Heroes of Might & Magic (1995) – Stratégie, tactique ou RPG ?

Après avoir produit une des séries les plus connues du jeu de rôle sur ordinateur dans les années 80 et 90 avec Might & Magic, les Américains de New World Computing se sont lancés dans la stratégie-tactique avec Heroes of Might & Magic : A Strategic Quest (1995), qui mélange fantasy, RPG, stratégie au tour par tour avec gestion de base et exploration, et tactique au tour par tour avec des combats d’armée. La série a eu un succès certain à la fin des années 90, avant que la franchise ne tombe dans l’escarcelle d’Ubisoft après la faillite de New World Computing en 2003. Elle reste aujourd’hui une série de référence dans le genre qu’elle a contribué à créer, inspirant les séries Age of Wonders, Disciples ou encore King’s Bounty, et une pelletée de nouvelles itérations dont la dernière est Songs of Conquest. Retour sur une série stratégique-phare.

 

 

Le mythe fantasy

 

A l’origine, il y a les premiers jeux de rôle par ordinateur qui paraissent dans les années 70 et 80. Parmi ces jeux, généralement en dungeon crawl ou descente de donjon, certains proposent de contrôler plusieurs personnages pour simuler des groupes d’aventuriers, avec leur propre classe, race, équipement et compétences. On retrouve dans cette lignée des titres comme la série Wizardry (1981-2001), la trilogie The Bard’s Tales (1985-1988) ou encore Might & Magic (1986-2002) à la main de New World Computing. La série est appréciée et propose moult aventures, balades, montées de niveaux et combats au tour par tour.

 

Les Américains ne s’arrêtent pas au RPG de fantasy : dans leur ludothèque, on les voit réaliser divers jeux de stratégie, dont King’s Bounty (1990), qui s’essaye pour la première fois à la stratégie. Vous y dirigez une compagnie menée par un des quatre héros de départ, allant de villes en villes pour récupérer troupes et contrats, mais aussi de l’équipement, et en vous baladant sur une carte pour affronter des légions de monstres qui se tapent au tour par tour. Vous reconnaissez là les prémices d’Heroes of Might & Magic. Dans le même temps, Strategic Studies Group réalise lui aussi sa petite synthèse avec la trilogie Warlords (1990-1997). Vos héros ont aussi des unités à recruter, à commander, à mener sur une carte pour explorer, avec des batailles réalisées automatiquement entre deux armées.

 

L’arrivée enchanteresse

 

Lorsque vous lancer HOMM, après la petite cinématique d’entrée de jeu, vous lancez la campagne, composée de divers petits scénarios consistant à taper tout ce qui bouge sur des cartes diverses. Vous choisissez d’abord une des quatre classes : le chevalier, le barbare, la sorcière, le magicien. Chaque classe vient avec sa propre faction, ville de départ, bâtiments, unités et montées de niveau. Le chevalier et le barbare augmenteront ainsi plutôt leur force physique, qui augmentera également celles de leurs unités : le chevalier propose l’ordre avec ses cohortes de paysans et de chevaliers, tandis que le barbare apportera le désordre avec gobelins, orcs, trolls et cyclopes. Du côté des magiciens et de leurs compétences magiques, la sorcière amènera la gentillesse avec ses fées, nains, licornes et phénix, alors que le magicien proposera plutôt des gargouilles, des griffons et des dragons.

 

Ce qui frappe le joueur, c’est la direction artistique de l’ensemble. Chaque unité a son sprite coloré avec une identité visuelle cartoonesque assumée, ses façons de se déplacer, de taper ou d’être tapé, et sa petite voix. C’est un plaisir pour les yeux de voir son armée sur le champ de bataille, même plus de vingt-cinq ans après. Cette direction artistique ne s’arrête pas aux batailles, puisqu’elle concerne aussi la carte de campagne, avec sa musique mystérieuse et aventureuse, ses trésors qui brillent, et ses groupes d’unités qui attendent. Mieux, on retrouve aussi la même chose dans les villes que vous contrôlez. Chacune d’elle a son style visuel mais également son thème musical original, avec un Paul Romero qui s’est clairement lâché pour nous proposer par exemple du baroque pour les barbares – insérer musique -. Au fur et à mesure de vos constructions, les villes prennent également vie : on voit apparaitre les bâtiments et quelques animations contextuelles donnent de la vie à l’ensemble.

 

En tout état de cause, le jeu a une bonne patte graphique, et transporte véritablement dans un monde magique de fantasy grâce à son style visuel et musical marqué.

 

Fantasy guerrière

 

Ce n’est pas le tout d’être joli, encore faut-il que le gameplay tienne la route. Sur chaque carte, vous commencez avec un héros et des unités de base. Votre armée se balade, récupère des trésors sur la carte, capture des mines divers, voire attaque de nouvelles cités. Pendant ce temps, vous gérez votre propre cité : vous construisez avec vos ressources récoltées par vos héros des bâtiments utilitaires, et surtout des bâtiments d’unités. Ceux-ci permettent le recrutement du type d’unité qui y habite tous les sept tours : pour le chevalier, la maison de paysans recrutera automatiquement 12 unités de paysans chaque semaine, tandis que le terrain d’archers 8. Plus les bâtiments ont des unités puissantes, moins ils proposent d’unités par semaine. Ces unités, une fois disponibles, peuvent ensuite être achetées pour rejoindre la garnison du château, ou être récupéré par des héros qui vont les intégrer à leurs armées. Le but du jeu est évidemment de construire le plus rapidement possible pour avoir vos unités les plus évoluées : pour le chevalier, le paladin sera votre unité ultime, capable de faire d’énormes dégâts comparativement au paysan, qui n’est utile qu’en groupe conséquent.

 

Les unités forment ainsi des stacks. Si chaque unité a une vitesse, une attaque, une défense, un moral et une initiative spécifique en plus des compétences spéciales, comme les unités neutres des fantômes qui absorbent dans leur unité ceux qu’ils tuent ou les troupes ultimes du barbare, les cyclopes, qui ont une chance de paralyser leur cible, leurs statistiques évoluent : le héros donne ainsi des bonus en attaque et en défense en fonction de son niveau, tandis que les dégâts infligés dépendent du nombre de personne dans l’unité. 10 paysans font ainsi dix fois plus de dégâts qu’un paysan. Tout comme dix cyclopes par rapport à un cyclope. Il faut donc manager ses troupes, tâcher de garder en vie les meilleures, faire des allers-retours entre votre héros et votre château pour garnir son armée pour enfin triompher de tous les joueurs adverses. Les héros, une fois la guilde des magiciens construite, peuvent aussi lancer des sorts de campagne, qui permettent par exemple de détecter des mines ou de se téléporter avec son armée. Les héros mages pourront en lancer davantage grâce à leurs statistiques que les héros guerriers. Vous pouvez recruter moyennant finance des héros supplémentaires pour explorer la carte, ou faire la mule entre votre château et votre héros principal : ces héros peuvent être des quatre classes du jeu, et ont donc à disposition une à deux unités de départ de chacune de leurs factions.

 

Le déséquilibre tactique

 

Sur le terrain, vous avez des unités neutres qui gardent des trésors ou des héros ennemis qui capturent diverses localités, et plongent vers la vôtre dès qu’ils le peuvent. Lorsque votre armée rencontre une de ces armées, il y a combat, et on arrive sur la phase tactique. Sur un terrain fait de case, avec quelques éléments de décors, voire des murs lors des sièges devant être détruit par des catapultes, les deux armées se font face. Les unités avec le plus d’initiative commencent. Le but est évidemment d’exterminer l’autre, en choisissant quels cibles prioriser et quelle propre unité à protéger. Il est par exemple de bon ton de bloquer une unité de tir grâce à une unité rapide ou volante, pour le forcer à attaquer au corps-à-corps, ce que l’IA privilégiera d’ailleurs sur vous, concentrant parfois toute son armée sur votre seule unité de tireurs, parfois au mépris de la tactique. Il faut aussi bien faire attention à vos cibles, avec leurs statistiques et surtout leur nombre, pour ne pas user vos troupes onéreuses : 12 paysans par semaine valent moins que trois chevaliers par semaine. Ils ne coûtent pas non plus le même prix.

 

On note ainsi un certain déséquilibre entre les factions. Celle du chevalier est réputée pour être la plus faible, avec des unités humaines qui auront fort à faire : leur unité d’élite, le paladin, tape fort, mais a deux fois moins de vie que les autres unités d’élite. Le barbare a deux unités de tir différentes à recruter, de quoi clouer l’armée ennemie si celle-ci n’a pas d’unités rapides, mais le magicien a aussi trois unités volantes différentes pour bloquer l’ensemble des tireurs adverses rapidement. Il faudra donc composer avec les forces et faiblesses de vos factions, notamment grâce aux recrutements d’unités neutres sur la carte, comme des voleurs ou des cavaliers, mais aussi d’unités des autres factions : il suffit de capturer la ville d’une autre faction pour pouvoir recruter ses troupes. Les héros ont aussi accès grâce à la guilde des magiciens à des sorts qu’ils peuvent utiliser en combat, en nombre limité, comme des attaques de foudre, des bénédictions, voire l’armageddon qui tape toutes les unités.

 

Mon avis

 

HOMM premier du nom est fun, coloré, se prend en main facilement, a quelques subtilités qu’on découvre au fur et à mesure pour optimiser la récupération de ressources, les constructions des bâtiments les plus évolués et le recrutement d’unités pour sortir essentiellement le dernier tiers surpuissant de chaque faction, et un système de magie qui rajoute un zeste de fun en combat et en campagne. La direction artistique est envoûtante, même si le jeu accuse quand même un peu son âge au niveau des animations. Malgré tout, le gameplay accuse son âge : il n’y a pas assez d’unités et de choses à faire dans chaque scénario pour faire autre chose que chasser en boucle les héros ennemis et faire une bataille d’attrition pour avoir de plus en plus d’emprise sur la carte, avec les mêmes unités et les mêmes combats. De même, les combats ne peuvent pas être résolus automatiquement, et le mouvement des unités est plutôt lent. Toutes ces choses découragent le joueur d’aujourd’hui, qui lui préférera la richesse supérieure des opus suivants, qui n’ont pourtant fait qu’augmenter l’excellente formule devisée en 1995. Je note donc ce jeu fantasy stratégique colorée sur tabassage tactique de paladin.

 

Conclusion : un opus qui marque

 

Avec un deuxième opus paru en 1996 avec deux classes et factions supplémentaires, des bâtiments améliorables et plus de profondeur, et un troisième opus en 1999, encore réputé comme étant le meilleur de la série, avec un style visuel plus sérieux, la série HOMM s’impose dans son style, avec 1,5 millions de ventes entre 1995 et 1999, un beau succès pour l’époque. Dans le même temps, d’autres séries essayent de prendre le relais : Disciples : Sacred Lands (1999) des Québécois de Strategy First avec des armées plus réduites et la prise d’expérience des troupes, ou encore Age of Wonders (1999) des Néerlandais de Triumph Studios avec une carte plus complète de bataille, sans que le succès commercial ne soit autant au rendez-vous. Le genre de la stratégie-tactique fantasy est en tous les cas né, et poursuit son bonhomme de chemin dans les années 2000 et 2010, sans faire autant de bruit qu’HOMM, avec moult petits jeux et séries. Le genre est ainsi loin d’être mort : en 2021, on note ainsi la reprise de la série Disciples avec Liberation de Frim Studio et celle de King’s Bounty avec le 2 d’1C Entertainement, et en 2022 on retrouve des petits softs comme Hero’s Hour de Benjamin Hauer, qui change la recette du combat pour du temps réel, ou le plus classique Songs of Conquest de Lavapotion, plutôt joli.

 

Concernant New World Computing, ils disparaissent en 2003 pour cause de banqueroute, et c’est les Français d’Ubisoft qui récupèrent série Might & Magic. Ils font paraitre Heroes of Might & Magic V (2006) sous la houlette des Russes de Nival, bien accueilli par le public, mais la série attire globalement moins les foules, surtout avec les deux opus suivants, assez bugués et boudés, Might & Magic Heroes VI (2011) et VII (2015) des Allemands de Limbic Entertainment. Si c’est regrettable de voir une licence qui a initié un genre entier dans l’oubli, reste que l’opus originel, lui, a bel et bien marqué d’une pierre blanche le mélange stratégie, tactique et RPG.

 

Liste des jeux rétros :

 

Liste des jeux de stratégie / tactique :

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