FOULON, art. cit., p.20-23

[50] HATZOPOULOS, op. cit., p.56-60

[51] Polybe 18.33.2

[52]Tite-Live 43.20 (citation 262).

 

La légion face à la phalange :

 

Autres points d’histoire :

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