FPS et RPG, les débuts du looter-shooter – Borderlands (2009)

En 1999, Gearbox Software a commencé son histoire en travaillant sur le jeu de tir à la première personne de Valve, Half-Life (1999), pour proposer diverses extensions. Après être entré dans le monde du FPS mi-arcade mi-tactique historique avec la série Brothers in Arms qui parle de la guerre d’un ton très sérieux, ils changent leur fusil d’épaule et publient rien de moins qu’un shooter décomplexé, dans un monde post-apocalyptique avec des graphismes cartoon en cell-shading, en mêlant la brutalité d’un FPS avec celle d’un Action-RPG à la Diablo en incluant de nombreux trésors à récupérer, des niveaux à prendre, et plein de textes de dégâts s’affichant à l’écran. Retournons donc sur cette étrange synthèse qui a vu l’émergence d’un sous-genre du shooter, le looter-shooter ou schlooter, qui fait aujourd’hui des émules, notamment autour de la série Destiny. Pour cette rétrospective, j’ai joué à la version remastered parue en 2019 pour les 10 ans du soft, appelée Game of the Year Enhanced Edition, et publiée par Blind Squirrel Games.

 

 

Histoire de Gearbox

 

Le FPS de Valve Half-Life (1998) a eu un succès critique et commercial indéniable, qui a entrainé le besoin de réaliser des contenus additionnels. C’est là que Gearbox Software intervient. On oublie le docteur Freeman et sa fuite effrénée du laboratoire de Black Mesa pour se retrouver avec les Marines dans Opposing Force (1999) ou dans les bottes d’un officier de sécurité dans Blue Shift (2001). Les Américains réalisent en outre divers ports de jeux, dont celui du premier Halo : Combat Evolved. Pendant que les FPS sur la Seconde Guerre mondiale battent leur plein avec Medal of Honor (1999), Battlefield 1942 (2002) et Call of Duty (2003), Gearbox investit le champ avec un FPS plus tactique que ses pairs, Brothers in Arms : Road to Hill 30 (2005), puisqu’il vous faudra mener vos escouades au combat, avec de l’appui-feu et de l’élimination d’adversaires, avec un ton extrêmement sérieux. Outre les multiples softs développés sur consoles portables ou sur téléphones, Earned in Blood (2005) et Hell’s Highway (2008) continuent sur cette lancée.

 

Délaissant Ubisoft pour 2K Games, Gearbox travaille alors sur un FPS dont l’objectif est de mêler l’univers post-apocalyptique de Mad Max avec le loot d’un action-RPG à la Diablo. Le projet est ambitieux, d’autant qu’à l’époque, le FPS est en train d’aller dans diverses directions : en 2007, on va ainsi de la guerre moderne de Call of Duty 4 : Modern Warfare, à la guerre futuriste avec Halo 3 et les Halo-like, en passant par la radioactivité d’un STALKER : Shadow of Chernobyl. C’est d’ailleurs à cette époque que parait un jeu qui est largement passé sous les radars, Hellgate : London de Flagship Studios. Cet action-RPG en vue troisième personne et son univers riche permet au joueur de contrôler diverses classes, dont certaines peuvent être jouées à la première personne, avec moult compétences à acquérir et niveaux à monter, une première pierre perdue dans le genre du shooter-looter. Au départ, Borderlands a une palette de couleurs sombre, plus réaliste, mais le côté déluré et fun pousse l’équipe à modifier encore sa version de l’Unreal Engine 3 pour donner un rendu dit en cell-shading, à l’époque très peu utilisé dans le FPS à l’exception de jeux comme XIII (2003). Ce rendu non photoréaliste permet en gros de donner un aspect cartoon avec une palette de couleurs réduites et des contours marqués, popularisé par Jet Set Radio (2000).

 

Ouvrir la boite de Pandora

 

Depuis 2005 donc, les développeurs voulaient mêler Halo et Diablo, dans un shooter jeu de rôles, qu’on appelle depuis shooter-looter, et le résultat de cette synthèse est une réussite colorée, brutale et commerciale. Le style artistique déluré permis par le cell-shading, le design des ennemis, des Skags aux bandits masqués en passant par les grosses brutes en armure et les petits robots claptraps, rend le trip sur la planète Pandora original, avec une musique énervée qui coche toutes les cases du post-apocalyptique avec ses guitares électriques, mais aussi les sons et les voix des ennemis qui vous maudissent ou hurlent de douleur quand ils sont électrocutés, brûlés et j’en passe. Le jeu se laisse également aller à la violence avec du sang et des têtes qui explosent, mais le style cartoon rend l’expérience euphorique, d’autant que rien ni personne ne se prend au sérieux : les robots font du breakdance, les habitants de ce monde sont timbrés, les journaux intimes de Tannis sont bourrés de pétage de câbles, le boss de fin n’est pas celui qu’on pense, et l’humour est assez subtilement emmené dans ce monde.

 

Malgré un décor poussiéreux post-apocalyptique avec de grands déserts et des restes d’habitations, qui se ressemble un peu trop le long de l’aventure, on se retrouve dans son buggie qu’un Halo ne renierait pas pour aller d’une zone à une autre pour remplir les objectifs fournis par les donneurs de quêtes avec leurs missions principales et secondaires, pour recevoir argent, équipement et expérience. Vous êtes en effet un Vault Hunter, une sorte de chasseur de primes à la recherche d’artefacts. Vous choisissez en début d’aventure un des quatre personnages, qui diffèrent essentiellement par leur compétence unique d’action et surtout leur arbre de compétences qu’ils remplissent au fur et à mesure en passant des niveaux : on aura ainsi Brick et sa rage Berserk, Lilith et ses pouvoirs mêlant invisibilité et choc élémentaire, le sniper Mordecai et son fidèle oiseau et le soldat Roland et sa tourelle. C’est donc dans une ambiance très décomplexée qu’on écume le monde, en tuant en gros à peu près tout ce qui bouge pour remplir nos quêtes. L’expérience permet d’accumuler des compétences, qui permettent par exemple pour Lilith de mettre les ennemis alentours en feu dès qu’elle en tue un, et l’argent et le loot fournissent les armes avec de un à quatre slots ouverts pour accueillir un arsenal de guerre, le slot pour le bouclier, celui pour les grenades et enfin pour la classe.

 

Vente d’armes

 

Pendant que vous passez les niveaux et que vous finissez l’aventure principale en 16 heures, vous découvrez sans cesse dans des coffres, sur le cadavre d’adversaires, en récompense de quêtes ou dans des boutiques de nouvelles armes. Celles-ci sont générées procéduralement avec tout un tas de traits, allant des dégâts bruts à la vitesse de rechargement, en passant par les effets d’armes comme des dégâts de feu qui brûleront la chair, d’électricité qui feront du mal aux boucliers adversaires, corrosifs ou explosifs et j’en passe. On retrouve le code couleur des items que ne renierait pas un Diablo pour déterminer les items génériques blancs des items légendaires oranges. Le jeu peut ainsi générer plusieurs millions d’armes différentes, réunies en grandes familles comme fusils d’assauts, SMG, revolvers, lance-roquettes, fusil de sniper, etc. Chaque arme de chaque catégorie se manie ainsi de la même façon, si ce n’est au niveau du nombre de cartouches qui part par rafales, de la taille du magazine ou de tous les autres effets et traits dont j’ai parlé. C’est ce loot qui donne le sel à l’aventure, pour récupérer des armes de plus en plus puissantes.

 

Car il va falloir se battre. Comme dans un Diablo, chaque zone est peuplé d’un tas d’ennemis à massacrer par paquets de dix. Les sensations d’armes sont plutôt bonnes, on sent l’impact des balles, mais surtout, loin de la petite croix d’un Call of Duty qui montre qu’on a touché un adversaire en multijoueur, on a plein d’indicateurs visuels : quand on tire sur un adversaire, on voit sa vie et son bouclier sur sa tête, les chiffres des dégâts qu’on lui fait, et on peut ainsi déterminer si on en fait suffisamment ou s’il faut changer d’armes. Les coups critiques sont débloqués quand vous visez des parties sensibles, avec de grandes indications pour vous l’indiquer. Tous ces petits tweaks visuels rendent l’expérience particulièrement addictive.

 

Répète je te dis

 

Si le côté euphorique, brutal et drôle de l’expérience de jeu est permis par son loot et son gameplay, le principal défaut du jeu reste sa répétition ad nauseam des mêmes environnements et ennemis au long de l’aventure, ainsi que ses quêtes très génériques : récupérer des morceaux d’armes, tuer tel mob, aller à tel endroit, on passe sa vie à faire des allers-retours en bagnole pour rejoindre les bonnes zones, jusqu’à débloquer les voyages rapides. On retrouve ainsi une poignée de grandes zones, qui donnent accès à des sortes de donjons où l’on réalise un certain nombre de quêtes. Mais là aussi, les décors se ressemblent énormément tout au long de l’aventure, avec à peine quelques variations. Au bout de 16 heures de jeu, on a ainsi largement fait le tour de l’aventure. Je note aussi quelques passages de grind : lorsque les ennemis ont deux niveaux de plus et qu’on a pas les bonnes armes, le jeu est affreusement dur et n’a pas grand intérêt. Les personnages restent peu expressifs et l’histoire est plutôt basique, à base de Vault s’ouvrant tous les 200 ans et attirant la convoitise de nombreux bandits.

 

Pour sortir de la répétition infernale du gameplay et du décor, quatre DLC fournissent un peu plus de grain à moudre entre 2009 et 2010, avec des ennemis qui se scalent sur votre niveau et à peu près deux heures de contenu à chaque fois : The Zombie Island of Dr Ned emmène au milieu de zombies et de sombres forêts ou cimetières, ce qui tranche bien avec le reste de l’aventure ; Mad Moxxi’s Underdome Riot veut nous faire nous battre contre des vagues d’ennemis ; The Secret Armory of General Knoxx  propose une aventure plus classique ; et enfin, Claptrap’s New Robot Revolution propose la révolution des robots drôles qui se jettent sur vous avec des coiffures fantaisistes, et qui piratent tout l’environnement. Clairement, ces DLC donnent plus de variété au gameplay. Enfin, il faut tout de même préciser que je n’ai testé qu’une classe sur les quatre, Lilith, pour son côté plus dynamique. Les autres classes pourraient changer en partie mon style de jeu, mais sont surtout là pour assurer une bonne coopération, puisque l’aventure se fait jusqu’à 4, ce qui permet généralement de relativiser la répétitivité, qui reste malgré tout bien là.

 

Conclusion

 

En tout état de cause, Borderlands est un jeu fun. Bourré d’humour plus ou moins subtil, il regorge d’une violence cathartique colorée, qui marie très bien le dynamisme d’un shooter avec moult armes et capacités spéciales, avec le loot et les vagues d’ennemis d’un action-RPG, dans un monde post-apocalyptique à la Mad Max, avec quelques additions permises par les DLC. Néanmoins, l’extrême répétitivité des environnements, des ennemis, des situations et des quêtes, ainsi que l’abondance de loot qui fait qu’on laisse les ¾ des armes par terre face à notre inventaire limité, refroidissent un peu le joueur solo. La coopération est pour le coup un outil indispensable pour tracer le jeu. On note également quelques soucis, comme le fait d’avoir du mal à comparer les armes trouvées avec celles qu’on a en main. Je note donc ce jeu Folie furieuse sur balle incendiaire dans la tête.

 

En deux ans, le jeu s’est vendu à près de 4,5 millions d’exemplaires, un succès certain qui a servi à populariser définitivement le genre addictif du looter-shooter, avec de l’action non-stop au service d’une évolution de personnage et d’équipement… En 2012, Borderlands 2 améliore le système de jeu et l’univers, suivi par The Pre-Sequel (2014) : avec ces trois opus, la série s’est vendue en 2019 à pas moins de 45 millions d’exemplaires, dont 22 pour le seul deuxième opus. Borderlands 3 (2019) se décide à péter le record de vente avec 5 millions de copies vendues en cinq jours et 15 millions de copies vendues en trois ans. Depuis, Borderlands a eu son adaptation en jeu d’aventure avec Tales from the Borderlands de Telltale, le récent Tiny Tina’s Wonderlands (2022) qui s’inspire de la fausse partie de jeu de rôle du DLC de Borderlands 2 de Tiny Tina, et même un futur film. A partir des années 2010, le genre du looter-shooter a d’ailleurs continué de s’étendre, avec notamment la série Destiny (2014) de Bungie, ou encore les séries en vue troisième personne Tom Clancy’s The Division (2016) de Massive Entertainment et le free-to-play Warframe (2013) de Digital Extremes. Looter des armes n’a ainsi jamais été aussi fun… tant que ça reste dans un jeu vidéo.

 

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