American Way of War (game) – Histoire du STR (I)

Après avoir vu les premiers jeux vidéos de stratégie entre 1955 et 1980, nous allons nous concentrer dans ce dossier sur la présentation d’un genre qui a eu dans les années 90 son heure de gloire : le jeu de stratégie en temps réel (STR), ou real-time strategy (RTS) pour les bilingues. Pour rappel, nous avons déjà évoqué la différence que nous faisions entre les jeux de stratégie et de gestion, en distinguant les objectifs et le rapport au temps : pour un jeu de stratégie, il s’agit ainsi de vaincre son adversaire, à courte échéance. De même, au sein de la catégorie jeu de stratégie, nous avions isolé le sous-genre du jeu de stratégie des jeux de tactique, de grande stratégie ou 4X p: il concerne ainsi la mise en place d’une économie et l’emploi de forces pour vaincre son adversaire. Enfin, la dernière distinction concerne le déroulé temporel du jeu : le temps réel se distingue du tour par tour par le besoin de réactivité du joueur. Ce genre de soft est donc assez nerveux, car il faut combiner un nombre important de paramètres et des décisions à recalibrer rapidement en fonction de l’avancée du jeu.

 

Le STR inspire : 0 A.D. est ainsi un projet open-source commencé en 2001 sur le modèle d’Age of Empires. Il est disponible gratuitement et son développement continue encore aujourd’hui.

 

Ce dossier est né d’un constat : après avoir exercé un rayonnement certain dans les années 90 et le début des années 2000, le STR semble connaitre une période de stagnation, face à des genres plus attractifs (action, FPS) ou de dérivés (MOBA), doublé d’un faible renouveau des softs et des mécaniques, qui semblent figées depuis l’âge d’or. A contrario, les sorties récentes de refontes des jeux des années 90 nuancent cet état de fait : la demande existe encore. Rien qu’en 2020, Age of Empires III (2005), les premiers Command & Conquer (1995-1996) et Warcraft III (2002) ont fait peau neuve ! Pour réussir à trouver le delta entre ces deux vues, ce dossier sur l’histoire du jeu de stratégie en temps réel vise à replacer le STR entre 1992 et 2020, en étudiant notamment les studios et les mécaniques de jeu. Pour ce premier épisode, nous allons nous concentrer sur les grandes licences du STR qui ont fixé et pérennisé dans le temps ce genre : Age of Empires, Command & Conquer, StarCraft et Warcraft  pour ne pas les citer. Nous verrons dans un second épisode les autres challengers afin de voir si les mécaniques du STR sont aussi sclérosées que certains le prétendent.

 

I. De Dune à Command & Conquer (1992-2010)

 

a) Westwood de succès en succès (1992-1996)

 

Outre quelques softs précurseurs comme PowerMonger (1990) de Bullfrog Productions, où vous dirigez un général qui commande ses troupes et conquiert des villages sur un globe terrestre, le premier STR est désigné comme étant Dune II : Battle for Arrakis (1992). Le studio à l’origine du soft, Westwood Associates, est fondé en 1985, réalise des portages de jeux vidéos, développe des jeux de rôle sur les licences Dungeons & Dragons ou encore BattleTech, et est renommé Westwood Studios à l’occasion de son rachat par Virgin Interactive en 1992. Dune II fixe les bases d’un nouveau genre : il s’agit de récolter une ressource, en l’occurrence l’épice, construire une base incluant des centrales électriques pour la deuxième ressource fixe du jeu, ainsi que divers centres de recrutement, recruter des unités militaires, des unités ou escouades d’infanterie aux tanks en passant par des unités aériennes non contrôlables par le joueur, et les employer pour protéger votre base, récupérer d’autres ressources, et abattre votre adversaire. Le soft réconcilie ainsi la réflexion stratégique et l’arcade, avec la nécessité pour le joueur de toujours être en mouvement : une constante du genre.

 

Le premier Dune II est assez lisible pour l’époque, mais vous ne pouvez sélectionner qu’une unité à la fois.

 

Alors que Blizzard rejoint la course au STR en 1994, Westwood est loin d’avoir dit son dernier mot : ils lancent ainsi en 1995 et en 1996 les premiers jalons d’une série qui a marqué les années 90 par son succès commercial considérable, Command & Conquer, qui totalisait en 2010 pas moins de 30 millions de copies vendues à travers le monde. On garde l’énergie électrique, mais exit l’épice, remplacée par le tibérium dans Tiberian Dawn (1995) ou le métal dans Red Alert (1996). Le soft s’ancre dans un conflit contemporain autour d’un matériau extraterrestre dans le premier, ou dans une uchronie où la Seconde Guerre n’a pas eu lieu dans les mêmes circonstances que dans notre histoire dans le second. La construction de base est plus fluide, il s’agit toujours de multiplier les bâtiments puis les unités, mais avec une bien meilleure ergonomie. Mieux, les deux softs lancent chacun une campagne solo iconique, où chaque mission a une logique interne et où l’histoire avance par le biais de séquences filmées avec de vrais acteurs, le tout avec un bien meilleur enrobage : les graphismes, le son, la musique entêtante mélangeant rock et électro de Franck Klepacki dont la fameuse Hell March. On compte en un an un million de copies vendues pour Tiberian Dawn, et deux millions pour Red Alert. Ce succès attire l’éditeur Electronic Arts qui rachète le studio en 1998.

 

Les premiers C&C sont faciles à prendre en main, en plus d’avoir une musique du tonnerre.

 

b) De l’essor à la chute (1998-2010)

 

Pour la suite de leur série C&C, on retrouve le duo Tiberian Sun (1999) et Red Alert II (2000), qui améliorent une nouvelle fois l’enrobage graphique, avec une partie plus sombre pour le premier, prolongent les campagnes des deux univers, mais surtout approfondissent leurs mécaniques pour créer une expérience de jeu asymétrique, où chaque faction dispose de ses points forts et faibles, de ses unités, bâtiments et technologiques uniques, et de la façon de se manier. Le studio continue également la licence Dune : Dune 2000 (1998) retranscrit le soft de 1992 avec les outils des C&C, tandis qu’Emperor : Battle for Dune (2001) réadapte véritablement la formule, avec des graphismes en trois dimensions et une plus grande distinction entre les trois maisons. Mais deux softs signent l’arrêt de mort de Westwood : la sortie de leur jeu de tir à la première personne C&C, et celle d’un jeu en ligne massivement multijoueur qui prend rapidement l’eau. Electronic Arts restructure alors le studio : Westwood est fusionné avec Dreamworks Interactive, les papas de Medal of Honor, pour former EA Los Angeles. Cette nouvelle structure se charge désormais de la série. Ceux qui quittent alors le navire fondent le studio Petroglyph Games, dont nous aurons l’occasion de reparler.

 

Moins connu que ses cousins, Emperor : Battle for Dune est le dernier STR de Westwood.

 

En 2003, un troisième univers est lancé avec Command & Conquer : Generals. Le soft propose trois factions, les Etats-Unis et leur supériorité technologique, la Chine et leur supériorité numérique, et une organisation terroriste, le GLA, adepte des coups de main. Un système de généraux uniques permet de spécialiser la formule, en orientant davantage le style de jeu. L’argent devient la principale ressource. Tiberium Wars (2007) et Red Alert 3 (2008) prolongent quant à eux une nouvelle fois l’expérience de leurs univers respectifs, avec l’arrivée d’une troisième faction, extraterrestre dans le premier jeu, et japonaise dans le second. Si les mécaniques n’évoluent pas, ce n’est pas le cas de Tiberian Twilight (2010). Pour le quatrième et dernier opus de la série Tibérium, les développeurs font un virage à 90 degrés en créant un système de jeu sans base fixe, en choisissant parmi trois modèles de base mobile, avec une limite d’unités, en récupérant sur le champ de bataille des ressources permettant d’améliorer les unités, et en débloquant les unités au fur et à mesure de la partie. Une recette qui ne prend pas parmi les fans, surtout après quinze ans, et qui reste un véritable point noir de la série. Nous ne parlerons pas davantage du jeu massivement multijoueur de 2012 au tour par tour dans l’univers de C&C.

 

La saga Red Alert s’est faite connaitre par son second degré, ses cinématiques FMV légèrement nanardesques, et son gameplay nerveux.

 

II. Fantasy ou science-fiction ? L’approche de Blizzard

 

a) Warcraft, avant le MMO (1994-2002)

 

Le principe d’avoir des factions différenciées, au-delà des trois maisons de Dune II, se retrouve dès 1994 avec Warcraft (1994). Blizzard Entertainment se forme en 1991 sous le nom Silicon & Synapse puis Chaos Studios avant d’adopter avec la sortie de leur soft de fantasy leur nom actuel. Warcraft ne transforme pas le genre, mais le lance dans le domaine de la fantasy. Avant Command & Conquer, il place deux campagnes solo antagonistes, une faction d’humains et d’Orcs aux unités spécifiques, quoique peu différenciées dans leurs mécaniques. Le soft se complexifie légèrement : on retrouve deux ressources à récolter, le bois et l’or, et un plus grand nombre de travailleurs à manager pour s’occuper de la limite de population. Le soft est efficace, et l’expérience se prolonge avec Warcraft II : Tides of Darkness (1995) qui améliore la patte graphique, la différenciation des races, adopte une musique d’inspiration classique avec Glenn Stafford, et adopte une nouvelle ressource.

 

Warcraft nous emmène dans le monde cruel de la fantasy.

 

Blizzard conclut magistralement sa trilogie Warcraft avec le troisième opus en 2002, suivi rapidement par une extension : quatre races différentes, une campagne ambitieuse, un STR en 3D qui lorgne du côté du jeu de rôle avec des héros, des niveaux et de l’équipement, un mélange entre construction de base, déplacement dans l’environnement pour gagner de l’expérience et attaque de l’adversaire. Pour beaucoup, il s’agit du pinacle du STR à la Blizzard, avec un million de copies vendues en un mois. Ce succès préfigure également celui du jeu de rôle en ligne massivement multijoueur, ou MMORPG pour les anglophiles, World of Warcraft (2004). Il se double d’un mode multijoueur qui permet toutes les adaptations, et qui a vu la genèse des arènes de bataille en ligne multijoueur (MOBA) grâce aux mods des joueurs. Certains de ses modes ont permis de voir apparaitre entre autres League of Legends (2009), et il a fallu attendre 2015 pour que Blizzard fasse paraitre son propre MOBA, Heroes of the Storm.

 

Warcraft 3 a beaucoup amélioré la formule jeu de rôle, avec des héros bénéficiant de niveaux et d’items spécifiques pour mener au combat leurs sbires. Dommage que la version Reforged de 2020 soit relativement moins au niveau.

 

b) Le versant science-fiction (1998-2015)

 

De l’autre côté du spectre, après le lancement de leur plateforme Battle.net (1996), le succès de leur hack’n’slash Diablo (1997) et leur rachat par les Français de Vivendi, Blizzard sort un nouveau STR destiné au succès, StarCraft (1998) : la campagne davantage scénarisée et sérieuse, une musique qui mélange différents styles (country, rock, électro, classique), trois factions véritablement distinctes dans leurs mécaniques de constructions et d’unités entre les Terrans et leurs bases volantes, les Protoss et leur haute technologie, et les Zergs avec leurs hordes infernales. De même que dans Warcraft, la partie économique est plus détaillée que dans C&C, avec des travailleurs à répartir entre les ressources de cristaux et de gaz vespène. On compte en tous les cas 1,5 millions de copies vendues en 1998, un nombre considérable pour l’époque, sans compter l’essor culturel avec rien de moins que la popularisation de l’e-sport, particulièrement en Corée du Sud. Après une éclipse de dix ans, Starcraft II parait en trois fois, pour décliner les campagnes solo des trois principales races, et en apportant son lot de changements et de nouvelles unités à chaque fois : Wings of Liberty (2010), qui totalise trois millions de ventes en un seul mois, Heart of the Swarm (2013) et enfin Legacy of the Void (2015). La licence représente encore une version frénétique du STR par le haut niveau des joueurs et le nombre considérable de variables à prendre en compte dans les build order, définis comme un minutage précis des actions à réaliser pour avoir une bonne économie et arriver à défendre et attaquer rapidement.

 

Starcraft a une partie économique plus développée que dans C&C avec trois factions assez différentes à prendre en main. Le nombre d’action per minute ou APM qu’on retrouve dans les compétitions est très élevé sur la scène e-sport dudébut des années 2000.

 

III. Histoire et économie, la touche Ensemble Studios

 

Un autre studio américain arrive à la fin des années 90, Ensemble Studios, pour proposer une nouvelle expérience du STR, inspirée de l’histoire. Le premier Age of Empires (1997) impose de ménager au cours de différents âges un ensemble de villageois à affecter à des ressources plus nombreuses et sous différentes formes : la nourriture (pêche, chasse, cueillette, ferme), le bois, l’or, la pierre, la population à élever à l’aide de maisons. Il se focalise davantage que les autres STR sur l’aspect économique avec tous ces paramètres à gérer, rendant la première phase de jeu primordiale. Les différences entre les civilisations ne sont pas flagrantes comparativement aux jeux décrits précédemment, mais les nombreux bâtiments et technologies, les unités diverses, la musique tribale des frères Rippy, les graphismes et l’aspect historique plaisent, faisant penser aux critiques de l’époque à un mix entre un STR et un Civilization.

 

Age of Empires ressemble à un ersatz de Civilization, avec ses bâtiments historiques et sa volonté de passer les âges.

 

Deux ans plus tard, Age of Empires II : Age of Kings (1999) arrive en meilleure forme : graphismes, bande-son variée, campagnes plus engageantes, plus de bâtiments et d’unités uniques. Le succès est au rendez-vous : deux millions de copies vendues en trois mois, et un soft qui est un jalon de plus dans l’histoire du STR en tant que référence incontournable. Il ouvre d’ailleurs la voie aux softs qui se voudront plus « historiques ». Racheté par Microsoft en 2001, le studio fait un pas de côté en adaptant la recette d’Age of Empires à l’univers de Star Wars, avec Star Wars : Galactic Battlegrounds (2001), et se lance dans la mythologie avec Age of Mythology (2002). Enfin, en 2005, Age of Empires III achève la trilogie : les cartes sont plus limitées, des cartes de ville permettent d’acquérir des bonus régulièrement en provenance de votre métropole, des évolutions politiques vous permettent d’infléchir le cours de votre évolution face à une évolution historique et technologique plus limitée, vu que vous commencez à la Renaissance. Le soft est bien accueilli et clôt l’aventure Age of Empires. Avant leur fermeture pour difficultés financières, le studio fait paraitre Halo Wars (2009), qui sort de leur cadre habituel de travail pour adapter le STR à la console. Le studio est fermé l’année d’après. Le dernier Age of Empires Onlines (2011) se présente quant à lui comme un jeu gratuit avec des fonctionnalités payantes, et malgré ses graphismes cartoon colorés sympathiques, la recette ne prend pas face à ce modèle économique.

 

Le dernier opus de la trilogie nous emmène dans le Nouveau Monde, avec des cartes de métropole à activer en jeu, un explorateur qui récupère des trésors, et des tribus locales à convaincre.

 

En guise de conclusion : toujours debout

 

Au fil des années, les quatre séries ont maintenu un fort engouement de la part des joueurs. Age of Empires Online a été rebooté par des fans sous le nom de Project Celest, 0.A.D est un jeu open-source et gratuit reprenant le gameplay de la série, ou encore le mod Rise of the Reds pour Command & Conquer : Generals prolonge le soft de 2003. Les studios eux-mêmes se sont rendus compte de cet état de fait :

  • Age of Empires II revient dans une version HD en 2013, reçoit de nouvelles extensions, puis chacun des trois opus passe en édition définitive entre 2018 et 2020 avec des graphismes remaniés et quelques ajustements. Par ailleurs, un quatrième opus a déjà été annoncé : il sera à la main de Relic Entertainment dont nous reparlerons ;
  • Dans le même temps, StarCraft et StarCraft 2 : Wings of Liberty sont rendus gratuits en 2017, et une version refondue de StarCraft est produite la même année. Néanmoins, Blizzard s’est pris les pieds dans le tapis avec Warcraft 3 : Reforged (2020) en coupant beaucoup de promesses et provoquant l’ire de ses fans ;
  • Une version remasterisée des deux premiers C&C sort en 2020 avec rien de moins que les anciens développeurs de la série avec Petroglyph Games.

 

La Definitive Edition d’Age of Empires II prouve que le soft se porte bien. Elle est par ailleurs portée par des chaines, comme celle de Zerator avec ses tournois, qui permettent de redonner de l’actualité au soft.

 

Il est donc difficile en voyant le succès immédiat des versions remasterisées, à l’exception de celle de Warcraft III, de conclure à une fin de parcours du genre. Les séries principales envoient encore du rêve. Mais cela ne répond pas encore à la question des mécaniques, qui dans le même temps restent identiques depuis les années 90, et nous verrons dans la seconde partie de notre dossier sur les STR s’il y a matière à innover, ou si ces mécaniques sont vouées à se scléroser. Quoi qu’il en soit, entre le côté arcade de C&C, le côté frénétique de StarCraft et de Warcraft, et l’économie planifiée d’Age of Empires, le genre du STR a acquis ses lettres de noblesse.

 

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Liste des jeux de stratégie en temps réel (STR) :

2 Comments
  1. Reply Vlast novembre 27, 2020 at 11:40 pm

    Article super intéressant.
    Mais tu ne site pas le Battle For Middle Earth 2 et Warhammer Dawn of War 1 (et ses exte) qui sont aussi des STR

    • Reply Captain Sparke novembre 29, 2020 at 5:24 pm

      Hello Vlast, merci pour ton retour ! Concernant la série Dawn of War, je lui ai dédié un dossier complet si tu es intéressé : https://le-monde-du-captain-sparke.fr/warhammer-40k-dawn-of-war-2004-2017/

      Par ailleurs, je compte bien en parler dans l’épisode 2 ! Concernant BFME, je lui réserve également une mention dans le second épisode, qui arrivera un de ces quatre 😉

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