Renseignement et sécurité, O. Chopin, B. Oudet, 2019 (Compte rendu / Conflictualité)

A première vue, lorsqu’on parle de renseignement, on imagine des agents infiltrés qui récupèrent au péril de leur vie des informations qui vont changer la face d’un conflit, typique des adaptations filmiques de James Bond. En réalité, le renseignement s’inscrit dans la stratégie étatique en tant que connaissance et moyen d’anticipation, permettant aux dirigeants d’orienter leurs vues et de prendre des décisions en tout état de cause. Pour parler de ce sujet, Olivier Chopin et Benjamin Oudet ont écrit un ouvrage intitulé Renseignement et sécurité, revenant sur l’histoire du renseignement, son inscription dans l’Etat, ses méthodes et ses organisations, en allant dans le détail de ce que l’on nomme les intelligence studies, l’appréhension du renseignement par les chercheurs en sciences sociales. Ils rappellent en incise qu’aujourd’hui, loin de l’image d’un espion esseulé en territoire ennemi, le renseignement est centralisé, normalisé et institutionnalisé, et ils s’attachent à décrire au fil de l’ouvrage toutes ses problématiques.

I. Qu’est-ce que le renseignement ?

Avant de déterminer l’histoire du terme, les auteurs présentent d’abord la sécurité, comprise de façon abstraite comme un état de protection face à des menaces, se situant pour les Etats au carrefour entre la science politique (politique publique de la sécurité), les relations internationales (politique étrangère) et les études stratégiques (analyse, compréhension, traitement des menaces stratégiques). A ce titre, le renseignement apparait comme un mode d’action publique de l’Etat qui se positionne face aux enjeux de compréhension et d’analyse des événements menaçant la sécurité.

Historiquement, tout commence avec les « espions », synonyme d’êtres rusés et trompeurs, et qui désignent les informateurs ou éclaireurs en mission pour rapporter des renseignements à divers groupes et sociétés antiques. Ils sont d’ailleurs décrits dans un traité aussi ancien que celui de Sun Tzu avec l’Art de la Guerre, l’espionnage apparaissant comme un mode de connaissance permettant de limiter les effets meurtriers des guerres en frappant au bon moment et au bon endroit. Les auteurs notent le passage de la notion d’espionnage à la notion de renseignement au moment de la Renaissance et de la formation des Etats « modernes ». Ceci est dû à l’apparition du concept de « raison d’Etat ». Elle désigne la mission que se donne l’Etat d’unifier le corps social sous un pouvoir unifié, pour empêcher les divisions internes (religieuses, …) et imposer la paix civile.


La raison d’Etat remonte traditionnellement aux préceptes développés dans Le Prince (publié en 1532) de Nicolas Machiavel (1469-1527), qui y étudie le pouvoir politique en lien avec le maintien d’un Etat, et sans considérations morales traditionnelles, ou plus tardivement dans les écrits de Giovanni Botero. Il s’agit ainsi d’expliquer que pour des raisons d’intérêt supérieur, l’Etat puisse ne pas suivre les règles traditionnelles du droit.

Cette raison d’Etat, pour se développer, a besoin dès lors d’un savoir d’Etat et d’un programme de connaissance et d’action, donc du renseignement. Le développement bureaucratique des services permet dès lors de développer une politique de renseignement, liée à la stratégie de défense et de sécurité nationale. Sherman Kent, grand nom du renseignement américain (OSS puis CIA), définit ainsi le renseignement comme une forme de connaissance, un type d’organisation qui produit cette connaissance, et l’activité menée par ce type d’organisation pour produire cette connaissance. Il fait ainsi référence au savoir spécifique, aux administrations, et au cycle du renseignement.


Sherman Kent (1903-1986) a travaillé pour les services secrets américains et a développé dans divers ouvrages l’analyse du renseignement, notamment dans Strategic Intelligence for American World Policy (1950).

II. Cycle et services

Les auteurs présentent le modèle théorique processuel qui décrit l’action des services de renseignement et qui se présente traditionnellement sous la forme d’un cycle :

  • Planification : l’autorité politique détermine de quel renseignement elle a besoin ;
  • Collecte de l’information : elle est permise par le renseignement de sources ouvertes (OSINT), disponibles pour tous et impliquant la nécessité du tri (big data), le renseignement humain (HUMINT) qui inclut la prise de contact sur le terrain par le biais d’informateurs ou de forces spéciales, et le renseignement technique (TECHINT), qu’on peut diviser sommairement en renseignement d’origine électromagnétique (SIGINT) utilisant l’interception de télécommunications (COMINT) ou encore les autres émissions électromagnétiques (ELINT), le renseignement d’origine image (IMINT) pour accéder aux informations visuelles (satellites, …), et enfin le renseignement de mesures et de signatures (MASINT) pour le reste, incluant la spectrométrie ou les radiations ;
  • Traitement : l’information est évaluée et hiérarchisée ;
  • Analyse : c’est ici que l’on donne à l’information un aspect qualitatif pour la transformer en renseignement utile au décideur. L’analyse se place ainsi au carrefour entre la récolte de l’information et sa diffusion, et a donc un rôle essentiel. Les auteurs étudient l’intelligence policy nexus, c’est-à-dire comment les services de renseignement interagissent avec les autorités politiques, en tenant compte des différences de fonctionnement. Les auteurs décrivent ainsi deux tendances : celle de fournir une analyse neutre aux décideurs (idéaliste), ou celle de l’orienter (réaliste) ;
  • Diffusion : il s’agit de diffuser le renseignement aux bonnes personnes et au bon moment pour répondre à la demande qui avait été faite au départ ;
  • Planification : redémarrer le cycle.


L’analyse du renseignement ressemblerait ainsi plus à cette image tirée d’America’s Most Wanted montrant une séance de travail au FBI qu’à un James Bond.

Une fois le renseignement défini et le cycle explicité, les auteurs parlent des services et de leur organisation par pays, avec des architectures simples ou complexes. L’intelligence community américaine contient par exemple 16 services. Les auteurs proposent une typologie de ces services :

  • le renseignement extérieur, qui se déploie hors des frontières pour des enjeux de défense, de diplomatie publique, d’économie ou de sécurité : la Central Intelligence Agency (CIA) américaine, le SVR russe, le Mossad isréalien, le MI6 britannique, ou la Direction générale de la sécurité extérieure (DGSE) française ;
  • le renseignement intérieur, qui peut être policier et lié à des aspects juridiques, luttant contre l’ingérence étrangère (contrespionnage) face à la politique, l’économie, la société, mais aussi contre la criminalité et le terrorisme : le Federal Bureau of Investigation (FBI) américain, le FSB russe, le MI5 britannique, ou la Direction générale de la sécurité intérieure française (DGSI), issue de la fusion de la Direction de la surveillance du territoire (DST) et des Renseignements généraux (RG) ;
  • le renseignement militaire, participant à la préparation et à la conduite des opérations pour lutter contre le brouillard de la guerre clausewitzien : la Defense Intelligence Agency (DIA) américaine, le GRU russe, ou la Direction du renseignement militaire (DRM) française.


Fondée en 1947, la CIA, avec sa riche histoire, alimente de nombreux fantasmes et critiques, parmi lesquelles l’invasion ratée en Baie des Cochons à Cuba en 1961 ou encore le soutien d’Augusto Pinochet au Chili en 1973.

Les auteurs rappellent qu’en France, la communauté française du renseignement est composée principalement de six services : la DGSE, la DRM et la DRSD qui dépendent du ministère des Armées, la DGSI qui est coiffée par le ministère de l’Intérieur, le Traitement du renseignement et action contre les circuits financiers clandestins (TRACFIN) et la Direction du renseignement et des enquêtes douanières (DNRED) sous l’autorité du ministère de l’Economie et des Finances. Pour terminer leur panorama, les auteurs présentent les différents dispositifs de contrôle qui existent dans les différents pays, comme en France la Délégation parlementaire au renseignement, la Commission nationale de contrôle des techniques de renseignement (CNCTR), la coordination nationale du renseignement et de la lutte contre le terrorisme (CNRLT) dépendant de l’Elysée, ou encore le plan national d’orientation du renseignement (PNOR) proposé par le Secrétariat général de la défense et de la sécurité nationale (SGDSN), organisme qui dépend du Premier ministre.


Depuis l’action explosive d’un James Bond, l’humour d’OSS 117 et d’Au Service de la France de Michel Hazanavicius, ou du réalisme du Bureau des Légendes, l’espion a une place de plus en plus marquée dans le monde audiovisuel.

Conclusion

Dans le reste de l’ouvrage, les auteurs abordent d’autres éléments : la coopération transnationale entre les services de renseignement face aux besoins technologiques particuliers, la place de l’action secrète, très romancée dans l’opinion publique notamment sur les forces spéciales ou le service action, et qui se divise entre les opérations revendiquées a posteriori et celles jamais revendiquées, la place de l’éthique dans le renseignement (torture, …), et la triangulation entre la sécurité, les menaces et la stratégie dans laquelle intervient le renseignement pour les Etats. Olivier Chopin et Benjamin Oudet livrent ainsi une analyse du lien entre renseignement et sécurité aujourd’hui à destination du grand public, permettant à tous de comprendre pourquoi les Etats possèdent différents services de renseignement.

Bibliographie :

  • CHOPIN, Olivier, OUDET, Benjamin, Renseignement et sécurité, Armand Colin, 2019 (2e éd.), 286 p.

Conflictualité :

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