La guerre totale en dentelles – Cossacks : European Wars (2000)

Les Ukrainiens de GSC Games World ont tenu pendant un bout de temps le pavé vidéoludique en Europe de l’est. Fondé en 1995, le studio est connu principalement pour trois franchises à succès : les jeux de stratégie en temps réel (STR) Cossacks (2000-2016) et American Conquest (2002-2003) et la série de jeux de tir à la première personne post-apocalyptique Stalker (2007-2009). Découvrons ensemble leur première série avec Cossacks : European Wars, The Art of War et Back to War (2000-2002).

 

I. Combien vous avez dit ?

 

Vous connaissez évidemment les STR de la fin des années 90 que peuvent être Warcraft et Starcraft de Blizzard Entertainment, Command & Conquer de Westwood Studios, ou encore Age of Empires d’Ensemble Studios. Il s’agit de collecter des ressources, de construire une base, de recruter des troupes, de les regrouper, et de lancer l’assaut, en mêlant escarmouches, raids puis batailles de masse. Rien de neuf dans Cossacks : vos villageois récoltent du bois et de la pierre près d’un entrepôt, construisent des mines pour récupérer de l’or, du charbon et du fer, et mettent en place des moulins pour faucher le blé et récupérer de la nourriture. Les villageois sont recrutés dans un hôtel de ville, et peuvent construire divers bâtiments militaires, de recherche ou encore de défense (fortifications, tours). Un marché permettra d’échanger une des six ressources contre une des six autres, et un centre de recrutement de mercenaires permettra de varier les unités recrutées pour un peu d’or. Si la nourriture manque, vos troupes décèdent, si l’or manque, vos mercenaires tournent leurs armes vers vous.

 


C’est des centaines de villageois qui travailleront sous vos ordres pour s’occuper de vos précieuses ressources (au prix de quelques maux de tête pour tout organiser, notamment lorsque vous passez vos mines individuellement au niveau 2 puis 3 et qu’elles requièrent de nouveaux villageois).

 

Néanmoins, la série innove par son ampleur et son cadre historique. Là où les jeux de stratégie proposent généralement quelques centaines de troupes maximum, Cossacks étend largement les limites en portant ce nombre à 8000 par joueur, et en réduisant dans le même temps le coût et le temps de recrutement d’un soldat, et même d’un villageois. Le cadre historique, quant à lui, concerne le XVIIe siècle et le XVIIIe siècle. C’est ici que le jeu prend une certaine saveur, en adaptant une période historique riche d’un point de vue de l’histoire militaire (voir mon article sur Pike & Shot : Campaigns) : développement de la pique, utilisation de l’artillerie, des armes à feu, nouveaux usages de la cavalerie (hussards, dragons), naissance des armées permanentes. C’est sur ce dernier point que Cossacks a raison dans sa limite de population : à l’époque, ce n’est pas l’homme qui compte, mais l’homme inclus dans une formation aux effectifs importants, permettant d’utiliser au mieux les rangées de piques ou d’armes à feu.

 


Piquiers, arquebusiers, pièces d’artillerie : bienvenue au XVIIe siècle.

 

II. Formez vos bataillons

 

Vous construisez ainsi des casernes, des écuries, des arsenaux d’artillerie, voire des ports, pour en voir sortir un flux ininterrompu d’hommes et de matériels. Ces hommes pourront ensuite être regroupés en formations jusqu’à 196 troupes avec des officiers et des tambours pour améliorer leurs caractéristiques et éviter qu’ils ne partent dans tous les sens, notamment avec le pathfinding parfois douteux. L’infanterie sera ainsi composée de piquiers pour agripper l’ennemi, d’arquebusiers puis de grenadiers pour mettre en jeu le feu voire les grenades face aux fortifications adverses avant des charges à la baïonnette une fois recherchée, tandis que l’artillerie permettra d’anéantir à elle seule des formations complètes si placée au bon endroit (canons, canons multiples) ou détruire des fortifications (mortier, howtizer). Les galères, frégates ou navires cuirassés mèneront le combat sur les eaux en protégeant vos pêcheurs et vos bateaux de transport. On notera que la hauteur et le terrain jouent un certain rôle, notamment dans les arcs de tir de vos arquebusiers ou pièces d’artillerie.

 


Vous pouvez regrouper vos unités en formation avec un officier et un tambour. De même pour vos cavaliers sans officier et vos pièces d’artillerie. La formation apporte des avantages offensifs et défensifs, et permet d’utiliser la ligne, la colonne et le carré. En pratique malheureusement, l’intelligence artificielle zappe l’essentiel des formations, et le rythme effréné empêche parfois de s’y atteler sérieusement.

 

Porté par des graphismes plus que convenables, notamment dans l’addition des centaines d’unités à l’écran ou dans la représentation des bâtiments criants de réalisme, ainsi que par une musique fort correcte vous mettant dans l’ambiance, Cossacks est très agréable à prendre en main avec les bons raccourcis en tête permettant de sélectionner en une commande toutes les casernes, ou toutes les unités d’un même type. De même, il est très facile d’orienter les formations, de les faire avancer en attaquant, ou de les faire tenir la position (bonus de défense et d’attaque). Mais ne comptez pas sur l’intelligence artificielle pour faire le travail. Si vous ne regardez pas régulièrement vos troupes, elles partiront à la moindre escarmouche d’archers, vous laissant vulnérables, particulièrement en multijoueur où les cosaques n’attendent que ça pour décimer vos paysans. Vous aurez le choix entre une bonne variété de factions : certains utilisent des troupes peu chères mais moins puissantes et incapables de passer au XVIIIe siècle (Algérie, Ottomans, Ukrainiens), et parmi les 19 factions proposées dans Back to War, des unités et bâtiments spéciaux, ainsi que des petites particularités (facilité de recrutement, etc.) permettent de donner un peu plus de saveur, malgré le fait que les unités puissent se ressembler, au moins dans leur fonctionnement.

 


L’intelligence artificielle aime les gros pâtés, et il s’agira souvent contre eux de porter des masses contre d’autres.

 

III. La garde se meurt

 

Le nombre d’options de recherche est par ailleurs assez important : entre celles qui permettent d’améliorer les rendements de récolte de ressources (celles pour la nourriture étant indispensables), la portée des armées, leur efficacité, le moral des troupes, ou même qui envoie une montgolfière pour découvrir toute la carte, on a de quoi faire, d’autant qu’elles sont regroupées dans des bâtiments spécialisés et dans les bâtiments militaires. Gérer un si grand nombre d’unités recrutées indéfiniment (clic droit dans Back to War), de bâtiments (sans oublier les habitations, les murs et les tours de défense) et de formations militaires ainsi que de navires est loin d’être évident pour le joueur lambda, d’autant que l’intelligence artificielle, très faible dans les niveaux de difficulté peu élevés, se révèle vite redoutable et envoie des armées complètes assez rapidement chez vous. Malheureusement pour elle, elle n’utilise que très peu voire pas du tout les formations et fait de sacrées erreurs tactiques même à haut niveau, en envoyant des canons sans protection et privilégiant les marées humaines plutôt que les armées cohérentes.

 


Des événements rythment les missions de chaque campagne. Certaines d’entre elles sont particulièrement corsées. Ici, un hussard polonais doit recruter des hommes dans un lieu infesté de bandits. Chaque perte compte.

 

Par ailleurs, les nombreuses campagnes proposées (cinq pour European Wars, cinq pour Back to War) ainsi que les dizaines de missions se révèlent particulièrement complexes, voire tout bonnement impossibles. Si les missions vous mettent à prise avec des problèmes stratégiques, les campagnes mêlent jeu de rôles et jeu de stratégie, où un pas dans la mauvaise direction vous coûte directement la campagne. Les sauvegardes seront votre meilleur ami. De nombreux scripts et événements les rythment, ce qui peut être un bon point, mais si vous activez les mauvais scripts au mauvais endroit et moment, vous risquez de perdre très rapidement la mission. La première mission de la campagne française du premier opus est un modèle du genre, puisqu’il vous faut avec très peu d’unités capturer un point central en évitant au maximum les pertes, fermer les portes pour éviter une attaque de nomades, passer selon un itinéraire précis pour éviter les tours de combat, récupérer des soldats, prendre d’assaut un fort, sachant que chaque erreur peut vous mettre au travers d’une ligne de tir d’un canon, ou d’une charge de cavalerie et vous faire perdre toute la partie.

 

Conclusion

 

Porté par de beaux graphismes pour l’époque et une musique correcte, la série Cossacks mêle classicisme avec ses constructions, recherches et extractions de ressources, et nouveautés avec son cadre historique original, et surtout son nombre impressionnant d’unités affichées à l’écran. Il est jouissif de posséder de grandes armées que vous pouvez manœuvrer en utilisant le terrain et les différents types d’unités, pour prendre à revers les adversaires, capturer leurs pièces d’artillerie, ou délivrer un feu roulant d’artillerie capables de les décimer en peu d’efforts. Les batailles sont particulièrement réussies et satisfaisantes visuellement. Mais le nombre considérable de ressources et d’unités peut rendre la tâche fastidieuse, d’autant plus que les campagnes proposées sont difficiles, et que l’IA est loin d’être au niveau tactique. Le multijoueur grâce à l’outil gameranger pourra par contre vous procurer d’excellentes sensations avec vos amis. Par ailleurs, le jeu n’est pas exempt d’un pathfinding parfois douteux, d’autant plus dommageable lorsque vous avez de nombreuses unités. Malgré tout, Cossacks a marqué de son empreinte le STR de son époque.


Cette critique pourrait être sur Cossacks III tant les softs sont similaires.

 

L’expérience continue ensuite avec la série American Conquest (2002-2003), qui change de cadres pour opposer conquistadores et légions d’indiens, puis des nations européennes, ou encore Alexander (2004) pour la guerre antique, qui rencontrera considérablement moins de succès. Cossacks II : Napoleonic Wars et Battle for Europe (2005-2006) changeront le gameplay, proposant plus de tactique pour les formations au détriment de l’économie. Après la série de FPS Stalker qui a aussi fait la renommée du studio, GSC a fermé. Sa réouverture en 2014 a entrainé le développement de Cossacks III, paru en 2016, et reprenant fidèlement les éléments d’European Wars avec des graphismes remaniés. Pourtant, alors qu’on pouvait attendre des campagnes revues au niveau de l’équilibrage, de nouvelles campagnes sont apparues, l’intelligence artificielle s’est révélée similaire, et les nombreux DLC ont pu décevoir et diviser les fans de la franchise. Pour le moment, GSC n’a pas prévu de retourner dans le monde de la stratégie, et travaille sur Stalker 2, depuis longtemps attendu par les joueurs. Nous verrons ce que l’avenir réservera aux Ukrainiens de GSC.

 

Liste des jeux de stratégie en temps réel (STR) :

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