Dynasty Warriors 2 (2000) – Le Musou historique et son champ de bataille

Si on doit citer un roman classique de la littérature chinoise, on est bien embêté. Par contre, dès qu’on parle de Musou, ces jeux qui mêlent le hack’n’slash et l’échelle d’un champ de bataille, on pense immédiatement à la série Dynasty Warriors des Japonais d’Omega Force. Justement, la série est connue pour adapter le récit mythique chinois du Roman des Trois Royaumes de la période du même nom, illustrant les combats entre les royaumes de Wei, Wu et Shu pour l’unification de la Chine, avec moult intrigues et rebondissements. La série est aussi connue pour la création d’un sous-genre du beat’em up et du hack’n’slash avec le Musou, qui signifie « Sans rival » et qu’on rapproche du mot « Guerrier » et qui désigne un soft où le joueur arpente un champ de bataille, terrasse des centaines de soldats à lui tout seul par le biais d’enchainements et de pouvoirs divers pour confronter les officiers ennemis, des héros charismatiques aussi puissants que vous, afin de gagner la bataille. Encore aujourd’hui, le Musou continue d’essaimer avec les séries Warriors d’Omega Force : Dynasty Warriors sur la période chinoise des Trois Royaumes, Samurai Warriors sur la période japonaise du Sengoku Jidai, sans parler des adaptations à d’autres univers, comme le monde de Zelda avec Hyrule Warriors ou encore celui du manga One Piece avec Pirate Warriors. Retour sur l’opus fondateur du Musou.

 

 

Un peu d’histoire

 

On connait généralement beaucoup l’histoire occidentale, et très peu celle du monde, ce qui fait que l’histoire chinoise nous est à peu près étrangère. Et pourtant, la période des Trois Royaumes est extrêmement connue en Chine. Au-delà du récit historique, notamment l’histoire officielle compilée par Chen Shou au IIIe siècle, les Trois Royaumes ont une aura qui dépassent l’histoire pour la fiction, grâce à un roman-fleuve aussi classique qu’Au Bord De L’eau dont je parlais dans mon test d’Eiyuden Chronicle Rising, à savoir le Roman des Trois Royaumes, attribué à Luo Guanzhong qui l’aurait écrit au XIVe siècle. Dans celui-ci, on se focalise davantage sur les personnages et le drame qui se noue sur la base de la période allant de la chute de la dynastie Han en 220 à l’unification du pays par la dynastie Jin en 280, ponctuée par l’établissement de trois royaumes, Wei, Wu et Shu. Cette période est très fertile dans la culture populaire : bandes dessinées dont mangas japonais et manhua chinois, films dont le tout dernier Dynasty Warriors (2021), séries dont la plus connue est celle chinoise de 2010, séries d’animation et évidemment des jeux vidéos, comme les jeux de stratégie de Koei avec Romance of the Three Kingdoms ou encore Total War : Three Kingdoms (2019) de Creative Assembly, qui adapte l’aspect héroïque. Et, bien sûr, nous avons Dynasty Warriors.

 

Omega Force

 

Il faut remonter aux Japonais de Koei pour comprendre l’irruption d’Omega Force dans le paysage vidéoludique. Fondée en 1978, Koei produit de nombreux softs, mais se spécialise surtout dans les jeux de stratégie, avec les séries Nobunaga’s Ambition (1983) et Romance of the Three Kingdoms (1985), adaptant respectivement le Sengoku Jidai japonais et les Trois Royaumes chinois. Ils créent la division Omega Force pour diversifier leur catalogue. Dynasty Warriors premier du nom (1997), ou Sangoku Musou, est ainsi un jeu de combat, dans la veine du genre du début des années 90, avec les mains nues d’un Street Fighter II ou les armes d’un Samurai Showdown. Deux guerriers de la période des Trois Royaumes se retrouvent face à face pour parer les coups et réaliser des combos pour triompher de l’autre. Omega Force fait également paraitre le jeu de combat Destrega et le jeu d’aventure Enigma (1998), mais également le TPS Operation WinBack (1999), pionnier du cover-shooter.

 

Finalement, ils inaugurent une nouvelle série, Shin Sangoku Musou, reprenant les personnages de Sangoku Musou dans un hack’n’slash 3D sur un champ de bataille. Quand le jeu arrive en Occident, on décide pourtant de lui donner le même nom que le jeu de combat de 1997 : le premier Shin Sangoku Musou devient ainsi le deuxième épisode de la série Dynasty Warriors, d’où la différence de numérotation entre les versions japonaises et occidentales. En tous les cas, Dynasty Warriors 2 (2000) s’offre ainsi la PlayStation 2, offrant une démo technique des possibilités de la nouvelle console avec ses grands champs de bataille et son nombre de guerriers à l’écran, avec pour seul limite un épais brouillard au-delà d’une certaine distance.

 

A l’époque, le beat’em up et le hack’n’slash qu’on connait en vue de côté à la Streets of Rage (1991) et Ninja Gaiden (1988) s’offrent un passage vers la 3D. Pour le beat’em up à la main, des softs comme Fighting Force (1997) ou The Bouncer (2000) ne sont pas encore totalement réussis, il faudra attendre notamment Yakuza (2005) pour plus de dynamisme et de réussite. Pour le hack’n’slash, on aura deux familles : le character action game à la Devil May Cry (2001) avec ses combos et ses petites arènes, et le musou avec Dynasty Warriors 2.

 

Choc culturel

 

Après un menu sommaire, la sélection du mode Musou et une sélection de personnages dont on ne connait rien, une cinématique nous parle d’une bataille contre les trublions des Turbans Jaunes de Zhang Jiao et d’une alliance impériale pour en venir à bout. On a alors une carte du terrain avec l’emplacement des officiers alliés et ennemis, l’objectif qui est de vaincre Zhang Jiao, et c’est parti sans tuto, à l’ancienne. On dirige son personnage dans un environnement en 3D, on se repère grâce à la mini-map pour voir les points chauds du champ de bataille et les lieux de passage, et on part défourailler du péon et de l’officier.

 

Pendant ce temps, des vagues de soldats ennemis et alliés s’affrontent, menés par une poignée d’officiers. Ceux non nommés dirigent des escouades de soldats, les gardiens de porte gardent des voies de renfort ou des murs, et les officiers nommés au design unique seront vos principales cibles. La présence de ceux-ci inspirent leurs troupes. Pour avancer, il faudra éliminer tout ce petit monde, pour débloquer de nouvelles zones ou d’empêcher le flux constant de troupes adverses. Le nombre de soldats que vous tuez s’affiche en permanence, et plus vous vainquez des troupes et officiers, plus la jauge de moral de votre camp monte, et plus vos soldats progressent sur le champ de bataille. C’est le côté tactique du soft, avec un champ de bataille mouvant.

 

Bande de Musou

 

Avec un peu plus de bagage culturel, il s’avère que les personnages que vous choisissez avant de lancer le mode campagne, qui est le mode Musou, viennent d’un des trois royaumes. Ils sont 9, mais en fonction de certaines conditions, comme finir un certain nombre de missions pour tel ou tel royaume, ils vont jusqu’à 28. Le plus intéressant est que ces personnages sont des personnages historiques, qu’on retrouvera dans toute la série des Dynasty Warriors. Chacun d’entre eux a son arme, son look, son feeling général. Concernant leur moveset de combat, beaucoup ont le même, notamment les épéistes, sabreurs, utilisateurs de tridents et lanciers. Le mode Musou leur permettra d’enchainer les mêmes 5 à 7 niveaux pour aller au bout de l’histoire du jeu : jouer avec chaque camp donnera quelques cinématiques différentes et permettra de débloquer des personnages, mais cela vous fera malgré tout enchainer les mêmes stages.

 

Au combat, chaque personnage a une attaque légère qui va jusqu’à un combo de quatre coups qui renverse les ennemis, une attaque chargée, que vous pouvez aussi combiner avec une série d’attaques légères pour étourdir, renverser ou faire valdinguer les adversaires, mais aussi une parade, qui permet de bloquer les coups reçus de face si vous ne bougez pas, et un arc. Une fois que vous réalisez suffisamment de combos en tapant sur tout ce qui bouge, votre barre de Musou se remplit : une fois au bout, vous pouvez activer votre attaque spéciale et consommer une partie ou l’entièreté de la barre pour faire valdinguer les soldats et officiers environnants. Simple et efficace. On s’amuse à enchainer les combos et à transformer les soldats en quilles de bowling. On ramasse de la santé, des bonus temporaires, mais aussi des bonus permanents sur les officiers ennemis.

 

Les graphismes corrects avec ses armures hautes en couleur pour les personnages nommés, les cris de guerre en fond sonore et la musique rock donne un vrai aspect héroïque à la baston.

 

Don’t pursue Lu Bu !

 

Chaque niveau a sa météo, son look général et ses contraintes diverses en terme d’environnement, comme la présence de forêt, de murs, des défilés qui permettent de contourner certains officiers. Ces officiers ont aussi des moments scriptés : dans le premier niveau, l’un d’entre eux lance un vent qui nous repousse, l’autre jette des pierres. Pour progresser et dégager le passage pour aller tuer le général-en-chef ennemi, on pourrait croire qu’il suffit d’enchainer très vite les officiers les uns après les autres. Grave erreur. Sous ses airs héroïques, le jeu ne fait pas de cadeau : les officiers nommés et non nommés ainsi que les gardes du corps adverses sont très agressifs, et sont souvent tout autour de vous, interrompant le moindre de vos combos. Il ne faudra donc pas toujours se presser et y aller pas à pas, avec ses alliés, d’autant que les sauvegardes sont à trouver sur le terrain et que le moindre game over force à recommencer la bataille, qui prend en moyenne une demi-heure à une heure.

 

Quant aux officiers adverses, les plus importants ont des bonus très embêtants, notamment celui de régénérer leur vie ou d’avoir moult bonus d’attaque ou de défense quand ils sont renversés: quand on sait que les combos renversent naturellement les adversaires, on se retrouve à taper les officiers trois coups, parer, puis retaper trois coups. Sauf que les soldats autour ne vous attendront pas et continueront de vous interrompre. La vie part ainsi très vite, et il m’a fallu m’y reprendre à plusieurs fois pour gagner le premier niveau. Certains des officiers ennemis dans les niveaux avancés sont d’ailleurs extrêmement puissants, avec des attaques spéciales capables de vous terrasser en moins de deux, et gare à vous si vous ou vos copains les renversez, car ils régénéreront toute leur vie. La fameuse phrase « Don’t pursue Lu Bu » fait d’ailleurs référence à la puissance de Lu Bu, l’officier surpuissant de la série.

 

Pas très héroïque

 

La baston et la tactique sont clairement addictives, mais le soft n’est pas exempt de défaut. L’aspect historique est assez mal traité, on ne comprend pas grand-chose au contexte ou aux personnages, avec des voix anglaises assez mauvaises, et le nombre de niveaux n’est pas élevé, ce qui ralentit notre envie de faire une campagne par royaume. En bataille, le moveset du personnage qu’on joue n’évolue jamais, et surtout le soft n’est pas facile : le jeu nous invite à farmer en mode libre les mêmes niveaux pour faire monter de niveau les personnages pour qu’ils aient plus de vie, de défense ou d’attaque, ainsi que des gardes du corps plus nombreux et mieux équipés. Affronter les officiers est également une plaie s’il faut faire attention à ne pas les renverser, ce que le système de combat nous enjoint pourtant à faire. Mais le plus gros point noir est assurément la caméra archaïque du titre, qui ne bouge pas avec votre personnage, ce qui fait qu’on tape souvent des ennemis invisibles à l’écran, qu’on ne voit pas la préparation d’une attaque puissance d’un officier et qu’on est vite débordé pour rien. Dans un jeu où tout repose sur le système de combat, c’est un défaut majeur, même s’il est évidemment expliqué par l’ancienneté du titre.

 

Mon avis

 

Vous le sentez, le titre a un grand nombre de qualités : jouer autant de personnages historiques différents pour terrasser nombre d’ennemis sur différentes cartes, faire progresser son personnage, et mener une bataille dans une ambiance rock’n’roll restent épique. Mais la difficulté, la caméra, les officiers ennemis surpuissants et le besoin de grind empêchent le joueur de 2022 de se lancer corps et âme dans le titre, car le joueur de 2022 sait qu’un an plus tard, Dynasty Warriors 3, a amélioré tous ces aspects : j’ai beau apprécié le soft pour ce qu’il propose, je ne pense pas que je vais m’ingénier à y engloutir des dizaines d’heures pour tout débloquer. Et pourtant, le jeu vous récompense largement, permettant de débloquer les camps ennemis à jouer en jeu libre, comme le chef des Turbans Jaunes. Ca montre le niveau d’amour mis dans ce jeu. Je note donc ce jeu Sabre chinois sur officier moustachu.

 

Les débuts du Musou

 

Dynasty Warriors 2 ou Shin Sangokumusou 1, a lancé définitivement le Musou. Huit épisodes plus tard, la série totalise 21 millions de ventes sur un grand nombre de plateformes. Omega Force a poursuivi son œuvre dans le Musou sur le Sengoku Jidai japonais à partir de Samurai Warriors (2004), avec cinq épisodes principaux et 7 millions de ventes en 2021, et a même mêlé les deux univers au sein de la série Warriors Orochi (2007), qui compte cinq épisodes principaux. Le studio a également adapté des univers avec Gundam à partir de Dynasty Warriors : Gundam (2007), Ken le Survivant avec Fisth of the North Star : Ken’s Rage (2010), One Piece avec Pirate Warriors (2012), Zelda avec Hyrule Warriors (2014), Fire Emblem avec Fire Emblem Warriors (2017) et d’autres one-shot comme Berserk and the Band of Hawk (2016). Autant dire que le genre reste très populaire, mais surtout au Japon, où les Musou trustent généralement le top des ventes. Le Musou peut aussi souvent être critiqué pour son manque d’innovation, souvent vu comme un jeu où l’on mashe un bouton : aujourd’hui, les softs proposent davantage de pouvoirs, de moyens de réaliser des combos et de possibilités tactiques, notamment dans les opus Empires de la série Dynasty Warriors, mais il est vrai qu’il faut aimer tabasser par paquet de cents des troupes ennemies.

 

Conclusion

 

Vingt-deux ans plus tard, le Musou est toujours aussi populaire. Après les Trois Royaumes d’un Dynasty Warriors, Omega Force a retravaillé sa formule et l’a adapté avec succès à moult autres univers, pour permettre aux joueurs des scènes de combat épiques. Dynasty Warriors aura aussi eu le mérite de faire appréhender l’histoire des Trois Royaumes, adaptant dans la culture populaire un événement historique. Avec beaucoup de rock.

 

Liste des jeux vidéos du site.

 

Liste des jeux Action :

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