Pharaons de l’Ancien Empire et pyramides – Egypte antique #3

L’époque qui suit l’instauration de la première dynastie manéthonienne jusqu’à la sixième dynastie s’inscrit dans la continuité. La principale rupture réside dans le déplacement de la capitale d’Abydos à Memphis, en Basse Egypte, sous le règne du roi Djéser, illustrant le passage de la période thinite ou archaïque à celle contestable d’« Ancien Empire », qui supposerait un contrôle absolu du souverain et un certain nombre de caractéristiques impossibles à définir au vu du caractère lacunaire des sources. C’est d’ailleurs sur ce point que s’appuie l’historiographie pour relativiser le pouvoir du pharaon, qu’on a longtemps comparé à un monarque absolu de droit divin en considérant la monumentalité des pyramides ainsi que leur caractère religieux. Nous verrons que ce point est sujet à caution, d’autant que les pyramides sont dans la continuité plus que dans la rupture avec les pratiques funéraires antérieures, et que l’élite a un rôle certain la poussant tantôt à imiter le souverain avec comme récompense d’être inhumé près de lui, tantôt à s’y opposer en créant des nécropoles provinciales.

 

I. Une histoire politique morcelée

 

a) La période thinite ou archaïque (-3100 / -2700)

 

La période couverte par les deux premières dynasties est peu connue. On sait que le centre du royaume unifié d’Égypte se trouve selon la liste de Manéthon à Thinis, près d’Abydos. La liste commence par le premier pharaon connu par les sources, Ménès ou Narmer. Des troubles se font jour durant la période, et des rivalités ont pu opposer Abydos et Memphis. Des tombes de la première dynastie ont été pillées, mais à la fin de la période, une révolte en Basse-Egypte semble matée et l’unité restaurée. L’essor de la troisième dynastie vers -2700 inaugurera ce que les historiens ont appelé l’Ancien Empire.

 

b) La période des pyramides (-2700)

 

Djéser (2667-2648) met en place une nécropole royale exclusive à Memphis (Saqqarah) et y place vraisemblablement la capitale de la monarchie pharaonique. C’est le début de ce qu’on appelle l’Ancien Empire, et c’est de cette période que datent les fameuses pyramides d’Egypte. Elles sont moins l’illustration d’une rupture que d’une continuité dans l’architecture monumentale des nécropoles, qui évoluent depuis la période de Nagada. Certains historiographes ont vu dans les dimensions de ces pyramides le signe d’une royauté absolue, vérité largement relativisée aujourd’hui au vu de l’absence de sources qui en témoigneraient, mais aussi par le fait que les élites proches du pouvoir semblent se conformer au départ aux pratiques d’inhumation près du pharaon, avant de s’en détacher en mettant en place des nécropoles en province.

 


Le complexe pyramidal de Gizeh, sur le plateau du même nom, est souvent le marqueur du pouvoir pharaonique pour le grand public, malgré le fait que les pyramides aient été établi de la quatrième à la cinquième dynastie seulement. On y trouve aussi des mastabas des premières dynasties, le Grand Sphinx contemporain de la période des pyramides et divers temples établis plus tardivement.

 

Durant la période, les pyramides royales deviennent en effet de moindre importance politique pour les élites, et prennent alors une nouvelle dimension religieuse matérialisée par les Textes des Pyramides et l’adjonction d’obélisques et de temples solaires à partir de la cinquième dynastie, venant du culte de Ré à Héliopolis. Le pharaon reste malgré tout capable de mettre en place de nouvelles villes, comme les villes-camps pour construire ces ensembles monumentaux, certains pouvant accueillir jusqu’à 2000 travailleurs à Gizeh par exemple, ou même des villes-temples ou de pyramides pour s’occuper du culte.

 

c) Le pharaon : guerrier et commerçant

 

Les pharaons de la période sont peu connus. On sait que Snéfrou (2613-2589) de la quatrième dynastie a créé des centres agricoles et lancé des expéditions en Basse-Nubie, sur la côte libyenne et au Levant, ou que Khéops (2589-2560) a affirmé sa présence en Mer Rouge pour l’approvisionnement du cuivre. Sahouré (2487-2475) quant à lui lance des expéditions en Libye, au Levant, au Sinaï, au pays de Pount (Bab al-Mandab). L’Egypte est en effet un carrefour stratégique. A ce titre, le contrôle des routes de commerce faisant transiter or et bétail est déterminant, d’autant dans des lieux où l’occupation humaine est faible comme en Moyenne Egypte ou dans le delta occidental, à la rencontre des peuples de pasteurs de Libye, de Nubie et du Levant.

 


La palette de Narmer, dont nous avons déjà parlé. On y voit Narmer tirer un « libyen » barbu par les cheveux pour l’abattre tandis qu’il foule au pied les cadavres de ses ennemis.

 

Des combats ont ainsi pu se faire jour avec les populations locales, notamment avec les populations « septentrionnales », « asiatiques » ou « libyennes », caractérisées dans les sources iconographiques par une courte barbe et des cheveux longs et bouclés. Le pharaon apparait dans l’imagerie comme celui qui écrase de sa masse ses ennemis, comme dans la palette de Narmer. On peut comprendre les expéditions des pharaons décrites précédemment sous cet angle : Narmer a ainsi fait dans le delta occidental 120 000 prisonniers et récupéré 400 000 têtes de bovins, et d’autres pharaons comptent les morts des « habitants du nord » et prises. Des domaines agricoles semblent dans le même temps sécurisés et construits dans le Delta, profitant aussi du bois, des huiles et des résines locales.

 

d) Le déclin de la sixième dynastie ? (-2350 / -2150)

 

Les sources se diversifient sous la sixième dynastie, permettant de retracer des luttes politiques et d’influence, mais aussi des parcours de vie. Dans l’historiographie, cette phase amorce le déclin de la monarchie memphite, qui s’opposerait à la période de paix et de stabilité de la période précédente : pourtant, nous avons vu qu’en réalité, l’absence de sources ne signifie pas forcément que les premiers monarques de l’Ancien Empire aient un règne remarquablement stable et pacifié.

 


Une carte présentant l’Ancien Empire. On voit notamment le lien entre la capitale, Memphis, et les ensembles monumentaux (Source).

 

Quoi qu’il en soit, on note des destructions de tombes, des damnatia memoriae, et une succession parfois rapides d’administrateurs nous poussent à nous poser des questions sur la réalité politique de l’époque, par exemple quand un certain Ourerkaré prend le pouvoir pendant quelques années entre Téti et Pépi Ier. Le pharaon doit en tous les cas composer avec les élites de Haute-Egypte, qui s’imposent à cette période face à l’essor des échanges : il entretient une logique d’émulation, fait venir des fils de cette élite au palais pour en faire des hommes de confiance, s’appuie sur un réseau de hout, utilise des exemptions fiscales et des dons de terrain à certains temples tenus par des élites, et évite de concentrer le pouvoir dans les mêmes mains en nommant des membres de famille différents aux postes de grands chefs ou de vizirs. En Basse Egypte, la situation est moins complexe, et le pharaon a plus de contrôle. Finalement, pour des raisons structurelles, la monarchie s’effondre au profit d’une polarisation nouvelle entre Thèbes au nord et Héracléopolis au sud.

 

II. L’organisation de la société

 

a) La cour

 

On connait l’existence d’une titulature à la cour de Memphis, regroupant des Fils et Filles du Roi, élevés près de lui, possédant une rente et composant les hauts-dignitaires du royaume. Vers -2500, ils apparaissent un peu moins nombreux, à la même époque où les nécropoles des élites se développent en province plutôt que près de Memphis. Le pharaon possède vraisemblablement un réseau de clients lui permettant de fournir à ses obligés récompenses pour leurs actions. Cette cour est mieux connue sous la sixième dynastie. Le pharaon forme un cercle rapproché avec ses épouses, sa famille et les fils de notables venus prendre leur éducation à Memphis pour devenir des hommes de confiance par la suite, voire des gendres. Le mariage royal permet aussi de s’associer avec des grandes familles provinciales, comme les femmes de Pépi 1er, notamment deux sœurs d’Abydos.

 

b) La géographie fiscale de la monarchie

 

Des agents royaux mettent en place une géographie fiscale, alimentant le palais. Le réseau des centres agricoles (les hout) et des postes de garde, ainsi que la présence d’agents commerciaux permettent d’assurer un prélèvement au bénéfice du palais. On trouve quelques centres administratifs, comme Elephantine, stockant aussi bien l’or que le blé. Les communautés villageoises adaptent leur production, et les notables se font les relais entre le village et le palais. Des relais du pouvoir apparaissent aussi dans les temples locaux, tenus par des élites provinciales, plus extérieures à l’influence de la monarchie, exceptés ceux près de Memphis. A partir de la sixième dynastie, l’essor économique du sud entraine une multiplication des hout, permettant de mettre en place des entrepôts stockant provisions et équipement pour les agents royaux qui arpentent le Nil et régulent le commerce. Des centres comme Balat, sur la route de l’oasis vers la Nubie ou le lac Tchad, voient le jour et se structurent autour d’un palais, d’un ensemble administratif et de tombes. Les pâturages et les personnes corvéables sont décrits et classés par une bureaucratie plus nombreuse, tandis que la pratique de l’impôt (produits agricoles ou artisanaux) se développe. Le réseau de ces hout est tenu par des gouverneurs, qui organisent la mise en valeur agricole du terrain et des dépôts réguliers sur les itinéraires des agents royaux. Un autre réseau parallèle se dessine : celui des temples. S’ils accueillent aussi les agents royaux, ils ont un domaine réservé et un certain nombre d’exemptions venant du pouvoir, souvent pour s’appuyer sur ces élites.

 

c) La place du commerce

 

Le commerce continue de s’imposer à cette période : la Nubie connait alors la phase du Kerman ancien, et les agents royaux ou marchands doivent composer avec cet ensemble étatique pour échanger entre -2450 et -2050. On retrouve des traces de l’Egypte au Levant, au Liban, en Mer Rouge, et même jusqu’à Ebla en Syrie (voir notre série sur la Mésopotamie). L’or et le cuivre restent des marchandises importantes.

 

Conclusion

 

Le déclin de la monarchie a pu être structurel, avec une hausse de l’administration, un enrichissement général, la multiplication de centres de décision pouvant entrainer des problèmes de corruption et un alourdissement général, créant des centres pouvoirs alternatifs pouvant dégrader le rôle symbolique du pharaon. On observe alors une militarisation croissante, la mise en place de foyers politiques indépendants, qui résulteront lors de la « première période intermédiaire » à partir de -2181 en la lutte entre Thèbes, qui prend le pas sur Memphis en Basse Egypte, et Héracléopolis en Haute Egypte.

 

Bibliographie :

  • AGUT, Damien, MORENO GARCIA, Juan Carlos (2016). L’Egypte des pharaons. De Narmer à Dioclétien. 3150 av J.-0.C – 284 apr. J.-C., Belin, Collection « Mondes anciens », Saint-Just-la-Pendue, 847 p.

 

Chroniques historiques – L’Egypte antique :

 

Chroniques historiques – La Mésopotamie antique :

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