Flotte et garnisons de Philippe V (4/) – La Légion face à la Phalange

(Cette série d’articles est reprise de mon mémoire de recherche intitulé La Légion face à la phalange. L’armée des derniers rois antigonides face aux conquêtes romaines, à travers l’oeuvre de Tite-Live, et soutenu en 2017 à Paris-Sorbonne, sous la direction de M. François Lefèvre.)

 

I. L’absence d’une flotte de guerre ?

 

Si le navire amiral d’un roi hellénistique[1] est souvent représenté sur les pièces de monnaie comme attribut de la puissance royale avec les éléphants, l’œuvre de Tite-Live apparaît bien dépourvue de marine macédonienne. Les combats avec les Rhodiens et les Pergaméniens aux alentours de 200 sont sommairement décrits, puisque ces événements n’ont rien à voir avec le but de Tite-Live d’offrir un aperçu de l’extension romaine.

Mais on peut aussi expliquer cette absence par une absence de concentration sur l’outil militaire naval, ou bien plutôt sur un changement de perspective. L’expansion dans le monde égéen avec l’aide de Scerdilaedos l’Illyrien et des λέμϐοι (lemboi) est coupée court par les Rhodiens et les Pergaméniens, mais surtout par l’allié qu’ils ont appelé : Rome. Les flottes de quinquérèmes romaines accompagnées des flottes alliées empêchent pendant la Deuxième Guerre Macédonienne Philippe V d’utiliser la puissance de sa flotte. Reste à voir ce qu’il en est dit par Tite-Live.

 

a) Occurrences

 

Dans l’accord avec Hannibal de 215, il est dit que Philippe est capable de mettre à la mer 200 embarcations[2].

Il est probable que ces fameuses embarcations comprennent ces 120 lembi biremibus qui rentrent dans la baie de Valona pour attaquer Oricum en 214[3]. Il s’agit de petites embarcations appelées lemboi en grec, et détaillées par Tite-Live comme ayant deux rangs de rames. Quoi qu’il en soit, ces embarcations sont brûlées pour ne pas tomber aux mains des Romains[4].

           

En 208, la flotte antigonide est très peu développée, et reçoit des aides en nature de la part de ses alliés pour sa participation terrestre : cinq longae naues achéens, vingt naues de Prusias roi de Bithynie, et la classis carthaginoise[5]. Les navires longs sont des navires de guerre, ceux de Prusias sont sûrement des lemboi car l’Etat est petit et n’a pas les moyens pour construire vingt navires de guerre, et la flotte carthaginoise participe très peu aux opérations.

La flotte macédonienne est présentée comme inférieure (impar) à celle des romains, et Philippe préfère passer à Chalcis par voie terrestre en 207[6].

La même année, les Achéens donnent trois quadriremes, trois biremes, et les Macédoniens récupèrent à Anticyre sept quinqueremes et vingt lembi. Cette flotte mixte rejoint la classis carthaginoise pour raider les côtes de l’Etolie[7]. Par ailleurs, un grand chantier s’ouvre à Cassandrée pour la construction de pas moins de cent naues longae, donc des navires de guerre.

La paix avec les Etoliens est conclue assez brusquement lorsque Philippe envahit leur territoire entre 206 et 205. Les nombreuses forces terrestres sont accompagnées de trente-cinq naues rostrati, donc de navires avec éperons, ce qui tend à les catégoriser comme navires de guerre[8]. Ils font sûrement partie des 100 navires en cours de construction à Cassandrée[9].

 

Vers 200, les batailles navales avec les Rhodiens et les Pergaméniens sont sommairement résumées[10] et Philippe reflue vers la Macédoine. Quant aux Rhodiens, ils rendent aux Athéniens quatre naues longae pris à Philippe, qui lui-même les avait pris aux Athéniens[11]. La capture des bâtiments fait partie de la guerre navale.

La même année, la classis antigonide commandée par Héraclidès accompagne les troupes de Philippe V à Abydos[12], et participe à l’assaut[13].

Tite-Live mentionne les praedones de Chalcis qui ne pratiquent plus leurs activités depuis que les Romains maîtrisent la mer[14]. On peut traduire ce terme par pirate, corsaire, pillard, et en déduire que ces praedones, payés par les Macédoniens puisque présents à Chalcis, ont des lemboi qui ne peuvent rivaliser avec les quinqueremes romaines.

           

En 199, les copiae nauales, soit les forces de marine, sont confiées à Héraclidès pour qu’il surveille Démétrias (Thessalie) et sa côte[15].

En 198, pendant le siège de Corinthe réalisé par la coalition ennemie, le praefectus Philoclès mène 1500 hommes en renfort : il part de Sicyone sur des lembi et arrive au Léchaum, le port de Corinthe subissant l’attaque des Pergaméniens. Il s’agit d’une opération militaire amphibie[16].

Pendant la Conférence de Nicée de la même année, le roi se présente au large avec un naues rostrati et cinq lembi, partis de Démétrias[17]. Pendant la discussion, Philippe parle des navires pergaméniens capturés à Attale[18].

           

A la fin de la guerre, Philippe est contraint de livrer toute sa flotte excepté cinq naues tectae (navires pontés) et le navire royal, qu’on assimile au vaisseau amiral de par ses dimensions exceptionnelles : 16 versus remorum (rangs de rameurs), ce qui rend ce navire extrêmement peu manœuvrable[19], comme tous les navires amiraux des rois hellénistiques.

 

b) Types de navires

 

Noms de naviresOccurrences
Lembi24.40, 28.8 et 33.23 (citations 2, 19 et 80)
Naues longae / Naues rostrati / Naues tectae28.8, 29.12, 32.32 et 33.30 (citations 19, 20, 84 et 116)
Navire amiral33.30 (citation 116)
Navires auxiliaires27.30 et 28.8 (citations 12 et 19)
Navires capturés31.15 et 32.34 (citations 33 et 86)
Quinqueremes28.8 (citation 19)

 

Les navires de Philippe V dans Tite-Live

 

Les navires longs, les navires à éperons ou rostres, et les navires à pont représentent plus ou moins une même réalité : si on excepte les petits navires rhodiens à éperons, ces trois types de navires représentent des navires de guerre bénéficiant sûrement d’un nombre de rangs de rameurs entre deux et quatre. Deux rangs de rameurs représentent les lembibiremibus, et les navires à cinq rangs sont appelés quinqueremes.

Dans cette distinction arbitraire, on peut tomber dans une approximation de Tite-Live, mais les réalités restent similaires.

 

Les petits navires de combat

 

Les lembi désignent de petites embarcations généralement utilisées par des pirates pour leur mobilité et leur faculté d’aborder les navires ennemis. Philippe II utilise déjà un type de navire à faible tonnage[20]. L’impulsion semble partir de l’Illyrien Démétrios de Pharos qui est soutenu par les Macédoniens en 221 : Taurion, représentant antigonide de Corinthe, fait passer les 90 lemboi illyriens par le diolkos[21]. Son extradition à la cour de Macédoine a pu être l’occasion d’un transfert de compétences.

Quoi qu’il en soit, un passage de Polybe est cité par E. Will pour expliquer le choix de Philippe V de manière plus détaillée, et pour nuancer le prétendu projet de 215 d’envahir l’Italie :

« il aurait besoin de navires et d’équipages, non pas certes qu’il songeât à livrer bataille sur mer – il n’espérait même pas certes être jamais capable d’affronter la flotte romaine – mais pour transporter ses troupes, pour aborder plus rapidement à l’endroit de son choix et surgir à l’improviste devant l’ennemi. Estimant donc que, pour ce genre de service, rien ne valait le type de navire que construisaient les Illyriens, il fit mettre en chantier cent lemboï »[22]

Polybe montre que la construction de 100 lemboi est quelque chose d’unique dans l’histoire de la monarchie antigonide.

Dans l’œuvre de Tite-Live, ces lembi biremibus sont au nombre de 120[23] et de 20[24], et servent à surprendre l’ennemi et à raider les côtes.

Les 120 lembi attaquent soudainement par surprise en Illyrie, mais la riposte romaine et la peur de Philippe V lui font brûler l’entièreté de sa flotte. Ce n’est pas la version de Polybe qui indique au contraire que le roi aurait pu se rendre maître de l’Illyrie s’il n’avait pas entendu de fausses rumeurs sur l’arrivée des Romains, et qu’il n’avait pris peur et levé le camp[25]. Les sources postérieures à Polybe ont peut-être insisté sur cette défaite pour montrer la culpabilité guerrière du Macédonien, qui attaque l’Illyrie mais se fait victorieusement repousser par les Romains.

Les 20 lembi dont parle Tite-Live sont utilisés avec la classis carthaginoise, des navires achéens et des quinqueremes pour raider les côtes de l’Etolie, dans une flotte de bric et de broc.

La dernière mention des lembi se trouve au moment du siège de Corinthe : Philoclès se sert d’un certain nombre de lembi pour transporter pas moins de 1500 soldats : plusieurs dizaines de lembi ont été utilisées pour ce faire, et cette incursion soudaine dans un port de Corinthe a suffi pour sauver la mise[26].

 

Cette opération amphibie est typiquement ce que l’on demande à ce genre d’embarcations : arriver soudainement, attaquer ou prendre du butin et repartir. Loin des grandes batailles navales entre Philippe V, Rhodes et Pergame aux alentours de 200, ce type de navire sert aux praedones de Chalcis[27] et aux premières opérations de la Première Guerre de Macédoine.

Nous voyons au contraire que la Seconde Guerre de Macédoine va jouer un tournant dans la marine antigonide.

 

Les navires de combat

 

Que ces navires soient longs, à éperons ou pontés, il s’agit bien de navires de guerre. Ils sont mentionnés la première fois dans Cassandrée, lorsque Philippe réunit des charpentiers de son royaume en pleine Première Guerre de Macédoine pour construire une puissante flotte de 100 navires de guerre, occasionnant une autre révolution maritime[28]. D’un autre côté, ces navires longs peuvent aussi être rapprochés des embarcations frêles mais allongées des lemboi. Mais l’appellation traditionnelle de navire long renvoie traditionnellement à un bâtiment de combat. Quoi qu’il en soit, la domination romaine des eaux, la proximité des Carthaginois et le besoin de circuler a peut-être permis de réaliser ce genre de chose. D’autant plus que Philippe V s’intéresse quelques années plus tard au bassin égéen et à l’Asie mineure.

Lorsque Philippe attaque les Etoliens avec son armée, il est accompagné de 35 naues rostrati, qu’on peut aisément tirer des 100 navires construits à Cassandrée, qui ne sont sûrement pas terminés puisque la construction d’un navire prend un certain temps du fait de l’utilisation du bois, qui a besoin d’être préparé[29].

A la conférence de Nicée en 198, il se retrouve à bord d’un naues rostrati accompagné de 5 lembi[30]. Est-ce représentatif de l’état de la flotte après les batailles navales relatées par Polybe avec les Pergaméniens et les Rhodiens vers 200 ? Peut-être. Mais il ne s’agit après tout que d’une représentation diplomatique.

Les conditions de la fin de la guerre sont définies en 197, et parmi celles-ci on voit la confiscation de tous les naues tectae sauf cinq[31]. Les navires de guerre ont fait leur temps.

 

Excepté les combats autour de 200, nous n’avons peu ou pas de mention de batailles navales, mais ils accompagnent les troupes d’assaut, comme nous le voyons à Abydos en 200[32] : les navires accompagnent les troupes terrestres, portent les tormentae et autres engin de siège, voire du ravitaillement, de l’équipement et des hommes, pour soulager l’effort terrestre. A ce titre, les navires peuvent apparaître comme un soutien incontestable pour les troupes et remplacer le train de bagages habituel, d’autant plus quand les opérations militaires sont localisées près de la côte. Dans les expéditions lointaines, Philippe V a une grande prévoyance, et une convergence des objectifs : toujours sur le littoral.

 

Quant aux sept quinqueremes d’Anticyre,[33], elles désignent aussi des navires de guerre, mais plus développés que les autres et semblables aux Romains qui, rappelons-le, sont tenus dans la Première Guerre de Macédoine de poster 25 quinqueremes[34]. Sept est un chiffre bien inférieur.

Enfin, le navire amiral comporte 16 rangs de rameurs, ce qui rend le tout très peu manœuvrable : ce navire est réalisé bien plus pour représenter un attribut de la royauté et montrer la puissance des Antigonides que pour la bataille[35].

 

Navires auxiliaires et navires capturés

 

Pour les navires auxiliaires rajoutés à la flotte, Philippe V s’appuie sur ses alliés. En aidant les Achéens, il obtient d’eux 5 longae naues[36], 3 quadriremes et trois biremes[37] : une aide assez limitée pour une puissance qui reste profondément terrestre[38]. Les biremes renvoient aux lemboi, les autres navires renvoient à des navires de guerre classique.

L’autre allié, c’est le roi de Bithynie, en mauvais termes avec l’allié romain du secteur, Attale de Pergame. Il représente un appui politique intéressant pour Philippe en Asie mineure. Il fournit 20 naues[39]¸ chiffre impressionnant s’il s’agit de navires de guerre, beaucoup moins s’il s’agit de lemboi comme nous pouvons le déduire des possibilités du pays.

Quant à la classis carthaginoise, elle est à peine mentionnée[40] : elle représente une force minime envoyée en vertu de l’accord de 215.

 

Les navires auxiliaires sont des ajouts de circonstance, et la marine antigonide ne tire pas là l’essentiel de ses effectifs. De même, les navires capturés et réutilisés sont courants lorsque des bâtiments ennemis sont abordés, ou capturés à quai. On parle de 4 naues longae athéniens[41], recapturés ensuite par Attale, et de navires pergaméniens[42]. Là encore, ce sont des ajouts de circonstance.

 

c) Conclusion

 

Pour conclure rapidement sur la marine antigonide, même si nous verrons plus tard le recrutement et la construction, il faut dire que la marine semble avoir un rôle assez secondaire face à une puissance fondamentalement terrestre. On observe pendant le règne de Philippe V un glissement : inspiré des leçons illyriennes, et loin de vouloir pratiquer de grandes batailles navales, Philippe utilise des navires légers, rapides, permettant d’organiser des opérations amphibies et donc de mobiliser la force terrestre qui caractérise la puissance de l’armée antigonide. Les praedones de Chalcis, le coup de main de Philoclès à Corinthe sont des marqueurs d’une puissance navale qui n’a qu’un but terrestre. La capture des îles en Mer Egée entre 205 et 200 ne requiert pas de puissants navires de combat.

D’un autre côté, l’utilisation des navires de guerre commence à être envisagée en pleine Guerre de Macédoine face à la puissance maritime romaine et aux ambitions grandissantes pour l’Asie mineure, où se retrouvent les puissantes flottes pergaméniennes et rhodiennes[43]. Philippe l’avait-il pressenti à Cassandrée ? Rien n’est moins sûr, mais l’utilisation de nombreux artisans au service d’un effort naval sans précédent témoigne de la puissance de la monarchie antigonide et surtout de la possession du bois de Thessalie, très réputé. Ces navires apparaissent particulièrement dans Polybe, mais la flotte qui tient tête  aux Pergaméniens et aux Rhodiens entre 201 et 200[44] est bien inutile face à l’écrasante supériorité maritime romaine que les Carthaginois ont découverte à leurs dépens lors des précédentes guerres puniques[45]. Mieux, ces bâtiments finissent par devenir de simples lieux de stockage pour l’infanterie au moment de l’expédition de Thrace. Les objectifs stratégiques antigonides sont bien terrestres.

Quant aux auxiliaires et aux navires capturés, ils sont le fruit de certaines circonstances, et le produit des guerres : dans Polybe, Philippe V n’hésite pas à utiliser des corsaires, d’abord Skerdilaedas avant 215, puis Héracleidas après 205.

 

Ce qui ressort de Tite-Live, c’est un manque d’intérêt pour la flotte. Excepté les termes assez techniques pour désigner des navires longs, à pont, ou à éperon, Tite-Live se fait très discret sur l’utilisation de ces navires. Assurément, ce n’est pas le but de son récit. Pour parler des navires, il suit ses sources sans discuter.

 

II. Les garnisons, entraves de la Grèce ?

 

Dans toutes les cités « possédées » par les Antigonides en-dehors du royaume d’où ils tirent les phalangites[46], un praesidium s’y trouve, chargé de représenter l’allégeance aux Macédoniens : les conflits entre cités sont monnaie courante, et les représentants antigonides s’occupent de repousser les envahisseurs. Mais c’est aussi une véritable occupation qui se met en place, et qui peut prendre de nombreuses formes.

Les modalités de la guerre ont dorénavant bien changées. Contrairement à la Guerre du Péloponnèse par exemple où les cités inféodées aux intérêts d’Athènes paient une cotisation en argent ou en nature, sous la menace d’être attaqué en cas de désaccord, les diadoques puis les épigones ont utilisé depuis la mort d’Alexandre une nouvelle méthode : l’occupation méthodique[47].

Toutes les cités n’ont pas la même place en Grèce, et le placement des garnisons, maintenant le pouvoir des Antigonides, est aussi l’occasion de verrouiller des endroits stratégiques. Pour Philippe V, ces « entraves », appelées compedes par Tite-Live[48], sont Corinthe sur l’isthme corinthien, Chalcis entre l’Attique, la Béotie et l’Eubée, et Démétrias en Thessalie. Ces places stratégiques verrouillent en quelque sorte la Grèce, en définissant des petites parcelles de domination permettant de réagir rapidement aux menaces, ou de protéger des secteurs-clés. D’autres cités un peu moins importantes disposent aussi d’une garnison.

 

Bien sûr, les cités à garnisons disposent encore d’institutions, de modes de fonctionnement, d’une armée locale, comme on voit souvent les habitants invectiver les garnisons macédoniennes au moment des sièges, par accord ou désaccord.

Il faudra donc s’intéresser au mode de fonctionnement et à la composition de ces garnisons.

 

a) Occurrences

 

Pour présenter la place très importante des garnisons dans la maîtrise territoriale, nous avons réalisé un tableau où nous avons noté les cités contenant selon Tite-Live une garnison étrangère sous les ordres des Antigonides.

 

Cités à garnisonCitations de Tite-Live
Abydos (Asie mineure)31.18 (citation 36)
Abydos, Bargylia, Euromos, Iasos, Myrina, Pedase, Périnthe, Thasos (Asie mineure et Thrace)33.30 (citation 116)
Aenos (Thrace), Athamanie, Maronée, Perrhébie, Thessalie, Thrace39.24 (citation 166)
Andros (mer Egée)31.15 et 31.45 (citations 33 et 60)
Argos (Péloponnèse)32.40 (citation 92)
Argithée, Héraclée, Télum, Tétraphyle, Theudoria (Athamanie)38.1 (citation 156)
Atrax32.17 (citation 74)
Carystos32.17 (citation 74)
Cassandréa31.45 (citation 60)
Cercinium31.41 (citation 56)
Chalcis (Eubée)31.23 et 32.16 (citations 38 et 73)
Corinthe (Isthme)32.23 et 33.14 (citations 80 et 106)
Cythnos (Egée)31.15 et 31.45 (citations 33 et 60)
Démétrias (Thessalie)35.31 (citation 137)
Elatée32.24 et 34.48 (citations 81 et 131)
Erétrie (Eubée)32.16 (citation 73)
Maronée (Thrace)39.24 et 39.27 (citations 166 et 169)
Oponte32.32 (citation 84)
Oréos (Eubée)28.6 et 31.46 (citation 17 et 61)
Paros (Egée)31.15 (citation 33)
Phaloria32.15 (citation 72)

 

Les cités à garnison étrangère sous la coupe des Antigonides

 

Ces très nombreuses occurrences ne peuvent être décrites individuellement, et nous en verrons une bonne partie dans la partie dédiée aux sièges dans un prochain chapitre. Nous nous concentrons donc ici sur le rôle et les effets de la garnison.

 

b) Les Rôles de la Garnison

 

Un contrôle militaire

 

Le contrôle militaire est particulièrement sensible dans le cas où la cité fait face à une invasion d’une force étrangère.

A Cercinium face aux Etoliens[49], les portes sont fermées, peut-être sur ordre de la garnison nous dit Tite-Live. A Andros, face aux Romains et aux Pergaméniens[50], les habitants affirment ne pas pouvoir choisir la reddition du fait de la présence de la garnison. A Erétrie, Tite-Live mentionne la peur des habitants face à la garnison[51]. A Oponte[52], la garnison est malmenée par la population puisqu’elle veut résister aux Romains.

Ces exemples permettent de montrer que le rôle premier de ces garnisons est de repousser les armées ennemies, avec ou sans l’accord de la population. Pour les Macédoniens, la garnison est un puissant outil militaire.

 

Toutefois, l’ennemi peut être de mèche avec certains habitants des cités protégés par une garnison. Dans ce cas précis, le contrôle militaire est affaibli, et la garnison est massacrée ou expulsée. C’est ce qu’il se passe en Athamanie à Argithée, Héraclée, Télum, Tétraphyle et Theudoria[53] : excepté Télum où la garnison résiste aux ennemis intérieurs et aux ennemis extérieurs qui ont réussi à rentrer, les quatre autres garnisons sont expulsées par les ennemis intérieurs et extérieurs à la cité. Même chose à Chalcis[54], où un petit groupe d’opposants à la garnison montre le chemin aux Romains pour s’infiltrer de nuit dans Chalcis et massacrer la garnison.

On voit ainsi qu’une fois la garnison évacuée, excepté à Chalcis où elle est rapidement remplacée, la cité peut s’affranchir de la tutelle antigonide.

 

Un contrôle social

 

Les cités ont leurs propres institutions. La présence d’une force armée étrangère peut avoir un impact certain sur celles-ci, à moins qu’elle ne les renforce. C’est le cas notamment à Corinthe[55] où les habitants font corps, défendent au même titre que la garnison la ville, et même participent aux raids de cette garnison en fournissant quelques centaines de citoyens armés. M. Launey parle de l’existence de décrets honorifiques réalisés par une cité pour honorer la garnison ou le chef de garnison[56]. Il y voit ou bien le moyen de statuer un état de fait pour se faire bien voir, ou bien une vraie reconnaissance lorsque la garnison défend bec et ongles sa cité.

Launey montre aussi que la cohabitation peut prendre différentes formes : celle la plus critiquée, présentant un contrôle social assez fort, est celle qui consiste à loger la garnison chez l’habitant, occasionnant souvent des problèmes de cohabitation et des interférences avec les institutions. On reproche ainsi souvent à Philippe V et à Persée de s’appuyer sur le bas-peuple et de faire de la démagogie pour contrôler leur cité. Voyons les différents cas de contrôle social.

 

Si à Corinthe, la garnison semble occuper uniquement l’Acrocorinthe, et qu’à Oponte on précise que la garnison stationne dans l’arx, la forteresse, ce n’est pas forcément le cas dans d’autres cités, et c’est visible dans l’œuvre de Tite-Live.

D’abord, on voit que le contrôle social peut prendre une tournure violente : à Chalcis[57], ce sont des exilés chalcidiens qui permettent aux Romains et à leurs alliés de massacrer la garnison. Or, l’incendie autour de la place publique et le massacre indistinct des habitants ou de la garnison montre que cette dernière logeait chez l’habitant. De ce fait, tout ce qui est homme, avec ou sans arme, a dû être soit tué soit en fuite.

Ce contrôle social pèse sur les institutions : à Elatée[58], Flamininus est présenté comme celui qui remet de l’ordre dans une ville favorisant les pro-macédoniens et empêchant les institutions de fonctionner librement. Nous avons avec Maronée[59] un exemple très frappant, bien que sûrement romancé par les Maronites dont le but est de présenter un tableau peu réjouissant de l’occupation antigonide :

« les troupes de Philippe n’étaient pas cantonnées dans un quartier comme il arrive souvent, mais dans plusieurs à la fois, et que la ville était remplie de soldats. Les partisans du roi faisaient la loi : ils étaient les seuls à pouvoir ouvrir la bouche au sénat et dans les assemblées, les seuls à occuper ou à distribuer les postes importants. Les meilleurs, ceux qui se souciaient de la liberté et de la justice avaient été chassés de leur patrie »

Nous avons tous les éléments : le logement chez l’habitant, le poids sur les institutions, la favorisation des élites pro-macédoniennes et l’exil pour les opposants.

 

Le contrôle militaire s’associe ainsi au contrôle social pour permettre à Philippe V d’occuper des cités en Grèce et en Thrace. C’est là encore le rôle de la garnison, qui interagit avec la population, représente un élément social et économique, voire littéraire et artistique[60] : le soldat possède une solde, qu’il peut dépenser en ville dans les différents commerces, aussi bien celui de la nourriture que celui du corps et de la boisson. Et sa présence entraîne évidemment des conséquences dans l’organisation politique de la cité.

Composition

 

A partir des très nombreuses sources épigraphiques décrites par Launey[61], il s’avère que les garnisons antigonides, séleucides et lagides sont composées majoritairement de mercenaires ou d’auxiliaires venant de tout le monde grec. Avant de voir la place des mercenaires et des auxiliaires dans l’armée antigonide, revenons aux rares occurrences que nous trouvons dans Tite-Live concernant la garnison.

D’abord, Argos tombe successivement aux mains des Antigonides puis de Nabis, qui lui-même finit par s’allier aux Romains. Nabis envoie dès lors comme preuve de sa fidélité un contingent de 600 Crétois[62], et on peut raisonnablement penser qu’ils étaient là avant la passation des pouvoirs, et qu’au milieu des ennemis, ils n’ont pas voulu faire preuve d’une grande fidélité envers le pouvoir antigonide absent.

La deuxième description est encore plus claire : à Corinthe[63], outre les 700 Corinthiens et les 1500 Macédoniens, on trouve 800 auxiliares, 1 200 Thraces et Illyriens, 800 Crétois et 1000 Béotiens, Thessaliens et Acarnaniens[64]. Nous avons 33% de mercenaires et 42% d’auxiliaires, soit 75% de non-Macédoniens et de non-Corinthiens[65].

 

Ces 6000 soldats de Corinthe sont loin d’être la règle en matière de garnison. Ce nombre important de troupes permet au dux Androsthénès d’agir avec de manière indépendante, exactement comme le praefectus Dinocrate en Pérée rhodienne[66].

Dans une armée aux effectifs totaux avoisinant les 20 000 hommes, on se doute que les plus petites garnisons comptent seulement quelques centaines d’individus, à l’image des 600 Crétois d’Argos.

Aussi, on peut trouver ailleurs quelques rares cités avec une garnison composée de Macédoniens, ou bien qu’ils tiennent un objectif important, comme Corinthe, ou bien qu’ils ont été dépêchés pour faire en sorte qu’une ville ne tombe pas, comme à Atrax[67].

 

Conclusion

 

Finalement, les garnisons jouent un rôle de plus en plus important dans la Grèce hellénistique, où les cités jouent le rôle de verrous, d’entraves, d’îlots de pouvoir permettant d’établir un contrôle à la fois militaire et social, en plus de pouvoir intervenir à l’extérieur. La présence des garnisons est si importante que la proclamation de la liberté pour les cités aux Jeux Isthmiques de 196 est suivie de clameurs enthousiastes.

Quoi qu’il en soit, cette façon de laisser des garnisons est typique de l’occupation macédonienne, les Romains préférant donner le statut de socii aux cités vaincues. C’est le rôle fondamental de la cité, même durant la période hellénistique, qui permet d’expliquer la volonté des monarques d’établir des garnisons à partir de troupes professionnelles ou d’alliés.

Tite-Live arrive à distinguer les différents modes d’occupation à travers ses sources pour nous les rendre de manière cohérente, sans toutefois s’appesantir sur le sujet. La dichotomie entre garnison antigonide et garnison des habitants est rendue de manière cohérente. Le moment le plus détaillé et le plus partial est celui de l’accusation des Maronites contre la garnison s’ingérant énormément dans les affaires de la cité.

 

Notes :

[1] Tite-Live 33.30 (citation 136)

[2] Tite-Live 23.33 (citation 1)

[3] Tite-Live 24.40 (citation 2)

[4] Ce qu’il ne s’est en fait jamais passé, voir Polybe 5.110.10-11

[5] Tite-Live 27.30 (citation 12)

[6] Tite-Live 28.7 (citation 18)

[7] Tite-Live 28.8 (citation 19)

[8] Tite-Live 29.12 (citation 20)

[9] Ce chantier gigantesque a-t-il un jour été fini ?

[10] Tite-Live 31.14 (citation 32)

[11] Tite-Live 31.15 (citation 33)

[12] Tite-Live 31.16 (citation 34)

[13] Tite-Live 31.17 (citation 35)

[14] Tite-Live 31.22 (citation 37)

[15] Tite-Live 31.33 (citation 48)

[16] Tite-Live 32.23 (citation 80)

[17] Tite-Live 32.32 (citation 84)

[18] Tite-Live 32.34 (citation 86)

[19] Tite-Live 33.30 (citation 116)

[20]HATZOPOULOS, M. B., L’Organisation de l’Armée Macédonienne sous les Antigonides. Problèmes anciens et documents nouveaux, De Boccard, Athènes, 2001, 196 p. : p.27

[21]WILL, Edouard, Histoire Politique du Monde Hellénistique (323-30 av. J.-C.), « Tome 2 : Des avènements d’Antiochos III et de Philippe V à la fin des Lagides », Seuil, Lonrai, 2003 (1e éd. 1966), 650 p. : p.77-82

[22] Polybe 5.109.1-3 (traduction Denis Roussel)

[23] Tite-Live 24.40 (citation 2)

[24] Tite-Live 28.8 (citation 19)

[25] Polybe 5.110.10-11

[26] Tite-Live 33.23 (citation 80)

[27] Tite-Live 31.22 (citation 37)

[28] Tite-Live 28.8 (citation 19)

[29] Tite-Live 29.12 (citation 20)

[30] Tite-Live 32.32 (citation 84)

[31] Tite-Live 33.30 (citation 116)

[32] Tite-Live 31.16 et 31.17 (citations 34 et 35)

[33] Tite-Live 28.8 (citation 19)

[34] Tite-Live 26.24 (citation 5)

[35] Tite-Live 33.30 (citation 116)

[36] Tite-Live 27.30 (citation 12)

[37] Tite-Live 28.8 (citation 19)

[38] LAUNEY, M., Recherches sur les Armées Hellénistiques, Tome I et II, De Boccard, Paris, 1987 (1e éd 1951), 1315 p. : p.130-141

[39] Tite-Live 27.30 (citation 12)

[40] Ibid.

[41] Tite-Live 31.15 (citation 33)

[42] Tite-Live 32.34 (citation 86)

[43] WILL, op. cit., p.102-105 et 121-124

[44]ASTIN, A. E., WALBANK, F. W., FREDRIKSEN, M. W., OGILIVIE, R. M., The Cambridge Ancient History (Second Edition). Volume VIII : Rome and the Mediterranean to 133 B.C., Cambridge University Press, Cambridge, 1989 [1e éd. 1930], 625 p. : p.244-261, les expéditions en Egée et en Thrace, les luttes autour de Chios, etc.

[45]CONNOLLY, Peter, Greece and Rome at War,  Greenhill Books, Londres, 1998 (1e éd. 1981), 320 p. : p.272-273

[46] Selon des modalités décrites dans HATZOPOULOS, op. cit., p.85-127

[47] Athènes par exemple a été libérée de la tutelle macédonienne avant le règne de Philippe V, après plusieurs décennies, occasionnant une certaine indépendance.

[48] Tite-Live 32.37 (citation 89)

[49] Tite-Live 31.41 (citation 56)

[50] Tite-Live 31.45 (citation 60)

[51] Tite-Live 32.16 (citation 73)

[52] Tite-Live 32.32 (citation 84)

[53] Tite-Live 38.1 (citation 156)

[54] Tite-Live 31.23 (citation 38)

[55] Tite-Live 32.23 et 33.14 (citations 80 et 106)

[56] LAUNEY, op. cit., p.633-675 passim

[57] Tite-Live 31.23 (citation 38)

[58] Tite-Live 34.48 (citation 131)

[59] Tite-Live 39.27 (citation 169)

[60] LAUNEY, op. cit. : p.690-723 et 780-812

[61] Ibid. p.63-103 et p.633-675

[62] Tite-Live 32.40 (citation 92)

[63] Tite-Live 33.14 (citation 106)

[64] La traduction d’Annette Flober n’a pas vu le Acarnanes et l’a traduit par Thrace. Nous nous sommes permis de corriger cela dans notre descriptif des forces de Corinthe.

[65] D’autant plus que la présence de Macédoniens dans les garnisons est assez rare.

[66] Tite-Live 33.18 (citation 110)

[67] Tite-Live 32.17 (citation 74)

 

La légion face à la phalange :

 

Autres points d’histoire :

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