Actualité, objets et enjeux de la défense (Compte-Rendu)

Dans cette série intitulée « compte-rendu », je cherche à synthétiser avec plus ou moins de bonheur des ouvrages historiques, des conférences, ou que sais-je encore. Dans ce premier épisode, ce sera une conférence se tenant dans le cadre des Rendez-Vous de l’Histoire à Blois de 2013 dont le thème était purement et simplement « La Guerre ». Après les récents événements de l’année 2015, il y a plus à dire sur la question de la défense, mais je pense que cela reste une bonne base de réflexion, portée par trois historiens français de la guerre et un général. On trouve la partie 1 et la partie 2 de cette conférence en ligne. Si cela vous intéresse, je ne vous priverai pas de ce plaisir.

 

Introduction : la question de la frontière et de la défense, M. Lecoq

 

a) Introduire le propos

 

La question qui se pose dans ce débat, c’est la question de l’enseignement de la défense à l’ère d’aujourd’hui sous le spectre de la frontière. Le premier intervenant montre qu’au fil des Livres Blancs liés aux questions de la défense, on est passé du terme de « Défense Nationale » en 1994, à celui de « Défense » en 2008, pour finalement parler « de la Défense et de la Sécurité Nationale » en 2013. C’est l’évolution des frontières qui intéresse les intervenants, ou comment passer d’une défense des frontières bien terrestres à une défense sur mer, à l’usage des renseignements et à la mise en place des fameuses OPEX, soit « opérations extérieures ».

 

b) L’évolution de la frontière

 

M. Lecoq revient d’abord sur la conception moderniste de la frontière, avec le « pré carré » de Louis XIV, et le travail de l’infatigable Vauban entre 1690 et 1700. Il faut défendre la frontière, la protéger, et empêcher ainsi l’arrivée de l’ennemi sur le sol royal. Au XIXe siècle, la construction des forts de défense aux frontières indique la volonté de dépasser la défaite de 1870-1871 face aux Prussiens, et qui coûta l’Alsace-Moselle. L’exemple qui est cité est celui du Général Séré de Rivières, qui a donné son nom au système de défense français de l’époque, disant sur son lit de mort en 1895 « La frontière, la frontière ! ». Cette focalisation sur la frontière terrestre donnera la Ligne Maginot, qui eut les résultats que l’on sait lors de la Seconde Guerre Mondiale.

 

c) L’évolution de la défense

 

Depuis la fin de la Guerre Froide, la sécurité intérieure se rapproche de la sécurité extérieure, et cette même «sécurité » prend le pas sur la notion de « défense ». Les Livres Blancs deviennent de plus en plus fréquents : 1972, 1994, 2008 et 2013, comme nous l’avons dit auparavant. Dans la pensée d’un De Gaulle, le rapport à la frontière est encore très marqué, mais la fin de la Guerre Froide en 1991 change beaucoup de choses. La défense a évolué, depuis la dissuasion nucléaire jusqu’à nos jours. Les nombreuses interventions extérieures depuis la fin de la Guerre Froide, plus d’une centaine selon le général invité, montrent la force de projection française à l’œuvre, dans le Golfe, dans les Balkans, en Afrique. La défense des frontières devient une défense sans frontières, avec l’entremêlement de la sécurité intérieure et extérieure, et c’est bel et bien l’enjeu de cette conférence que de comprendre cela.

 

Les nouveaux horizons de l’espace maritime, M. Chaline

 

a) L’espace maritime comme frontière

 

Il faut ainsi revenir sur la capacité de la France à protéger ses intérêts à travers le monde, ce qui est lié au contrôle des espaces maritimes, dans l’optique du commerce mondial, du besoin en hydrocarbures et en matières premières. La territorialisation de ces espaces est ratifiée depuis la convention de Montego Bay en 1982, qui distingue les « eaux territoriales », donc zones d’intérêts pour la défense nationale, des ZEE ou «zones économiques exclusives », dont le rôle est plus économique. Dans le premier cas, on a une limite de 12 miles marins, soit 22 kilomètres, et dans le second la bagatelle de 200 miles marins, soit 370 kilomètres. A ce titre, grâce aux possessions françaises aux Caraïbes, en Amérique Latine, au nord de Madagascar, près de l’Australie, la France a la deuxième ZEE du monde, après les Etats-Unis. Soit des frontières maritimes impressionnantes, avec 11 millions de kilomètres carrés.

 

b) Gérer cet espace maritime

 

Il faut donc des bases militaires, une capacité de projection des forces, la nécessité d’organiser le ravitaillement et la gestion du matériel pour pouvoir intervenir dans les zones d’intérêts stratégiques pour la France dans le monde, d’autant plus que ces nouvelles frontières ont aussi un rôle économique. M. Chaline parle d’une frontière « liquide et profonde », ce qui se lie bien avec la gestion des ressources sous-marines nouvellement exploitées par l’homme. Du même coup, la place de la mer dans l’horizon stratégique de la France, et du monde, est un phénomène nouveau. L’intervenant ne manque pas au plaisir de détailler les missions des navires de type « Mistral », à savoir projeter des forces, commander ces forces projetées, organiser des opérations amphibies, envoyer des hélicoptères, embarquer et rembarquer des militaires ou de la population locale en danger.

 

Les frontières du renseignement, M. Forcade

 

La discipline historique, qui s’intéresse à une gamme de sujets divers et variés, a plusieurs tendances au fil du temps, et celle du renseignement est une nouvelle tendance, un « front historiographique », une frontière nouvelle, comme le constate M. Forcade pour coller de plus près au sujet. L’histoire du renseignement peut commencer à la question du fichage en 1886, organisé par le Général Boulanger, qui prescrit le fichage des étrangers pour le service militaire, et crée le « Carnet B» dont le but est de ficher les suspects d’espionnage et les antimilitaristes, et en 1891 on y rajoute les anarchistes, assez actifs. Après la Première Guerre Mondiale, c’est l’anticommunisme d’Etat qui est organisé.

 

L’intervenant prend un exemple précis, celui de l’organisation en 1937 autour du Président Blum d’un système de renseignements liant les acteurs de ce renseignement aux services et aux ministères. Ce cas de figure est vite abandonné, et après la Seconde Guerre Mondiale, le renseignement apparait comme une sorte d’acteur indépendant, et ce n’est qu’au jour du décret du 25 décembre 2008 qu’un Conseil National du Renseignement voit le jour. Les hommes politiques ont désormais maille à partir avec ces systèmes d’information, avec la conjonction d’une force décisionnelle à une force informative. Saint-Denis en est un bel exemple.

 

Les opérations extérieures, Général Hugues Delort Laval

 

a) Les OPEX

 

Le Général définit une opération extérieure comme l’emploi de la force, de la violence légale, orchestrée par l’Etat, en-dehors de ses frontières, ce qui implique quelques controverses comme on s’en rend compte assez vite. L’intervenant militaire fait un rapide descriptif des opérations extérieures dans l’histoire, notamment au Liban en 1978 où les forces françaises sont encore aujourd’hui. C’est après la Guerre Froide qu’on parle d’un accroissement soudain des OPEX, plus d’une centaine en moins de vingt ans, avec des objectifs plus variés, comme la réponse humanitaire aux crises, ou la lutte anti-terroriste. Les Livres Blancs ont pour but de fixer des cadres plus ou moins légaux à ces opérations, à les justifier, pour faire de ces OPEX une norme plutôt que quelque chose d’exceptionnel.

 

b) Intervenir ?

 

D’après le Général Delort Laval, le monde est en crise, or la France dépend de ce monde, comme le prouvait l’analyse des frontières maritimes. Aussi, le Livre Blanc de 2008 mentionnait le cadre dans lequel on intervient en fonction de cinq cercles concentriques, partant des intérêts précis pour arriver aux plus vagues. C’est d’abord la protection du théâtre national et des ressortissants français qui est de mise : le citoyen à l’étranger est en quelque sorte un bout de frontière mobile. Puis, c’est la sécurité de l’Europe et de l’Océan Atlantique qui intéresse stratégiquement. Ensuite, on trouve l’Afrique, le Proche et le Moyen-Orient, pour finir sur la notion très vague de « paix dans le monde ».

 

c) La légalité ?

 

Une OPEX est décidée par le Président de la Ve République, chef des Armées. Il doit prévenir le Parlement trois jours après le déclenchement, et c’est le Parlement qui décide ou non du maintien des forces armées après quatre mois. Pour cela, il faut définir les enjeux, les risques, et les avantages de ces opérations, ce qui est le rôle du ministère de la défense et des centres de commandement de l’armée française. La légitimité est une question fondamentale dans les OPEX d’aujourd’hui, et dans les démocraties en général.

 

Conclusion

 

A travers cette conférence, et à travers ces quatre hommes qui parlaient en 2013, on voit que la question de la défense aujourd’hui est une question en perpétuelle mutation, et qui a bien changé depuis les années 50, contrairement à ce qu’on pourrait penser. La frontière est aujourd’hui mouvante, mais toujours d’actualité, non seulement dans les échanges économiques, mais aussi dans notre cas précis pour la défense. C’est l’Etat qui choisit d’engager ses forces pour des intérêts stratégiques, et parfois « humanitaires ». Certaines OPEX permettent juste de gérer des situations de crise sans violence, d’autres non.

 

En tous les cas, le gouvernement français a la main sur le renseignement, sur l’armée, sur la flotte, et sur les intérêts stratégiques et économiques des vastes espaces maritimes. Ce qui n’a à la fois rien et tout à voir avec l’histoire militaire française. Cette mutation de la défense montre, comme le disait Jean-Pierre Vernant dans Problèmes de la Guerre en Grèce Ancienne à la page 11 : « la guerre n’est pas un fait humain constant et universel ». Si l’on s’intéresse à l’histoire de la guerre, nous aurons le temps de méditer cette phrase.

 

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