Syndrome de l’imposteur – Among Us (2018)

Dans mon article sur les jeux vidéos, j’ai évoqué en substance l’irruption de nouveaux acteurs. Parmi ceux-ci, outre les journalistes, les esportifs et les joueurs, j’ai omis de mentionner ce qu’on appelle communément vidéastes, streamers ou influenceurs. Ces personnalités, plus ou moins connues, s’expriment aussi bien en leur nom que pour des marques, et font partie ou non de différentes entreprises (Webedia) ou collectifs (RedBox). Elles peuvent jouer un rôle moteur dans la mise en valeur de certains softs. Le succès d’Among Us, deux ans après une sortie discrète, en est le témoin direct : il est passé en tête des ventes sur Steam en septembre 2020 et totalisait le même mois 85 millions de téléchargement sur mobile en version gratuite.

 

I. L’homme est un loup pour l’homme

 

Les trois Américains d’Innersloth sont responsables de ce soft, souvent présenté comme une redite spatiale du jeu de société les Loups Garous de Thiercelieux (2001), qui adaptait déjà Mafia (1986) et Werewolf (1997), en plus simple : quatre à dix spationautes se retrouvent sur une des trois cartes du jeu, deux vaisseaux spatiaux et une base. Un à trois joueurs incarnent des imposteurs : leur objectif est de tuer les équipiers. Ils peuvent pour ce faire passer par des souterrains, les vent, pour se déplacer plus rapidement, ou saboter des parties du vaisseau : les lumières, les communications, ou encore des parties plus sensibles qui nécessitent d’être réparées au plus vite avant destruction. De l’autre côté, les joueurs normaux, appelés équipiers ou crewmates, doivent se rendre aux quatre coins du vaisseau ou de la base pour remplir une série de tâches contextuelles, qui font avancer une barre de progression générale.

 

Un exemple de tâche, ici de destruction d’astéroides. Il faudra aussi télécharger des données, passer un badge, placer des formes aux bons endroits. Les tâches sont assez intuitives, mais deviennent au fil des parties assez répétitives. Il est à noter que lorsque vous mourrez en tant qu’équipier, vous pouvez et devez finir vos quêtes, vous poussant à continuer d’être actif pendant un temps.

 

Les actions de tous les joueurs sont suspendues au moment des réunions collectives, qui se lancent pour deux raisons : un joueur clique sur un cadavre trouvé sur le terrain, ou un joueur décide de faire une réunion d’urgence à l’aide d’un bouton situé dans la salle principale de la carte. A ce moment-là, les joueurs ont un certain nombre de secondes pour discuter, et voter ou non pour l’élimination d’un d’entre eux à l’aide de votes. Pour gagner la partie, les équipiers doivent finir toutes leurs tâches, qu’ils soient vivants ou morts, ou alors arriver à éliminer au moment des votes tous les imposteurs. A l’inverse, si les sabotages critiques ne sont pas désamorcés, ou si un nombre suffisant d’équipiers est éliminé, les imposteurs gagnent.

 

Le plan du vaisseau. Les points jaunes indiquent les endroits de vos tâches à réaliser pour compléter la barre et faire gagner les équipiers.

 

II. L’art de la rhétorique

 

Tout l’intérêt du jeu repose ainsi sur la communication, à la fois verbale et non verbale : c’est ce qui rend le soft non seulement plaisant à jouer, mais aussi à regarder, d’où cet engouement provoqué par les groupes de streamers qui ont contribué à remettre au goût du jour un jeu de deux ans d’âge. Pour la communication non verbale, elle consiste en jeu à ne pas avoir l’air trop suspect. Les imposteurs, en plus de faire leurs actions d’assassinat et de destruction, vont pouvoir faire semblant de remplir certaines tâches avec d’autres équipiers pour gagner leur confiance, et tâcher de frapper au bon moment, quitte à rendre la position d’un équipier plus suspecte que la sienne propre ! Les équipiers jouent un jeu plus dangereux : ils doivent à raison se méfier de tout le monde, faire leurs quêtes si possible en groupe ou le plus rapidement possible, et ne pas avoir l’air suspect pour rien.

 

Le nom en rouge quand vous êtes imposteurs ne peut être vu que de vos collègues assassins. Le soft vous aide en vous donnant un exemple de tâches à simuler. Le bouton kill est soumis à un cooldown, une durée durant laquelle il n’est pas disponible, vous poussant à planifier soigneusement vos actes malveillants. Vous pouvez également saboter des parties du vaisseau pour attirer une partie des équipiers, couper le courant pour que ces derniers n’y voient plus rien, ou passer par les vent ou conduits.

 

Toute cette communication non verbale se retrouvera ensuite utilisée au moment des réunions collectives pour alimenter la communication elle bien verbale : c’est le moment où les joueurs mettront à l’écrit si vous jouez en ligne avec des inconnus, ou bien mieux déclareront à l’oral si vous jouez avec des amis sur Discord (et autres), leurs pensées sur les actions des uns et des autres. Dans cette partie du jeu, les imposteurs doivent arriver à la fois à faire profil bas, à rebondir sur les suspicions des autres, voire à faire accuser des équipiers innocents, tandis que les innocents auront la lourde tâche d’essayer de déterminer à l’aide d’indices épars qui doit être éliminé. Les capacités à mentir, bluffer, analyser, persuader ou convaincre seront mises à rude épreuve, et c’est cet espace de jeu qui constitue l’essentiel du sel du soft, qui privilégie les mécaniques sociales aux mécaniques de gameplay.

 

Certains éléments contextuels permettent de jouer à l’apprenti enquêteur (ou assassin en fonction de votre rôle), ici avec les caméras. On retrouve également des détecteurs de signes vitaux ou encore des logs d’entrée et sortie.

 

Conclusion

 

Among Us fait ainsi partie de ces jeux captivants pour les joueurs ou les viewers, où aucune partie ne se ressemble et où tout le monde peut être tour à tour innocent et coupable. Le jeu se paye le luxe d’être très peu onéreux (moins de cinq euros), d’avoir une atmosphère angoissante, des graphismes cartoon sympathiques, et des mini-jeux assez drôles, quoique répétitifs. Finalement, le regain d’intérêt peut servir aux trois développeurs pour se concentrer sur l’amélioration des mécaniques : plus de cartes, plus de mini-jeux, voire plus de rôles à prendre. Par ailleurs, j’ai l’impression que cette mise en avant du côté communication permet aussi, en période de confinement, de capter un nouveau public, moins intéressé de prime abord par les jeux vidéos, afin de découvrir une autre face d’un loisir aussi massif.

 

Liste des jeux vidéos du site.

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