La guerre cinématographique – Rétrospective sur Call of Duty (2003-2019)

La série Call of Duty, débutée en 2003 sous la houlette des Américains d’Infinity Ward et le patronage d’Activision Publishing, et qui s’est construite pour concurrencer la série Medal of Honor d’Electronic Arts, est la série représentative pour beaucoup de la success-story du jeu vidéo d’action grand spectacle, avec un titre par année, des ventes de plusieurs millions de copies à chaque fois et des critiques souvent positives. La série a si bien trouvé son public qu’elle représente la troisième série de jeux vidéos la plus vendue de tous les temps, avec pas moins de 300 millions de copies vendues, derrière les franchises non moins célèbres Mario et Pokémon. La licence se partage aujourd’hui entre trois studios possédés par Activision : Infinity Ward, Treyarch et Sledgehammer Games, qui ont conçu 16 opus principaux depuis 2003, et adaptent aussi bien la Seconde Guerre mondiale, la Guerre Froide (Black Ops), la pratique de la guerre (warfare) contemporaine (Modern Warfare) que la guerre futuriste.

 

De la charge russe de Call of Duty (2003)…

 

Le joueur y joue à la première personne avec une myriade d’armes à feu, d’où le nom first-person shooter (FPS), pour s’immerger dans des campagnes solos scriptées, bourrées d’action, et fortement inspirées des productions filmiques de guerre pour favoriser l’immersion, où on court, s’accroupit, rampe, vise, tire, utilise des véhicules et j’en passe. Le multijoueur a quant à lui une importance croissante dans les titres de la série, jusqu’à mobiliser l’essentiel des efforts des développeurs, afin de maintenir le joueur en éveil avec une progression, des armes, des modes de jeu divers et de nouvelles cartes faisant l’objet de plus en plus de contenus additionnels, sans parler de l’e-sport, où des professionnels surfent sur l’action rapide et nerveuse en utilisant leurs réflexes acquis en entrainement pour proposer du spectacle.

 

… à la contemporanéité de Call of Duty : Modern Warfare (2019), seizième opus principal de la série 16 ans après.

 

La série d’Activision a tenu le pavé sans remise en cause face à la concurrence, matérialisée surtout par Electronic Arts, qui publie la série qui a commencé l’aventure du FPS historique grand spectacle, Medal of Honor (1999-2012), puis la concurrence de la seconde vague, Battlefield (2002-2018). Malgré tout, des controverses se sont fait jour, particulièrement au moment du passage à la guerre contemporaine, avec un récit parfois glacial de la violence, qu’on accepterait plus volontiers dans un film de guerre pour adultes que dans une série qui se vend autant aux plus jeunes qu’aux plus vieux, tout du moins dans les campagnes solo qui s’immergent dans le Moyen-Orient, qui voient s’affronter Américains et Russes, et parlent sans ombrage de terrorisme et de torture. La série a eu aussi une période critique en demi-teinte, essentiellement entre Call of Duty : Ghosts (2013) et Call of Duty : Black Ops IIII (2018 et sic), où la licence semble s’essouffler et peiner à se renouveler. Nous allons donc voir tout cela au fur et à mesure de la longue histoire de la série.

 

I. Des films aux jeux de guerre historiques (2003-2008)

 

a) La médaille d’honneur du FPS historique grand spectacle

 

Les années 90 voient pulluler les FPS, où les joueurs combattent des monstres dans Doom (1993) d’Id Software, des horreurs du futur dans System Shock (1994) de Looking Glass Studios, des stormtroopers dans Star Wars : Dark Forces (1995) de LucasArts avant les évolutions graphiques et de gameplay qu’on retrouve dans la science-fiction de Quake (1996) d’Id Software, dans le laboratoire secret d’Half-Life (1998) de Valve et j’en passe. La majorité des softs font l’impasse sur l’historique, à l’exception peut-être de la série Wolfenstein, débutée en 1992 par Wolfenstein 3D, par les Américains d’Id Software (encore eux), malgré quelques excursions dans l’ahistorique avec des histoires de robots et de mutants.

 

Doom (1993) est traditionnellement vu comme le père du FPS. La sortie récente de Doom : Eternal (2020) par les mêmes développeurs est un signe que certaines choses perdurent…

 

Mais l’impact de la production filmique sera déterminante : si les films de guerre sont courants, la sortie du film de Steven Spielberg Saving Private Ryan (1998) change les codes du genre, avec une caméra qui se rapproche de l’action, du sang versé, de la brutalité et du chaos du combat. Steven Spielberg, qui a déjà créé avec Microsoft et sa propre société, DreamWorks Pictures, le studio de développement DreamWorks Interactive, n’est donc pas étranger à la création de Medal of Honor. Etrangement, Medal of Honor (1999) puis Medal of Honor : Underground (2000) nous placent davantage dans la peau d’un combattant solitaire combattant des légions d’Allemands ou s’infiltrant dans des endroits peu recommandables que dans du chaos et du grand spectacle. Il faudra attendre le troisième opus de la série, développé cette fois par 2015, Inc., vu qu’id Software est aux abonnés absents et que le studio originel DreamWorks Interactive vient d’être vendu à Electronic Arts. Medal of Honor : Allied Assault (2002) est né, et donne vie au chaos et à la brutalité du combat du film de 1998, avec notamment un niveau sur le débarquement à Omaha Beach qui a marqué le jeu vidéo de guerre.

 

La scène d’anthologie du débarquement en Normandie de Medal of Honor : Allied Assault, ou la marque du FPS de la Seconde Guerre mondiale.

 

b) L’appel du devoir d’Infinity Ward (2003)

 

DreamWorks Interactive, renommé EA Los Angeles, travaille désormais sur la série Medal of Honor, pendant que 2015, Inc., qui avait pourtant réalisé l’excellente performance de développer un Medal of Honor nouvelle génération, est privé de réaliser la suite. Des anciens développeurs quittent alors le navire qui sombre pour fonder Infinity Ward, être patronné par Activision afin de travailler sur rien de moins que le Medal of Honor Killer, renommé Call of Duty pour sa sortie en 2003. C’est un coup gagnant pour Activision, fondé en 1979 et pionnier dans l’édition de jeux vidéos. Le soft s’impose comme une réussite critique et commerciale, capitalise sur son aspect cinématographique en faisant des références nombreuses à des films de guerre par la gestuelle, la brutalité, le choc du combat, comme le flou après une explosion de Saving Private Ryan ou la campagne russe inspirée d’Enemy at the Gates (2001).

 

Tous les Call of Duty ont quelque chose en commun : la volonté de s’inspirer des films de guerre de toutes les périodes pour créer des campagnes solo cinématographiques. Le film Enemy at the Gates (2001) a fortement inspiré la campagne russe de Call of Duty, avec une charge à nu face à des mitrailleuses, et une histoire de sniper. De même qu’il inspirera Call of Duty 5 : World at War (2008) avec la scène de la fontaine. Les titres plus modernes s’inspireront plus des films de guerre contemporain.

 

Les trois campagnes emmènent ainsi le joueur à incarner un Américain parachuté, une unité spéciale de Britanniques sous le commandement d’un certain Captain Price, déjà présent, et une campagne légèrement plus violente, la campagne russe, fortement inspirée du film cité plus haut, et qui a marqué les esprits avec cette traversée de la Volga pour atteindre une rive où un soldat sur deux est armé pour charger les positions allemandes pendant que les commissaires politiques tirent sur les Russes qui souhaitent déserter. Quoi qu’il en soit, ces trois campagnes alternent entre assauts de base ou de positions, poursuites en voitures, défense d’un point névralgique, conduite de tanks, avec force cris, explosions et bruits d’armes à feu.

 

 

Le grand spectacle fait son effet pour le joueur, surtout qu’il est sans cesse entouré de collègues, qui servent d’appui-feu, aident à tenir des points, et sont d’une plus grande importance que dans les premiers Medal of Honor. Les armes sont épaulées pour plus de précision, on se couche ou on s’accroupit pour éviter les balles et mieux viser. Les sensations de jeu sont présentes avec les armes, les explosifs, les musiques orchestrales inspirées de la musique classique chère aux films de guerre et de Medal of Honor, les voix et les cris, et aussi la vie du joueur, qui descend à chaque dégât et qui nécessite de trouver sur le terrain des trousses de soin. L’intelligence artificielle des ennemis est appréciée : ils sont vulnérables à la suppression et tentent des prises de flanc. Le multijoueur, lui, permet de s’amuser jusqu’à 64 joueurs dans divers modes de jeu, inspirés de la production de la fin des années 90 avec la folie d’un Unreal Tounrnament ou d’un Quake III : Arena (1999) avec des modes de jeu iconiques comme le deathmatch ou le team deathmatch. Rien de révolutionnaire de ce côté-là. Mis bout à bout, ces éléments forment une expérience cohérente, cinématographique et prenante : la recette Call of Duty est née.

 

Les missions alternent entre fuite, attaque, défense, et sont suffisamment variées pour immerger le joueur dans le chaos de la Seconde Guerre mondiale, avec une petite touche d’héroïsme.

 

Le deuxième opus parait en 2005, et améliore le moteur graphique original d’id Software, le id Tech 3, utilisé pour le premier opus. On retrouve toujours trois campagnes, dont une autre version du débarquement en Normandie avec des Rangers attaquant la pointe du Hoc et des Britanniques en Afrique du Nord. C’est toujours aussi grand spectacle, l’IA est sensible aux grenades fumigènes, on peut relancer les grenades reçues, et le système de santé est modifié : désormais, les blessures qui ne vous ont pas tué sont soignées automatiquement en se mettant à l’abri un petit moment, désormais un classique de la série. Le mode multijoueur ne subit pas de changements majeurs, avec de petites cartes, l’abandon de certaines fonctionnalités de l’opus intermédiaire sur lequel nous allons revenir ci-dessous, mais rajoute une petite fonctionnalité qui fait encore le plaisir des fans de la série aujourd’hui : une petite croix apparait lorsqu’on touche un adversaire, avec un petit son, signal réceptif fournissant une récompense visuelle et sonore au joueur, contrairement à ce que proposent généralement les simulations de combat contemporain (voir mon dossier). Le succès est encore au rendez-vous, et avant même de lasser les fans, le studio prévoit une toute nouvelle période pour son opus de 2007.

 

Les campagnes du deuxième opus ne révolutionnent pas le genre. Au passage, je vous présente le Captain Price, héros de la campagne britannique du premier et du second opus, mais aussi de toute la saga Modern Warfare (même si aucun lien de parenté).

 

c) Le deuxième studio, Treyarch (2005-2008)

 

L’année après le premier opus, en 2004, le studio Gray Matter Interactive, qui a assuré le reboot de la série Wolfenstein avec Return to Castle Wolfenstein en 2001, est mandaté par Activision pour réaliser une expansion, Call of Duty : United Offensive (2004). Elle rajoute au jeu original trois campagnes, toujours aussi cinématographiques, et améliore le multijoueur substantiellement avec de nouveaux modes de jeu, des cartes plus grandes et surtout un système de progression en partie : plus vous éliminez des joueurs adversaires, plus vous prenez en galon et débloquez des compétences particulières comme à la fin demander une frappe d’artillerie. On peut par ailleurs dégoupiller une grenade et la garder en main pendant un certain temps (cook) ou encore sprinter ou utiliser des véhicules. Excepté pour la grenade, ces innovations ne se retrouveront malheureusement pas dans le mode multijoueur de Call of Duty 2.

 

 

Le studio est fusionné par la suite avec Treyarch, ancien responsables de Spiderman et Spiderman 2. Changement donc de registre avec Call of Duty 2 : Big Red One (2005) et Call of Duty 3 (2006), qui ont la particularité de ne sortir que sur consoles, et sur un moteur maison, le Treyarch NGL, lui aussi basé sur celui d’id Software. C’est les deux dernières fois où il sera utilisé, vu que le studio utilisera dès 2008 le moteur IW d’Infinity Ward. Quoi qu’il en soit, ces deux softs prolongent l’expérience créée par le studio originel, sans égaler le niveau technique des sorties sur PC. En 2008, ils reviennent à la charge, et sortent pour la dernière fois un jeu sur la Seconde Guerre mondiale, Call of Duty 5 : World at War. Le ton plus sombre, les couleurs ternes et la violence sont utilisées dans des campagnes toujours plus cinématographiques, avec cette fois des Japonais cachés dans les arbres et dans les hautes herbes, et des Soviétiques tour à tour victimes puis bourreaux, autour de la figure du sergent Resnov. Pour le multijoueur, comme nous allons le voir, il sera inspiré du quatrième opus, avec quelques ajustements structurels pour coïncider avec l’époque. Par ailleurs, un mode à succès apparait avec une lutte dans un manoir avec des zombies nazis, où il faut barricader portes et fenêtres, acheter de l’équipement, débloquer des pièces et résister aux vagues successives, qui sera la marque de fabrique des titres de Treyarch dans la série Black Ops (2010-2018) avant d’être repris par les autres studios.

 

II. Le tournant de la série

 

a) La guerre contemporaine d’Infinity Ward (2007-2011)

 

Pendant ce temps, Dreamworks Interactive, devenu EA Los Angeles, continue tant bien que mal la série Medal of Honor dont le dernier opus, Airborne, parait en 2007. Seulement, la Seconde Guerre mondiale n’est plus si attractive, comme le montre le succès de Battlefield 2 (2005) de l’autre série de FPS à succès d’Electronic Arts, et Infinity Ward change son fusil-mitrailleur d’épaule en investissant le monde contemporain en 2007, avec une sous-série à succès, Modern Warfare (2007-2011). Elle se rapproche de la réalité, avec un moteur graphique maison plus beau, et des musiques moins classiques et plus épiques, inspirées des productions hollywoodiennes, tant et si bien que ce sera Hans Zimmer qui composera l’opening titles de Modern Warfare 2 (2009). Comme d’habitude, la série pioche dans les films de guerre, cette fois contemporains, pour pondre des scènes mémorables et adapter les armements contemporains avec des recherches abouties près de vétérans, et utilisant des technologies comme le motion-capture pour rendre le tout plus réaliste.

 

 

Le ton aussi l’est, avec le début de certaines controverses sur le point de vue des campagnes, avec une représentation de la brutalité et un ancrage dans le monde contemporain troublant : exécution du président d’un pays fictif du Moyen-Orient à la télévision puis explosion d’une bombe atomique dans Call of Duty 4 : Modern Warfare (2007), ou encore un massacre de civils russes par un ultra-nationaliste pour précipiter la Troisième Guerre mondiale dans Call of Duty : Modern Warfare 2 (2009), le tout au service d’histoires dans la peau d’une unité d’élite britannique puis internationales, et de forces américaines, opposées systématiquement aux Russes ou à des forces officielles ou non de pays moyen-orientaux. Bien que le scénario soit plus proche de celui d’un film de guerre générique, avec des conspirations, des traitres et des manipulateurs qui souhaitent un conflit mondial, avec force vengeances dans le processus, la grande popularité de la série, notamment auprès des jeunes de moins de 18 ans malgré les recommandations en vigueur, peut poser question.

 

 

Malgré ces controverses, l’aventure est plus immersive que jamais, avec des missions dont les joueurs se rappelleront pour longtemps : l’attaque du navire en pleine tempête ou l’assassinat d’un terroriste dans les ruines de Tchernobyl pour le premier opus, l’invasion russe de la côte est et la fuite en motoneige dans le second, la bataille navale et la défense de Paris pour le dernier titre qui clôt la sous-série, Call of Duty : Modern Warfare 3 (2011). Les softs innovent peu : il s’agit toujours de remplir les objectifs en avançant et d’abattre les adversaires, malgré des phases plus particulières d’infiltration, de commandement d’un bombardier et d’autres outils bienvenus, et qui font alterner attaque, défense, fuite et j’en passe. Le film de guerre interactif qu’est devenue la série est à son sommet. Pour le multijoueur, le studio utilise enfin les innovations esquissées dans Call of Duty : United Offensive (2004) en proposant non pas seulement des rangs à passer dans une partie, mais dans l’ensemble des parties en général. La réalisation d’éliminations ou d’objectifs fournit ainsi au joueur de l’expérience, pour monter en niveau et avoir ainsi une progression satisfaisante où on débloque de nouvelles fonctionnalités : armes, perks ou compétences passives, killstreaks ou compétences actives employées lorsque le joueur réalise plusieurs éliminations à la suite, allant du drone de reconnaissance au bombardement tactique. Enfin, le joueur paramètre ses classes, combinant armes, grenades, perks, killstreaks. Pourtant, sur PC, fini les batailles de 32 contre 32 et les serveurs dédiés à partir de Call of Duty : Modern Warfare 2 (2009). Par ailleurs, la série commence à inclure des packs de cartes de plus en plus souvent, avec notamment la mise en place du système premium Call of Duty Elite (2011-2014) où le joueur a des fonctionnalités particulières et un accès au contenu additionnel en payant un abonnement. Ces « innovations » du marketing braquent une partie des joueurs, mais est relativement partagée par les grandes licences du jeu vidéo.

 

 

Malgré donc le succès de la série, les innovations, les modes de jeu, les cartes, les armes, la mise en place d’accessoires à choisir pour ces armes, la diversification des perks et killstreaks, et des modes de jeu en coopération (Spec Ops), des différends se sont fait jour entre la tête d’Infinity Ward et Activision. Les deux fondateurs du studio, Jason West et Vince Zampella, après avoir quitté le giron d’Electronic Arts et de 2015, Inc., sont licenciés, et emportent avec eux une partie de l’équipe avant la sortie de Modern Warfare 3, pour revenir auprès du concurrent, Electronic Arts, en fondant le studio Respawn Entertainment qui développera Titanfall (2014-2016), Apex Legends ou encore Star Wars Jedi : Fallen Order (2019). Pour finir le développement du titre, Activision ramène Sledgehammer Games, fondé par deux anciens de Visceral Games qui étaient responsables de Dead Space (2008), ainsi que Raven Software, à qui l’on doit Jedi Outcast (2002) et Jedi Academy (2003) de la série Star Wars : Jedi Knight, et qui avaient aidé Treyarch pour le Black Ops de 2010. Tout ce petit monde a donc eu un impact certain sur la production future de la série : Sledgehammer Games finit par réaliser deux titres à part entière, tandis que Raven Software s’occupera des versions remasterisées de Modern Warfare et d’assistant aux trois studios.

 

 

b) La Guerre Froide et futuriste de Treyarch (2010-2015)

 

Treyarch tire un trait sur la Seconde Guerre mondiale après son World at War de 2008, et va amorcer un virage créatif pour tâcher de renouveler l’expérience Call of Duty, en adaptant un mélange entre Guerre Froide et guerre futuriste : la sous-série Black Ops est née, avec Call of Duty : Black Ops (2010), Black Ops II (2012) et Black Ops III (2015). Les scénarios s’inspirent une nouvelle fois des films de guerre, sauf qu’à partir des deuxième et troisième opus le virage futuriste est pris, en commençant par nous lancer dans les années 2020, où des augmentations et des machines de haute technologie vous assistent pour aller au bout des scénarios dans lesquels des choix, quoiqu’artificiels, sont à faire, le tout avec des déplacements de plus en plus dynamiques. Quant au multijoueur, il reste relativement classique, et inclut aussi le fameux mode zombie qui étend peu à peu son univers, dans des cartes toujours plus vastes, qui finissent par perdre le néophyte dans son avalanche de contenus. La licence Black Ops s’est extrêmement bien vendue, faisant de Treyarch non plus simplement le second couteau de la série mais un acteur à part entière de la franchise.

 

 

c) Les revers de la série (2013-2018)

 

Depuis la fin de la sous-série Modern Warfare et l’arrivée de Black Ops sur le marché, la franchise a pourtant stagné créativement, en dépit de sa réussite commerciale, peinant à renouveler ses sensations de jeu, ses campagnes partant parfois trop dans le narratif au détriment des grandes scènes de bataille, avec un moteur graphique jugé vieillissant et la concurrence devenant acharnée avec la série Battlefield développée par DICE et éditée par Electronic Arts. Ceux-ci livrent en effet après leur série Battlefield : Bad Company (2008-2010), qui permet de grandes batailles multijoueur et un moteur permettant la destruction du décor (Frostbite), Battlefield 3 (2011) puis Battlefield 4 (2013). Les deux softs délivrent des cartes plus grandes, plus ouvertes, des modes multijoueurs massifs à 32 vs 32, et une pelletée de contenus additionnels pour rentrer en compétition avec leurs rivaux affichés. Si les ventes commerciales n’ont pas suivies autant que pour celles de la série d’Activision, la présence de la série d’Electronic Arts comme concurrente a permis d’élaborer des critiques sur le moteur vieillissant de la série et sur son gameplay se renouvelant peu.

 

 

Par ailleurs, les productions décontenancent les fans de la série, et malgré les bonnes ventes, les notes critiques sont légèrement plus salées, moins de la presse que des joueurs. Pour Infinity Ward, après le succès de leur sous-série Modern Warfare, ils semblent se chercher. Ils amorcent une sous-série avec Call of Duty : Ghosts (2013) qui, à l’image d’un Black Ops II, transforme le scénario pour quelque chose de plus narratif et de moins épique, se focalisant sur une unité d’élite dans un futur hypothétique où les méchants sont en Amérique Latine et où les Etats-Unis sont en ruine. L’accueil critique mitigé empêchera le studio d’écrire la suite de l’histoire des protagonistes de l’aventure principale, malgré une poignée d’innovations dans le titre, notamment un mode coopération contre des extraterrestres. En 2016, les cartes sont d’autant plus brouillées que deux opus sortent la même année : un remaster du premier Modern Warfare de 2007 développé par Raven Software, qui rappelons-le aide les trois studios principaux sur toutes les itérations de Call of Duty, et le passage d’Infinity Ward dans le futur à la suite de Black Ops II (2012) de Treyarch et de Call of Duty : Advanced Warfare (2014) de Sledgehammer Games avec Call of Duty : Infinite Warfare. Le trailer d’annonce du jeu a été une des vidéos les plus mal notées de la plateforme YouTube, annonçant déjà la bombe critique qui se profilait. L’histoire lance les protagonistes en pleine science-fiction, avec pourtant des innovations bienvenues : une plus grande liberté, des armures spéciales, des tonnes de nouvelles armes, un enrobage graphique excellent, et un mode zombie inspiré de Treyarch, avec malgré tout un multijoueur plus générique. Ce virage soudain décontenance une partie des joueurs, et le soft se vend relativement moins bien, poussant Infinity Ward à retourner une nouvelle fois à la planche à dessins.

 

 

Treyarch n’est pas en reste, avec un Black Ops IIII (2018) construit, sous la pression, sans campagne solo, alors qu’elle était initialement prévue comme un mode 2 v 2 intriguant, intégrant uniquement un mode multijoueur et surfant sur la mode du battle royale popularisé par PUBG (2016) et Fortnite (2017). C’était la première fois qu’un Call of Duty se présentait sans campagne, et malgré le fait que les solos restent des films de guerre au scénario pas toujours très approfondi se finissant en une poignée d’heures, la nouvelle de cette absence a beaucoup fait s’interroger la critique comme les joueurs, nous posant la question suivante : qu’est-ce qui fait un Call of Duty ? Si l’on se retourne sur les grands titres de la série, on voit en effet des scènes d’actions scriptées spectaculaires en solo, et un mode multijoueur de plus en plus compétitif.

 

 

III. Le retour de la série ?

 

Les années 2010 ont été des années de réussite commerciale, mais la critique a commencé à se sentir lassée des itérations annuelles. Malgré les changements sur les modes de déplacement de Black Ops, sur les aventures de la Guerre Froide et futuristes, et des modes multijoueurs alternatifs, un besoin de renouveau s’est fait sentir. Celui-ci est peut-être arrivé, avec l’irruption à la manœuvre d’un nouveau studio de développement, Sledghammer Games, qui a relancé en même temps que la concurrence la Seconde Guerre mondiale, et surtout le dernier Modern Warfare d’Infinity Ward, qui a semble-t-il enfin rebattu les cartes de la série pour proposer une expérience plus fournie, qui pose néanmoins question.

 

a) L’aventure de Sledgehammer Games (2014-2017)

 

La participation de Sledgehammer Games à l’élaboration de Modern Warfare 3 leur a donné la possibilité d’élaborer à leur tour leur vision. Deux ans avant l’Infinite Warfare d’Infinity Ward, et surtout un an après le Call of Duty : Ghosts (2013) mal-aimé, le studio sort Call of Duty : Advanced Warfare (2014). Il renouvelle à la fois les graphismes et l’expérience de jeu, emmènent le joueur dans le futur, avec des exosquelettes qui transforment la palette de mouvement du soldat, et qui sont améliorés aussi bien dans la campagne solo que dans le multijoueur, et reprend des modes de coopération contre des soldats ennemis et des zombies. Le soft est ainsi plutôt apprécié.

 

 

En 2017, on reprend le Garand M1 du début de la série avec Call of Duty : World War II, à une époque où les concurrents de Dice et Electronic Arts reviennent aussi aux guerres mondiales avec Battlefield 1 (2016) pour la Première Guerre mondiale et Battlefield V (2018) pour la Seconde (ne me posez pas des questions sur les chiffrages). La campagne solo repose autour d’une escouade qui vous passe des munitions ou de la santé, et le multijoueur reste un peu plus classique, avec quelques modes de jeu intéressants dont les opérations, qui permettent d’avancer petit à petit sur une plage du débarquement ou d’infiltrer un espace adverse, avec deux équipes aux objectifs opposés. La remise au goût du jour du fameux débarquement en Normandie en multijoueur comme dans la campagne illustre la volonté de refonder la série. A ce titre, Sledgehammer Games a eu un certain succès.

 

 

b) Le reboot (politique ?) de Modern Warfare

 

Infinity Ward, enfin, a réagi près de huit ans après le dernier opus de la sous-série Modern Warfare, mais sans prendre de risques, avec un reboot de cette même sous-série intitulée sobrement Call of Duty : Modern Warfare. La campagne solo est extrêmement immersive, parfois trop, et remet le Captain Price sur le devant de la scène, en refondant l’histoire de l’univers Modern Warfare. Les thèmes y sont particulièrement crus : sans révéler l’intrigue, plutôt convenue, on retrouve une simulation d’attaque terroriste à Londres, une prise d’assaut de maisons où se côtoient civils et terroristes impliquant de faire attention à ses coups de feu, un massacre dans une ambassade américaine, une attaque chimique vécue du point de vue d’un enfant puis d’un soldat, des assauts de rebelles contre des forces étatiques en l’occurrence les Russes, des scènes de torture, et un ton que je qualifierai proprement de borderline, avec un Captain Price certes au top de sa forme dans l’illégalité de l’usage de la force armée en participant à des opérations sous le seuil (voir mon article sur la guerre hybride), et qui justifie son usage de la torture par le fait de recueillir des informations importantes pour lutter contre le terrorisme. Ce ton, moins problématique pour des adultes avertis, est particulièrement compliqué à justifier auprès des plus jeunes, d’autant qu’il contraste avec la décomplexion du multijoueur, toujours aussi nerveux dans ses sensations de jeu.

 

 

Par ailleurs, si le studio Infinity Ward s’ingénie à dire qu’il refuse de faire de la politique malgré le réalisme criant de son opus, leur soft pose surtout des questions idéologiques, sur les normes et valeurs qui y sont transmises. On comprend bien que les jeux de tir à la première personne se déroulant dans le monde contemporain (Arma, Squad, Insurgency : Sandstorm) peuvent opposer les joueurs dans des camps de rebelles, des camps étatiques, en Europe comme au Moyen-Orient. Mais contrairement à ces softs cités, ce Call of Duty en fait une campagne narrative, qui fait la part belle aux luttes de rebelles dans un pays moyen-oriental, certes fictif, mais où les Russes pratiquent nombre de crimes de guerre, sur fond d’attaques chimiques, et où le joueur lutte avec des services secrets qui justifient la torture pour lutter contre le terrorisme. Avouons que le parallèle avec les situations conflictuelles les plus récentes est frappant, et que le ton est quelque peu problématique. D’ailleurs, les autorités russes ont simplement interdits d’acheter le titre sur leur territoire.

 

 

Malgré tout, la campagne solo est une des plus immersives que j’ai pu connaitre pour un Call of Duty. Ensuite, les sensations de jeu se sont un peu affermies : il faut encore courir comme un dératé en mulitjoueur et utiliser rapidement ses armes, mais le tout apparait plus posé. Les déplacements sont plus lents, et on tombe très rapidement sous les balles. Les sensations avec les armes sont très bonnes. Par ailleurs, la personnalisation est poussée : de nombreuses armes accompagnées d’une pelletée d’accessoires, des perks, des killstreaks, des compétences actives à employer sur le terrain, et des missions à réaliser en utilisant en multijoueur des personnages issues de la campagne. Les modes de jeu nombreux côtoient les missions en coopération et un mode en 32 vs 32 sur de grandes cartes permettant d’utiliser des véhicules, bien que plutôt déséquilibré avec du crossplay console / PC et des joueurs plus aguerris qui ont un armement capable de cibler un joueur à 500 mètres sans difficulté. Enfin, l’ajout récent du battle royale, certes gratuit, Warzone, donne de l’aplomb au titre, d’autant que celui-ci est particulièrement réussi, avec une bonne accessibilité et une moins grande frustration : facilité de récupérer armes et équipements, une seconde chance, des missions à réaliser en jeu, la possibilité de convoquer des perks et des killstreaks. L’enrobage graphique est d’ailleurs d’excellente facture. Infinity Ward a semble-t-il réalisé le bon mouvement pour revenir dans la lignée de leur série à succès, mais reste à voir ce qu’ils vont en faire par la suite.

 

Conclusion

 

La série Call of Duty, après avoir représenté le sommet du FPS grand spectacle entre 2003 et 2012, a fini par baisser en qualité, la faute à une annualisation de la franchise qui ne permet pas toujours de faire suffisamment évoluer la série entre chaque itération. Les ventes sont malgré tout toujours restées au sommet, montrant qu’Infinity Ward, Treyarch et maintenant Sledgehammer Games ont bel et bien trouvé un public réceptif à chaque nouvelle sortie, bien plus que leurs concurrents d’Electronic Arts. Le renouveau de la série est venu finalement du troisième studio à rentrer dans la danse, Sledgehammer Games, mais aussi du tout dernier Modern Warfare d’Infinity Ward, qui s’il ne réinvente pas la poudre, fournit une expérience décente et appréciée des joueurs comme de la critique après deux opus en-deçà des attentes, malgré le ton particulier. Sur cette base qui semble renouvelée, et qui ne fait pas oublier l’échec de Black Ops IIII de 2018, on peut légitimement se poser la question de la pertinence de l’annualité de la franchise, qui comme l’a prouvé Assassin’s Creed, peut être factrice de répétition et de perte d’intérêt. Mais au vu des résultats financiers annuels de la franchise, de la présence de quatre studios, des versions remasterisées du Modern Warfare de 2007 en 2016 et du Modern Warfare 2 de 2009 en 2020, ainsi que de  l’émergence d’un mode battle royale free-to-play qui vient concurrencer la triade Fortnite (Epic Games / Tencent), PUBG (PUBG Corporation / Krafton Inc.) et Apex Legends (Respawn Entertainment / Electronic Arts), on peut décemment imaginer que la fin de cette annualité n’est pas pour demain.

 

Liste des jeux vidéos du site.

 

La série Call of Duty :

 

Liste des FPS :

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